10. Le stockage thermique et thermochimique
p. 216-217
Texte intégral
Stockage thermique
1Le stockage thermique fait partie d’une des toutes premières démarches complexes d’ingénierie destinée à résoudre un verrou technique. Au paléolithique, après avoir domestiqué le feu, l’homme a souhaité l’utiliser pour chauffer l’eau, la porter à ébullition et cuisiner. Naturellement, les deux éléments eau et feu sont incompatibles et les premières expériences furent des échecs. Il y a plusieurs centaines de milliers d’années, ces premiers hommes ont alors réussi à conceptualiser un procédé thermique itératif étonnant : chauffer des pierres au foyer, immerger les pierres chaudes dans l’eau contenue dans une peau et répéter l’opération jusqu’à ébullition. Ce processus, encore récemment observé dans des sociétés traditionnelles, est un exemple illustratif emblématique du stockage thermique. Ce dernier devient alors un outil permettant de gérer des incompatibilités ou des déphasages entre une source énergétique et les usages attendus. Cette fonctionnalité de gestion de déphasage peut aussi être illustrée par la cuve du chauffe-eau électrique domestique. Dans ce cas, le stockage permet de différer les utilisations d’eau chaude vers les périodes de moindre demande sur le réseau. Dans le cas du chauffe-eau solaire, le stockage permet d’accumuler l’énergie solaire en milieu de journée pour la délivrer notamment le matin ou le soir en période de besoins. Dans ce dernier cas, il a aussi un rôle fondamental de revalorisation en puissance : la surface de capteurs solaires en toiture serait insuffisante pour délivrer la puissance attendue dans l’habitat en direct.
2À l’échelle industrielle, des stockages à chaleur latente* (changement d’état liquide/solide) sont réalisés à travers le monde depuis plus de 30 ans. Une des applications phare concerne les gratte-ciel d’Asie et consiste à stocker le froid produit la nuit au tarif préférentiel pour climatiser le jour. Ainsi, les groupes de production de froid n’ont pas à suivre la courbe variable de demande de froid et peuvent donc être largement sous-dimensionnés (environ 50 %). Ils fonctionnent en régime nominal à meilleur rendement et à maintenance moindre et les nuisances sonores sont évitées dans les quartiers d’affaire.
3Dans le contexte actuel de raréfaction des ressources fossiles et de réchauffement climatique, les économies d’énergie et la revalorisation des rejets thermiques sont devenues stratégiques. Par ailleurs, le développement à grande échelle des énergies renouvelables soulève le problème de leur variabilité et par conséquent de leur mise sur le réseau. Tous ces sujets d’actualité remettent plus que jamais au goût du jour le stockage thermique comme un outil incontournable. Ainsi, les centrales électrosolaires thermodynamiques fonctionnent maintenant 24 heures/24 avec pour seule source énergétique le Soleil grâce à un stockage thermique. Cet exemple illustre cependant un nouveau paradigme, celui de la disponibilité des matériaux et des conflits d’usage. En effet, ces stockages solaires mettent en œuvre plusieurs dizaines de milliers de tonnes de sels de nitrate fondus. S’il fallait appliquer cette technologie pour remplir les objectifs attendus du déploiement du CSP (Concentrated Solar Power) d’ici 2050, il faudrait consommer 30 fois la production mondiale de nitrates naturels chaque année. Outre le problème de disponibilité que cela soulève, le marché de ces sels est déjà saturé… notamment pour la fabrication d’engrais ! Une solution alternative en développement consiste à utiliser des céramiques réfractaires recyclées (figure 1) issues de l’inertage et de la mise en forme de déchets industriels dangereux comme les déchets amiantés ou les cendres volantes.
Le stockage thermochimique
4Le stockage thermochimique exploite les effets thermiques associés à une réaction chimique réversible pour stocker de l’énergie thermique.
5À titre illustratif, au cours de la réaction de synthèse entre NH3 gazeux et un sel réactif divisé comme ZnCl2, une chaleur de réaction importante est libérée. Si le réacteur est alimenté en gaz réactif par un volume contenant le NH3 liquide, celui-ci s’évapore donc et produit simultanément du froid. Ce double effet thermique est exploité pour développer des procédés autonomes de production de froid et/ou de chaleur dans diverses applications embarquées comme le transport de sang, de vaccins, etc. ou nécessitant des conditions de fonctionnement particulières. Lorsque le sel réactif est saturé, la réaction s’arrête. Il est alors possible de régénérer le système en chauffant le réacteur (en valorisant de préférence une énergie renouvelable ou une chaleur perdue) et en condensant le gaz libéré dans l’ex-évaporateur devenu condenseur. Pour les applications continues, la mise en œuvre simultanée de deux couples réacteur/évaporateur en opposition de phase permet de gérer les étapes de synthèse/régénération. Enfin, l’évaporateur/condenseur peut lui-même être remplacé par un contre réacteur contenant un autre sel que le réacteur principal. Concernant les couples NH3/sels, d’autres applications ont été réalisées avec succès comme la production de glace solaire, la réfrigération ou la congélation ou encore la climatisation solaire, mais aussi la protection d’électroniques embarquées ou de têtes de forages pétrolières en mer.
6Outre des densités énergétiques importantes, cette technologie de stockage présente d’autres avantages comme la revalorisation en puissance (une source d’énergie diluée peut après stockage permettre de délivrer une puissance supérieure), une revalorisation en niveaux de températures lors du déstockage (en plus chaud mais aussi en froid) et un maintien du stockage sans pertes thermiques. Cependant, ces systèmes sont aussi souvent trop complexes pour concurrencer des technologies matures telles que les systèmes de production de froid conventionnels ou plus rustiques comme le stockage thermique en chaleur sensible* ou en chaleur latente. Par ailleurs, des limitations en puissance sont imposées par la mauvaise conductivité thermique du sel réactif. Cette limitation peut être avantageusement levée en mettant en œuvre des composites conducteurs de graphite naturel expansé et de sel.
7À plus hautes températures, une forte activité de recherche sur les oxydes métalliques se développe. À titre d’exemple, à haute température (environ 900 °C) sous flux solaire concentré, l’oxyde de zinc ZnO est réduit en présence de carbone (carboréduction) pour produire du zinc métallique Zn. On peut alors faire réagir au moment voulu de l’eau avec ce métal pour produire de l’hydrogène H2 vecteur énergétique et retrouver le ZnO de départ (régénération du stockage). On a ainsi transformé et stocké l’énergie solaire concentrée sous forme de ce vecteur énergétique particulièrement avantageux en termes de développement durable. D’autres oxydes métalliques sont actuellement à l’étude ainsi que les réacteurs solaires associés.
Bibliographie
Références bibliographiques
• R. DUMON – Énergie solaire et stockage de l’énergie, Masson Paris, 1977.
• X. PY, V. GOETZ et R. OLIVES – Matériaux carbonés pour la gestion thermique des procédés, L’Actualité Chimique, 2006.
• D. LAPERCHE – Place aux technologies propres, Environnement & Techniques, 2011.
Auteur
Génie des Procédés, Laboratoire PROMES, Université de Perpignan Via Domitia, Perpignan.
py@univ-perp.fr
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