9. Le stockage mécanique
p. 214-215
Texte intégral
Stockage d’énergie par air comprimé
1Aujourd’hui, le stockage massif de l’énergie électrique est principalement accompli par les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) entre lacs de montagne. Mais ce concept étant limité géographiquement, un nouveau principe de stockage a vu le jour dans les années 1970, et qui pourrait se développer dans les années à venir. Les CAES (de l’anglais Compressed Air Energy Storage) compriment de grandes quantités d’air lorsque l’on dispose d’énergie en excès pour la restituer ensuite par turbinage. Deux installations existent dans le monde : Huntorf, en Allemagne du Nord, d’une puissance de 290 MW, et Mac Intosh, aux États-Unis, d’une puissance de 110 MW.
2Le schéma de fonctionnement est le suivant : pour réaliser le stockage, un train de compresseur de grande puissance comprime l’air jusqu’à une pression de 70 à 100 bars dans des cavernes creusées dans des dômes géologiques de sel. Le déstockage se fait ensuite en détendant l’air à travers une turbine jusqu’à la pression atmosphérique, la turbine entraînant un alternateur qui renvoie l’électricité dans le réseau. Ce fonctionnement présente toutefois un défaut important : la compression de l’air génère une importante chaleur, et pour diverses raisons (notamment pour la tenue en température de la caverne) l’air injecté doit être refroidi, entraînant ainsi une importante perte de rendement. De même, lors du turbinage, l’air comprimé disponible à température proche de l’ambiante va se détendre en se refroidissant fortement et il doit être réchauffé, entraînant ainsi une consommation de gaz naturel, nettement inférieure toutefois à celle d’une turbine à gaz équivalente. Le rendement général de l’opération se situe autour de 50 %, ce qui reste faible par rapport à celui des STEP (75 %).
3L’objectif initial de la construction des CAES était le report de production des installations de base des creux de demande d’électricité vers les pointes. Les deux installations réalisées dans le monde n’ont toutefois pas connu de suites, malgré un coût d’investissement plus faible que celui des STEP. L’introduction de grandes quantités d’énergies renouvelables intermittentes et décalées par rapport à la demande remet aujourd’hui en selle fortement les besoins en stockage massif d’électricité. Les projets actuels de stockage par air comprimé se focalisent vers la récupération de la chaleur émise lors de la compression (600 °C environ sous 70 de pression) pour la réinjecter lors du turbinage, évitant ainsi la consommation de gaz naturel et les émissions associées de CO2 (concept de CAES adiaba tique*). Le projet allemand ADELE prévu pour 2016 devrait être capable d’absorber puis restituer la production d’un champ d’éoliennes de 200 MW avec un rendement espéré autour de 70 %. Le défi technologique est important, tant sur le système de stockage de la chaleur que sur les machines tournantes travaillant à ces conditions de température et pression très inhabituelles.
4Dans un domaine assez proche, le projet français SEPT propose un système de stockage d’énergie par pompage thermique innovant, permettant d’obtenir une grande densité d’énergie* stockée, s’affranchissant ainsi de la nécessité de disposer d’un stockage géologique, et fonctionnant à des pressions plus faibles. On notera qu’existent aussi des projets de mini CAES destinés, souvent en complément à des batteries, à fournir un service réseau. Par ailleurs, plusieurs projets de véhicules fonctionnant avec de l’air comprimé ont été développés mais ils n’ont pas jusqu’à présent réussi à percer le marché.
Les volants d’inertie
5Les volants d’inertie permettent de stocker l’électricité sous forme d’énergie cinétique grâce à un volant cylindrique tournant à grande vitesse. L’énergie emmagasinée est proportionnelle au moment d’inertie* du volant, qui dépend de sa forme et de sa masse, et au carré de la vitesse de rotation. Lorsqu’il tourne, une importante force centrifuge se crée sur le matériau constitutif et la quantité d’énergie emmagasinée dépend alors de la capacité du matériau à résister à cette force. On démontre que les matériaux les plus appropriés doivent être à la fois légers et résistants, tels que les fibres de carbone, car ils permettent des vitesses plus élevées, celle-ci intervenant au carré.
6La réalisation d’un volant d’inertie performant est complexe. Les vitesses peuvent atteindre des dizaines de milliers de tours par minute. Il doit être parfaitement bien dimensionné et équilibré pour résister aux efforts centrifuges. Il faut un moteur pour le lancer ainsi qu’un générateur pour récupérer l’énergie en le freinant. Les paliers fonctionnant à de telles vitesses sont complexes, nécessitant des sustentations magnétiques* pour éviter les frottements et les pertes d’énergie dans le temps. Le volant doit tourner dans le vide pour éviter la friction avec l’air, tout en étant refroidi. Enfin, l’énergie disponible étant très importante (de quoi lancer un tramway), l’environnement doit être protégé contre les risques de rupture.
7La comparaison des volants d’inertie avec les autres systèmes de stockage de l’électricité en termes d’énergie rapportée à la masse, indique qu’ils sont inférieurs aux batteries électrochimiques, mais qu’ils sont capables de libérer cette énergie en très peu de temps, et disposent donc d’une puissance spécifique* importante. En cela ils se rapprochent beaucoup des supercondensateurs*, avec l’intérêt de ne pas mettre en œuvre de produits chimiques. De plus, un volant d’inertie peut atteindre des durées de vie très importantes, presque infinies, sous réserve de quelques entretiens.
8Les volants d’inertie sont déjà largement utilisés pour le service réseau dans les installations stationnaires. Ils permettent de pallier à d’éventuelles coupures et fournissent un appoint de puissance en cas de nécessité. Ils sont généralement réalisés en acier, matériau moins performant mais moins coûteux que les fibres de carbone. Leur mise en sécurité est aisée, et utilisés en nombre ils permettent d’atteindre des énergies importantes, en plus de la puissance disponible. Plusieurs firmes proposent des produits tout à fait éprouvés.
9La deuxième application potentielle des volants d’inertie se trouve à bord des véhicules, où ils pourraient rendre plusieurs types de service. Par exemple, leur installation sur des tramways permettrait de récupérer l’énergie de freinage, de diminuer les appels de puissance au démarrage, de sous-dimensionner les stations d’alimentation et d’autoriser le franchissement de zones sans alimentation électrique comme cela est fréquent dans de nombreux centres villes classés. Dans ce cas, la densité d’énergie devient un paramètre important et les fibres de carbone légères et résistantes sont préconisées, malgré leur coût élevé. Toutefois les implications de sécurité sont importantes. Enfin, une autre application embarquée se situe dans les satellites où les volants d’inertie peuvent aussi être utilisés pour leurs effets gyroscopiques de contrôle directionnel.
Bibliographie
Références bibliographiques
• P. LEFEVRE ET R. CLAVREUL – Le stockage d’énergie sous forme d’air comprimé, dans Le stockage de l’énergie, Dunod, 2010.
• J. KAUV, J. BONAL et P. ODRU – Stockage de l’énergie, Techniques de l’Ingénieur, 2012.
• H. BENAHMED, B. MULTON, N. BERNARD et C. KERZREHO – Le stockage inertiel électromécanique, Revue 3EI, n° 48, 2007.
Auteur
Ingénieur de Recherche Principal, IFP Énergies nouvelles, ANR, Responsable du groupe "Stockage de l’énergie" du Think Tank IDEES de la fondation Tuck, Rueil-Malmaison.
pierre.odru@agencerecherche.fr
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2012