25. Éolien : aspects scientifiques
p. 182-183
Texte intégral
1L’éolienne est une turbine au fonctionnement atypique, car elle perturbe l’écoulement qui l’alimente et interagit avec les machines voisines. Nous décrivons ici les domaines de recherche susceptibles d’apports pour la course aux performances : aérodynamique, rendement de conversion, fiabilité, interactions de sillages.
2Les moyens d’investigation classiques de l’aérodynamique, de l’aéréoélastique, et de l’acoustique sont les souffleries, les tests in situ et la CFD* (Computational Fuild Dynamics). Les souffleries permettent à échelle réduite une étude fine des écoulements sur maquettes, atteignant 10 m de diamètre pour la NREL (laboratoire américain des énergies renouvelables). Des sites dédiés permettent d’instrumenter des machines en grandeur réelle, par exemple pour le petit éolien à Narbonne, ou pour le grand éolien à Hovsore (Danemark). Les codes de CFD permettent de connecter, comme dans le cas de la campagne d’Askervein (Écosse), les connaissances acquises aux échelles de la maquette, de l’éolienne et de la météorologie.
Course aux performances et au gigantisme
3Les principaux types de machines sont les machines de Prandtl, tripales à axe horizontal (Horizontal Axis Wind Turbine, HAWT) et les machines Darrieus, à rotor vertical (Vertical Axis Wind Turbine, VAWT). Conçues sur la base de travaux menés en soufflerie, ces machines déployées en milieu naturel permirent d’atteindre des performances élevées et équipent l’essentiel des parcs installés au XXe siècle. Aujourd’hui, une course s’est engagée pour améliorer le rendement, la fiabilité, la longévité et le productible annuel, le tout avec un surcoût limité…
4L’éolien actuel se base sur des développements en aérodynamique dont les plus récents datent des années 1960, comme l’adoption de profils de portance épais*. Les progrès ultérieurs ont porté sur les matériaux, la transmission et la conversion, et l’asservissement* pour l’anti-décrochage (pitch-control*, speed-control*) et l’orientation. L’anémomètrie de nacelle qui permettait de gérer les machines avec un délai de l’ordre de la vingtaine de minutes, est progressivement assistée par un Lidar* de ferme, permettant non plus de subir mais d’anticiper les variations du vent.
5Les constructeurs exploitant des concepts aérodynamiques voisins pour une prise de risque minimale au niveau technico-économique, c’est en aérodynamique et en aéroélastique que subsistent les plus grands champs de recherche potentiels. La suprématie de l’éolienne HAWT tripale s’explique entre autres par son coefficient de puissance (Cp), performance définie pour un vent stationnaire et homogène. Mais des critères prenant en compte la variabilité et la complexité du vent naturel permettraient une meilleure comparaison entre architectures différentes, car une machine optimale pour un vent moyen n’est pas nécessairement une machine optimale pour un productible annuel. Par exemple, l’expérience des VAWT Darrieus dans les années 1950-1980 a permis de confirmer leur insensibilité aux changements de directions du vent, malgré des défauts désormais bien identifiés : contraintes structurelles importantes dues à la répartition extrême des masses tournantes, résonances néfastes dues à la cyclicité du couple, enchâssement de la partie électromécanique. Leur retour est à l’étude, notamment en offshore avec des architectures modifiées, telles que les rotors quadripales en H, les pales hélicoïdales ou à pas cyclique, les cages déportées…
6La course à la puissance conduit à imaginer des machines plus grandes (figure 1), fonctionnant à des niveaux de la couche limite planétaire (400 à 3 000 m) où les vents sont très différents de ceux de la couche de surface exploitée par les machines actuelles : spirale d’Eckmann*, stratification variable*, cisaillement*… En offshore, s’ajoutent des dynamiques propres aux atmosphères marines, encore méconnues.
Effets du vieillissement
7Les retours d’expériences des premiers parcs éoliens ont permis d’identifier des processus de vieillissement spécifiques. La dégradation de la surface des pales par le délaminage* du multi-couches fibre de verre/résine et l’encrassement ont des impacts reconnus sur leur aérodynamique, le bord d’attaque étant bien sûr le point vulnérable, comme dans le cas d’une aile d’avion : toute dégradation de la rugosité de cette zone fait perdre le point de transition laminaire/turbulent et altère la portance. Le vieillissement des pales affecte aussi leur forme globale, et des travaux en cours en évaluent les causes et les impacts. Par exemple, le procédé de fabrication des pales impose d’avoir un bord d’attaque rectiligne, ce qui interdit l’alignement des centres de poussée sur la fibre neutre de la poutre. Il en résulte un fonctionnement en flexion déviée, facteur important du vieillissement de la pale.
Fermes éoliennes
8La structure du sillage de l’éolienne (figure 2) détermine les règles d’espacement, par la manière dont deux machines voisines interagissent. Le sillage comporte trois composantes. Un cône « d’ombre » s’étend juste en aval du rotor de la machine : c’est le sillage laminaire. Au-delà, la destruction du sillage laminaire par les processus de mélange génère une turbulence intense : c’est ce processus qui réalimente le sillage d’une machine en énergie mécanique et permet aux suivantes de fonctionner. La troisième composante de sillage est formée par les tourbillons marginaux des pales du rotor : ils s’enroulent en une hélice et provoquent des instabilités néfastes pour les machines suivantes.
9L’espacement latéral minimal de trois diamètres de rotor (3D), prédit par la Théorie de Froude*, est bien confirmé par l’expérience de terrain mais la théorie des couches de mélange de Prandtl ne fixe pas de manière universelle l’espacement souhaitable entre deux machines successives. Cette distance dépend de manière dynamique de la turbulence du site, c’est-à-dire des conditions atmosphériques et de la capacité du paysage à perturber le vent dans la couche de surface (i.e. sa rugosité aérodynamique*) : typiquement 5D pour les premiers parcs éoliens terrestres, parfois moins en région montagneuse, et plus sur les futurs parcs offshore, où l’on observe en atmosphère marine des sillages laminaires jusqu’à 20 diamètres de rotor.
10En conclusion, l’éolien constitue un domaine de recherche scientifique actif qui mobilise des moyens de recherche importants. Cela nécessitera encore des moyens accrus dans le futur, au regard des ambitions affichées dans les politiques énergétiques aux niveaux nationaux, européen, et même mondial. L’éolienne elle-même fait l’objet de programmes scientifiques visant à l’amélioration des performances aérodynamiques en conditions naturelles, et de sa résistance aux processus de vieillissement. La course au gigantisme impulsée par les grands constructeurs d’éoliennes ne fera pas l’économie d’une réflexion sérieuse sur la prise en compte des spécificités de la structure de l’atmosphère à plus haute altitude. Le même type de remarque tient pour les projets ambitieux de fermes offshore, dépassant désormais le GW.
Bibliographie
Références bibliographiques
• N. DALILI, A. EDRISY et R. CARRIVEAU – A Review of Surface Engineering Issues Critical to Wind Turbine Performances, Renewable and Sustanable Energy Review, 2009.
• F. CAUNEAU, C. ABIVEN, O. BRADY, R. CHEVALLAZ-PERRIER et V. GUÉNARD – Projet EVIDENCE – Évaluation de l’incertitude des modèles numériques pour l’évaluation du gisement éolien, Rapport ADEME, 2008.
• P. A. TAYLOR et H. W. TEUNISSEN – The Askervein Hill Project : Overview and Background Data, Boundary Layer Meteorology, 1987.
Auteur
Physicien, Professeur à l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, Maître de Recherche au CEP, Paris.
francois.cauneau@mines-paristech.fr
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2012