6. Simulation numérique en exploration et production pétrolières
p. 96-97
Texte intégral
1La principale caractéristique du domaine pétrolier est d’évoluer dans un milieu inconnu et très difficile d’accès, situé à plusieurs kilomètres sous terre et, en milieu offshore, jusqu’à deux kilomètres sous la mer. L’unique moyen d’accès direct à ce milieu souterrain est le forage de puits dont le coût prohibitif est de l’ordre de 60 millions d’euros pour un seul puits offshore. Il est donc essentiel pour les compagnies pétrolières de mettre tout en œuvre pour réduire le risque de forer un puits sec en phase d’exploration. Cet impératif ne fait que s’accentuer avec la raréfaction des ressources. Dans ce contexte, la modélisation et la simulation numériques sont des moyens essentiels pour exploiter et interpréter les peu de données disponibles afin d’accroître la connaissance du sous-sol pour découvrir de nouveaux champs pétrolifères en phase d’exploration. En phase de production, elles permettent d’intégrer les données afin de mieux prédire la production puis d’optimiser la récupération des hydrocarbures.
La sismique
2Les premières données exploitées aujourd’hui par les pétroliers sont les données dites « sismiques », qui sont à l’exploration du sous-sol ce que l’échographie est à celle du corps humain. Mathématiquement, l’échographie sismique se résume à la résolution d’un problème inverse d’une redoutable difficulté : il faut retrouver la nature des roches et la forme des structures géologiques qui reproduisent le plus fidèlement possible la centaine de milliers d’enregistrements sismiques. Ce travail – qui repose sur la compétence croisée des chercheurs en géologie, sismologie et mathématique – est réalisé sur des supercalculateurs parmi les plus puissants et fait appel à des algorithmes sophistiqués d’inversion et de traitement du signal et d’image. L’amélioration des techniques d’acquisition, de traitement et d’interprétation est spectaculaire depuis quelques décennies. Elle est entraînée par l’accroissement des puissances de calculs qui en retour nécessite la conception de nouveaux algorithmes numériques adaptés à ces quantités massives de données (téraoctets) et aux architectures des nouveaux supercalculateurs. Grâce au calcul intensif, l’échographie sismique permet aujourd’hui de visualiser, au terme d’une campagne d’exploration pouvant durer de quelques semaines à plusieurs mois, des régions couvrant jusqu’à 7 000 km2 sur 10 km de profondeur. Les progrès réalisés dans cette imagerie du sous-sol ont permis de passer d’un pourcentage de 15 à 20 % de puits d’exploration découvrant du pétrole à un pourcentage de 30 à 40 %, et ceci malgré la raréfaction des réserves. La recherche dans ce domaine continue, avec en ligne de mire l’inversion totale du modèle faisant appel à l’équation des ondes en milieu élastique*. La sismique s’étend aussi à la production pétrolière par l’imagerie périodique d’un réservoir pétrolier en exploitation, de façon à suivre l’évolution des fluides dans le sous-sol et donc à mieux optimiser la production.
La modélisation des systèmes et des réservoirs pétroliers
3Une autre méthode d’exploration pétrolière, particulièrement utilisée dans les zones difficiles d’accès pour la sismique, cherche à mieux connaître un bassin pétrolier en modélisant son histoire sur les dizaines de millions d’années nécessaires à la formation des réservoirs pétroliers. Cette modélisation des systèmes pétroliers arrive en bout de chaîne après l’exploration sismique, la modélisation structurale du bassin puis la modélisation stratigraphique. Elle s’attache à retracer l’évolution de l’huile dans le milieu poreux en formation et initialement saturé d’eau. L’huile est générée en profondeur par craquage de la matière organique déposée il y a des millions d’années, sous l’effet conjugué de l’enfouissement et de l’élévation de température. Elle migre ensuite sous l’effet de la gravité et des forces capillaires* le long des zones les plus perméables (drains et réseaux de failles) jusqu’à atteindre le cas échéant un piège géologique, ou réservoir, formé typiquement par une couche poreuse surmontée d’une couche argileuse imperméable où elle s’accumule.
4Cette modélisation conduit à résoudre des systèmes d’équations aux dérivées partielles par des techniques numériques mises en œuvre sur des calculateurs parallèles. Les incertitudes sur les données géométriques, pétrophysiques, thermodynamiques sont encore clairement majeures à ce stade d’exploration. Cette approche permet néanmoins d’intégrer au sein d’un modèle quantitatif 4D (3 dimensions d’espace et une de temps) l’ensemble des données sismiques, géologiques, pétrophysiques, mécaniques disponibles et ainsi de tester in silico la cohérence des scénarios imaginés par l’expertise des géologues et inaccessibles à l’expérimentation.
5La simulation numérique joue depuis plusieurs décennies un rôle important dans le processus de prédiction et d’optimisation de la production des réservoirs pétroliers. L’outil de base est le simulateur de réservoir qui discrétise et résout numériquement les équations régissant les écoulements des fluides (eau, huile gaz) contenus dans les pores des roches réservoir couplées au réseau des puits qui pilotent la production. Ces modèles sont complexes du fait des fortes non-linéarités présentes dans les lois de transport hydrodynamiques et dans les lois d’équilibre thermo-dynamique régissant les réactions chimiques entre les espèces constitutives des fluides (cf. II.7).
6Un autre aspect essentiel de la simulation de réservoir est la nécessité d’estimer les propriétés largement inconnues du milieu, notamment les porosités* et les perméabilités des roches, à partir de données aux puits très éparses et de connaissances a priori géologiques fortement entachées d’incertitudes. La qualité de prédiction de la production obtenue dépendra crucialement de cette estimation qui est un problème très complexe compte tenu, d’une part de la grande dimension de l’espace des paramètres incertains, et d’autre part de la complexité du modèle de réservoir. In fine, arrivent les questions opérationnelles de décision et de contrôle en présence d’incertitudes qui restent aujourd’hui les plus ouvertes. C’est par exemple la question du pilotage des puits ou celle de leur placement en vue d’optimiser la production, ou encore celle de la nature des données à acquérir afin de réduire les incertitudes sur les prédictions du modèle.
Bibliographie
Références bibliographiques
• K. AZIZ et A. SETTARI – Petroleum reservoir simulation, Chapman & Hall, 1979.
• T. HANTSCHEL et A. I. KAUERAUF – Fundamentals of Basin and Petroleum Systems Modeling, Springer, 2009.
Auteur
Mathématicien, Professeur des Universités, Laboratoire J. A. Dieudonné, Université de Nice Sophia Antipolis, Nice.
roland.masson@unice.fr
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012