2. Exploration des bassins sédimentaires et production des hydrocarbures : outils et verrous
p. 86-88
Texte intégral
1L’interface entre la terre solide et ses enveloppes fluides est une limite unique dans le système solaire où opère une extraordinaire machinerie concentrant le carbone. En captant l’énergie des photons solaires, les cellules chlorophylliennes transforment le CO2 atmosphérique, qui provient à l’origine du dégazage de la planète, en longues chaînes carbonées. L’énergie ainsi fossilisée au sein des liaisons C-C ne se conserve que si la biomasse produite est préservée de l’oxydation*. Seul l’enfouissement au sein des sédiments* produits par l’érosion des continents préserve la biomasse de l’oxydation. Les sédiments s’accumulent dans des réceptacles, les bassins sédimentaires, dont la naissance, la croissance et l’inversion en systèmes montagneux sont régies par la tectonique des plaques*.
2Les intérêts de la recherche académique et industrielle convergent vers la compréhension du fonctionnement de certains systèmes pétroliers aujourd’hui en pleine phase d’exploration. Le meilleur exemple est celui du domaine des marges passives distales dont la nature et l’origine étaient pratiquement inconnues il y a 20 ans.
Tectonique des plaques et bassins sédimentaires
3Quand deux plaques continentales entrent en collision, l’une chevauche l’autre et s’élève pour former une chaîne de montagne. Celle qui s’enfonce fléchit sous la charge et un bassin allongé se creuse au pied des reliefs. Ces bassins dits « flexuraux » sont présents au front de toutes les chaînes de montagne du monde. Particulièrement développés le long de la chaîne alpine, de Gibraltar à l’Himalaya, ils occupent une grande partie du Moyen-Orient dont ils font la richesse. Leur exploration pétrolière méthodique suppose des recherches académiques en amont sur l’architecture des systèmes montagneux, sur les relations entre le climat, l’érosion et la sédimentation ou sur la structure profonde de la croûte terrestre et du manteau supérieur.
4À côté des bassins en système compressif, on trouve les bassins extensifs où s’initie progressivement la rupture des plaques lithosphériques. En mer, il s’agit des marges passives conjuguées des océans. L’exploration et l’exploitation des marges proches des côtes utilisent les techniques du domaine continental conventionnel émergé. Les problèmes se posent différemment lorsque l’on passe dans l’offshore profond, à plus de 300 km des côtes et par 4 000 m de fond. Les verrous y sont à la fois technologiques et conceptuels.
5L’offshore profond correspond au domaine de transition entre la croûte continentale amincie et la nouvelle croûte océanique. Il est aujourd’hui l’objet de programmes très ciblés. Cet immense domaine est presque totalement inaccessible à l’observation directe et échappe pour une grande partie à l’échantillonnage par carottage. Il comprend toutes les marges de l’océan Atlantique, de l’Arctique et une grande partie des marges indiennes et australiennes. S’y ajoutent les marges du continent Antarctique, encore protégées par le moratoire du protocole de Madrid dont la virginité est assurée pour une période de 50 ans depuis 2005, indéfiniment renouvelable.
6Les progrès de l’exploration sousmarine académique dans l’offshore profond viennent bouleverser des dogmes fondamentaux de la géodynamique et font naître de nouveaux défis conceptuels. Alors que l’on pensait connues les modalités de l’extension de la croûte continentale, les observations sur les marges profondes sont venues modifier notre vision de l’architecture des domaines étirés, au point de devoir abandonner tout modèle universel de formation. Les recherches académiques dans les chaînes de montagne, comme les Alpes internes ou les Pyrénées, affinent nos conceptions. Elles permettent une observation directe de roches issues des profondeurs océaniques et mises à l’affleurement par les plissements. Elles sont un complément indispensable : un analogue observable à pied sec.
7On pense que 30 % des réserves mondiales connues sont localisées dans l’offshore, la part de l’offshore profond étant susceptible d’augmenter rapidement en fonction des investissements. Avec cela, les indices d’hydrocarbures dans l’offshore profond surgissent là où toute modélisation numérique prédisait la stérilité. Ce domaine est ainsi devenu en 20 ans une zone d’intense fébrilité scientifique. Mais comment exploiter technologiquement des réservoirs dont les propriétés physiques sont si différentes de celles des champs conventionnels du domaine continental ?
Fondamentaux de l’exploration pétrolière
8La matière organique produite par les êtres vivants, notamment les micro-algues lacustres et marines, se concentre dans les sédiments déposés en environnement anoxique (dépourvu d’oxygène). Une rochemère potentielle d’hydrocarbures se forme si la teneur en carbone organique dépasse 1 %, et si ce carbone reste lié à de l’hydrogène dans des proportions importantes.
9Les roches-mères sont portées pour des dizaines de millions d’années à des températures dépassant 70 °C. La matière organique (kérogène*) évolue en pétrole et en gaz selon une série de réactions chimiques dont la cinétique varie avec la composition du kérogène (cf. III.1). Dans les bassins où l’enfouissement est rapide, les bactéries produisent du gaz biogénique, principalement du méthane, en dégradant la matière organique à température modérée. Si la température dépasse 130 °C ou 150 °C, le kérogène se transforme en un pétrole dont les propriétés dépendent de la température et du temps de maturation. Pour des températures supérieures à 180 °C ou 200 °C, on observe un craquage progressif des huiles avec la production de gaz thermogénique.
10Les hydrocarbures sont beaucoup plus légers que l’eau contenue dans les pores des roches. Une fois produits, ils sont progressivement expulsés des roches-mères et migrent latéralement le long des couches perméables et verticalement le long des fractures et des failles. Leur ascension se termine dans des réservoirs. Il s’agit soit de roches perméables (sables, grès, carbonates) limitées par des barrières de perméabilité* (couches argileuses), soit de pièges structuraux (anticlinaux) ou stratigraphiques (biseaux sédimentaires).
11Le succès de l’exploration pétrolière dans un bassin sédimentaire est lié à la connaissance de la distribution des roches-mères, des réservoirs et des couvertures, mais aussi à une bonne compatibilité entre l’âge de la génération des hydrocarbures et de leur migration, et celle de la fermeture des pièges structuraux. Dans certains cas, le pétrole généré dans un bassin sédimentaire ne trouve pas de piège, et vient donc se répandre près de la surface où il est alors très rapidement consommé par les bactéries et biodégradé en produits lourds comme dans les ceintures de bitumes de l’Athabasca (Alberta) et de l’Orénoque (Venezuela).
Prospection et forages
12Le défi des compagnies pétrolières consiste à localiser dans le sous-sol les structures fermées susceptibles de contenir des hydrocarbures, en limitant au maximum le nombre de forages, ceux-ci étant toujours très onéreux. L’imagerie par sismique réflexion permet d’obtenir à moindre coût, à terre comme en mer, des profils 2D ou des blocs 3D pour suivre en continu les horizons les plus prometteurs.
13La vitesse des ondes sismiques dépend de la densité des couches géologiques traversées. En prospection sismique on utilise une source artificielle d’ondes en surface (camion vibreur, explosif) et on enregistre les ondes réfléchies en profondeur sur les interfaces (réflecteurs) dont on cherche à reconstruire l’architecture. Le traitement numérique permet de calculer une coupe géologique en s’appuyant sur la connaissance de la distribution des vitesses dans le sous-sol. Ce type d’imagerie en profondeur est simple dans le cas de couches peu plissées mais la définition du modèle de vitesse est plus complexe pour les zones très déformées comme les diapirs de sel ou et les piémonts des chaînes de montagne.
14Les techniques de forage ont fait d’énormes progrès depuis la période héroïque des débuts de l’exploration où la seule solution offerte était de creuser des puits verticaux. On réalise désormais des forages déviés ou horizontaux, à terre et en mer, et on implante des forages à partir de plateformes fixes ou flottantes sous des tranches d’eau de plusieurs kilomètres, dans l’offshore.
15L’analyse des débris de forage (cuttings) et l’enregistrement de diagraphies le long de la paroi du forage permettent le contrôle continu des lithologies traversées. On enregistre ainsi les paramètres physiques nécessaires à la caractérisation des réservoirs et des couvertures. Le carottage, onéreux, est limité aux horizons réservoirs. Des tests de production sont réalisés en cas de découverte d’hydrocarbures pour évaluer la productivité du réservoir avant toute mise en développement d’un champ. Ces tests permettent le contrôle de la connectivité du milieu poreux et du volume effectivement drainé par le puits.
Frontières et verrous
16Les premiers succès de l’exploration pétrolière étaient basés sur des approches « essais-erreurs corrigées ». Les compagnies disposent aujourd’hui d’outils de simulation numérique performants, réduisant les risques de puits secs dans les zones matures déjà bien reconnues. On évalue également de cette façon les chances de trouver des accumulations commerciales dans des zones frontières encore sous-explorées (offshore profond et zones de piémont).
17On développe aujourd’hui des codes numériques pour reconstituer en 2D ou en 3D l’évolution géométrique d’un bassin sédimentaire, l’histoire de l’enfouissement des roches-mères et leur évolution thermique. La migration des hydrocarbures depuis les roches mères jusqu’à leur accumulation dans les réservoirs est simulée, permettant de guider les compagnies vers les secteurs susceptibles d’héberger encore des ressources non identifiées. Ces modèles sont calés sur des puits existants et des mesures de surface.
18La géostatistique et les impédances acoustiques sont utilisées pour améliorer à chaque nouveau forage ou pour chaque nouvelle acquisition sismique, la distribution des caractéristiques physiques des réservoirs. Les acquisitions de sismique 4D (2 ou plusieurs acquisitions 3D réalisées sur un même site à des périodes distinctes) sont de plus en plus utilisées pour suivre la déplétion progressive des différents compartiments des champs complexes, et pour voir quelles sont les zones non drainées qui nécessiteraient de nouveaux puits.
19On recherche désormais des hydrocarbures dans les zones très complexes des piémonts des chaînes et de l’offshore profond. Le risque y est maîtrisé, mais le coût de revient y est bien sûr supérieur à celui des champs géants du Moyen-Orient (coût moyen pouvant dépasser 40 voire 80 $ dans les piémonts ou l’offshore profond, contre un coût moyen compris entre 5 et 10 $ le baril au Moyen-Orient). Le prix actuellement élevé au niveau mondial pour les hydrocarbures permettra certainement de relativiser cet écart, et d’encourager davantage les compagnies à investir dans les zones frontières qui demandent encore à être explorées et développées.
Bibliographie
Référence bibliographique
• S. MÉRITET – Le pétrole des profondeurs océaniques, Pour la Science, n° 69, 2010.
Auteurs
Structuraliste et explorateur, IFP Énergies nouvelles, Expert, Direction Géo sciences, Rueil-Malmaison, Professeur à l’Université d’Utrecht, Pays-Bas.
francois.roure@ifpen.fr
Géodynamicien structuraliste, Directeur de Recherche au CNRS, Géosciences, Montpellier.
yves.lagabrielle@gm.univ-montp2.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012