11. Matériaux pour l’énergie
p. 62-64
Texte intégral
1La maîtrise de l’énergie (production, stockage et consommation) joue un rôle essentiel dans notre civilisation. En réalité, on ne la produit pas, on ne fait que la transformer avec un rendement qui est toujours inférieur à l’unité. Tout le génie de l’humanité consiste donc à tirer parti des sources d’énergies disponibles dans la nature afin de satisfaire ses besoins. De tout temps, l’évolution technologique de l’humanité a été liée à la découverte de nouveaux moyens permettant de disposer de toujours plus d’énergie. À l’échelle de la planète, il n’y a que trois sources fondamentales : l’énergie solaire, l’énergie marémotrice (qui découle de la gravitation) et l’énergie nucléaire. Toutes les autres (charbon, pétrole gaz, hydraulique, éolienne, biomasse, etc.) proviennent de la transformation de l’énergie solaire ou de son stockage au cours des millénaires. Il faut noter que le vent résulte essentiellement de différences de températures entre divers points du globe qui induisent des différences de pressions. Aujourd’hui, la forme énergétique la plus pratique à utiliser est l’électricité, mais son stockage ne peut se faire directement ; il nécessite de passer par un vecteur transformé en énergie disponible à la demande : carburant (pétrole, gaz, hydrogène), eau stockée dans les lacs en altitude, gaz comprimé, couples électrochimiques, etc. L’optimisation de sa production par rapport à sa consommation nécessite de transformer continuellement les différentes formes d’énergie les unes dans les autres. Dans tous les cas, des matériaux sont impliqués, non seulement pour les éléments de structure (propriétés mécaniques, résistance à la corrosion), mais aussi pour leurs propriétés fonctionnelles (physiques et chimiques) qui permettent à la transformation de se réaliser. Tous les appareillages qui nous entourent sont constitués de matériaux, c’est-à-dire de matière qui a une fonction spécifique. Beaucoup de recherches dans le monde visent à développer de nouveaux matériaux (dits fonctionnels) qui auront une ou plusieurs fonctions pour des applications données. Dans les systèmes classiques à la base du développement de notre société industrielle, le matériau passe généralement inaperçu car son utilisation semble triviale (e.g. l’eau dans une centrale hydraulique ou dans une machine à vapeur). Il apparaît plus clairement dans les systèmes modernes, beaucoup plus sophistiqués qui permettent de transformer et de stocker l’énergie. Ces propriétés qui ont été découvertes par les chercheurs réalisant des études fondamentales complètement déconnectées des applications, ont ouvert des horizons nouveaux. Aujourd’hui, le challenge consiste à créer les matériaux ayant les propriétés requises pour réaliser les systèmes de transformation de l’énergie de demain.
Batteries
2Une batterie permet de transformer réversiblement l’énergie chimique en énergie électrique (cf. VI.2). Pour produire le flux d’électrons*, on réalise une réaction d’oxydoréduction* dans laquelle on sépare physiquement les deux demi-réactions. Une demi-réaction libère des électrons à l’électrode négative qui passent par le circuit extérieur et reviennent à l’électrode positive qui les capte pour réaliser l’autre demi-réaction. Des ions* sont également échangés dans ces demi-réactions. Ils doivent migrer au sein de la batterie pour compenser le transfert électronique. Afin d’obliger les électrons à passer par le circuit extérieur, les deux électrodes doivent être séparées par un matériau isolant électronique qui permet le passage des ions (figure 1).
3Une pile n’étant pas rechargeable, on ne recherche pas la réversibilité des réactions. Au contraire dans une batterie on désire réaliser de quelques centaines à plusieurs milliers de cycles charge/décharge. Parmi toutes les réactions d’oxydoréduction qui ont été envisagées, les réactions les plus intéressantes sont les réactions d’intercalation. Il s’agit d’insérer les ions mobiles (A+) dans la structure des matériaux d’électrodes (tunnels, espaces inter-lamellaires, squelette 3D) et les électrons qui vont provoquer la réaction rédox. La charpente structurale doit donc exister dans un large domaine de composition en cation A+. Le nombre d’ions et d’électrons qui pourront être insérés par unité formulaire fixe la capacité massique (et volumique) du matériau d’électrode. La tension de la batterie (voltage aux bornes) est un paramètre essentiel pour disposer du maximum d’énergie. Le matériau d’électrode négative doit être le plus réducteur possible, tandis que le matériau d’électrode positive doit être très oxydant. Selon le type de matériaux utilisé, la tension aux bornes d’un élément peut aller de 1,2 V pour les batteries nickel-cadmium ou nickel-métal* à 2 V, pour la batterie au plomb et au-delà de 4 V pour les batteries au lithium-ion. La nature de l’ion échangé (H+ ou Li+) impose la nature de l’électrolyte* (aqueux ou non aqueux) qui fixera la tension maximum admissible. L’électrolyte ne doit pas être électrolysé en présence du potentiel imposé par les électrodes. Le développement récent des batteries au lithium (ou lithiumion) résulte du caractère fortement réducteur du lithium qui conduit à des cellules électrochimiques ayant une tension comprise entre 3 et 4,3 V. Dans ce dernier cas, les électrolytes doivent être aprotiques, c’est-à-dire n’avoir aucun atome d’hydrogène qui serait susceptible d’être réduit en H2 par le matériau d’électrode négative. Les électrolytes les plus utilisés sont des liquides constitués d’un solvant et d’un soluté dont la nature et la composition sont optimisées pour obtenir une conductivité élevée tout en conservant une inertie chimique et électrochimique par rapport aux matériaux d’électrodes. De nombreuses recherches concernent de nouveaux électrolytes qui seraient stables à très haut potentiel (5 V). Dans cette optique, les électrolytes solides sont très prometteurs mais il faudra augmenter significativement leur conductivité ionique et résoudre les problèmes de transfert ionique entre deux solides. Dans le cas des micro-batteries utilisables dans les cartes électroniques, ces contraintes ont été levées en utilisant des couches minces de matériaux (quelques microns). Toutefois, ces systèmes ont une énergie spécifique* réduite qui n’est pas compatible avec l’utilisation classique des batteries.
4Les deux matériaux d’électrodes et le conducteur ionique qui les sépare sont les matériaux actifs ; les autres constituants (séparateur, liant collecteur de courant, et boîtier) peuvent être considérés comme des matériaux de structure. Pour optimiser le fonctionnement des batteries et notamment pour accroître leur durée de vie, des additifs spécifiques qui freinent les réactions parasites peuvent être également utilisés.
Piles à combustible
5Les piles à combustible transforment l’énergie chimique associée à la réaction de combustion d’un fluide (hydrogène, méthane, alcools, dérivés pétroliers) en électricité (cf. VI.4). Comme dans les batteries, les deux demi-réactions qui constituent la réaction globale d’oxydoréduction ont lieu dans deux compartiments (cathode* et anode*) séparés par un électrolyte (liquide ou solide qui laisse passer les ions H+ ou O2- selon le type de cellule envisagé). À la différence des batteries, les produits initiaux (carburant et comburant*) ne sont pas stockés dans la pile mais l’alimentent en continu. Les produits résultant de la combustion sont éliminés en permanence. Les deux électrodes nécessitent la présence de catalyseurs* pour permettre aux réactions d’oxydoréduction de se produire facilement, augmentant ainsi le rendement de la pile. Enfin, l’amenée des gaz (combustible et air) se fait grâce à des interconnecteurs, collecteurs de courant, spécialement conçus à cet effet (figure 2). Parmi les divers types de piles à combustible, deux d’entre eux jouent un rôle essentiel. Les PEMFC (Polymer Exchange Membrane Fuel Cell) utilisent un conducteur protonique (H+) et fonctionnent à température ambiante tandis que les SOFC (Solid Oxide Fuel Cell) utilisent un conducteur anionique (O2-) et fonctionnent à haute température (700 – 900 °C). Bien que les matériaux soient très différents, les problèmes à résoudre sont voisins. La réaction se produit à la surface d’un catalyseur et met en jeu un gaz, des ions et des électrons qui sont transférés en permanence. Ceci impose une architecture de l’électrode très spécifique et nécessite l’existence de points de triple contact.
6Dans le cas des PEMFC, les catalyseurs sont à base de platine extrêmement divisé. Les travaux de recherche visent à diminuer la quantité de platine, voire à le remplacer par des catalyseurs moins coûteux, à empêcher le vieillissement de la microstructure des matériaux en fonctionnement et à améliorer la conductivité ionique de l’électrolyte. À ce jour, le nafion* (membrane conductrice protonique) est communément utilisé dans les PEMFC.
7Les SOFC utilisent un électrolyte solide céramique qui doit fonctionner à haute température pour que la conductivité ionique des ions O2- soit suffisante. Cette membrane (15 - 100 microns) étanche aux gaz (O2 et H2) est revêtue d’un côté d’un matériau qui catalyse la réduction* de l’oxygène (côté cathodique) et de l’autre d’un matériau (à base de nickel) qui catalyse l’oxydation de l’hydrogène (côté anodique). Les problèmes à résoudre concernent l’optimisation des propriétés des matériaux, leur réactivité et leur évolution texturale. De nouvelles voies de recherche visent à développer des catalyseurs qui sont à la fois conducteurs des ions O2- et des électrons afin de délocaliser le point de triple contact. Un des points essentiel qui conditionne la durabilité de ces systèmes, est la maîtrise des problèmes de cyclage thermique. Ces piles sont principalement envisagées pour les systèmes stationnaires.
Éléments thermoélectriques
8Les systèmes thermoélectriques permettent de transformer la chaleur en électricité ou inversement de produire du froid. Ils utilisent l’effet Seebeck (production d’électricité) découvert en 1822 et son opposé l’effet Peltier (production de froid) découvert en 1834. Du point de vue physique, il s’agit d’un seul et unique phénomène qui résulte du déplacement des électrons lorsqu’un conducteur électronique est soumis à un gradient de température et, réciproquement, de l’apparition d’un gradient thermique lorsqu’un conducteur est soumis à un courant électrique. La réalisation pratique nécessite de disposer de deux conducteurs (n, conducteur par des électrons et p, conducteur par des trous*). La figure 3 donne un schéma de principe de ces systèmes. Il est à la base du fonctionnement des thermocouples qui permettent de mesurer avec précision les températures.
9Pour que le rendement énergétique soit significatif, les matériaux doivent présenter des propriétés physiques spécifiques : conductivité électronique élevée, fort pouvoir thermoélectrique et faible conductivité thermique. Dans la plupart des matériaux, ces propriétés sont antinomiques. Généralement, un bon conducteur électronique est également un bon conducteur thermique et présente un faible pouvoir thermoélectrique. Certains de ces matériaux sont connus et utilisés depuis des années. Ils ont notamment permis de fournir l’énergie des sondes spatiales qui, au-delà de Mars, ne reçoivent plus suffisamment d’énergie solaire pour fonctionner. Dans ces systèmes, un cœur de radio-isotopes s’échauffe en se désintégrant et constitue la source chaude. L’extérieur de la sonde exposé au froid intersidéral constitue la source froide. Un tel système a permis à Voyager de fonctionner pendant 35 ans et d’atteindre la limite du système solaire. Dans le cadre de la politique énergétique, l’application essentiellement envisagée à ce jour concerne la récupération de l’énergie thermique perdue (les deux tiers de l’énergie consommée par un véhicule sont perdus sous forme de chaleur). La production de froid est une autre application. Le réfrigérateur de demain n’aura ni liquide frigorifique ni compresseur. Pour que ces applications prennent leur essor à grande échelle, il faut trouver de nouveaux matériaux dont les propriétés satisfassent au cahier des charges défini précédemment. Il faut constater que dans les systèmes thermoélectriques il n’y a ni pièces en mouvement, ni réactions chimiques. Leur durée de vie est extrêmement longue, sans vieillissement significatif. Depuis quelques années, les recherches sur ces matériaux connaissent un développement considérable.
10Des recherches fondamentales sur les matériaux réalisées depuis plus d’un siècle pour certaines ont conduit à des applications qui permettent aujourd’hui de contribuer à résoudre nos problèmes énergétiques. Ce n’est qu’en continuant dans cette voie que nous découvrirons de nouvelles propriétés des matériaux, aujourd’hui inédites, qui seront les solutions des problèmes de demain.
Auteur
Chimiste et Électrochimiste du Solide, Directeur de Recherche au CNRS, ICMCB, Pessac.
delmas@icmcb-bordeaux.cnrs.fr
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2012