10. La catalyse
p. 60-61
Texte intégral
Principes et applications industrielles
1La catalyse est le processus qui permet d’accélérer les réactions chimiques, ou, en d’autres termes, d’abaisser les barrières d’énergie présentes lors du déroulement d’une réaction chimique (figure 1). Elle peut ainsi rendre possible des réactions permises par la thermodynamique mais impossible dans les conditions de pression et température du milieu expérimental. Le catalyseur* intervient au cours de la réaction mais n’intervient pas dans son bilan. Il est récupéré inchangé. Un exemple bien connu est celui du mélange hydrogène/oxygène. La réaction, très exothermique*, est impossible à température ambiante sans catalyseur mais l’ajout de mousse de platine la rend extrêmement rapide. C’est la même réaction qui est utilisée dans les piles à combustible, avec le même métal catalytique, ce qui démontre l’importance des transferts électroniques dans les réactions catalytiques.
2La catalyse permet d’hydrogéner (apport d’hydrogène H) des molécules organiques déficientes en hydrogène telles que l’éthylène en éthane, réaction qui possède une forte exothermicité. Cette réaction, découverte par Paul Sabatier, lui valut l’attribution du Prix Nobel en 1912. Il fut le premier à proposer un mécanisme pour cette réaction qui fait intervenir la dissociation de l’hydrogène sur la surface de nickel (Ni) et la formation de liaisons Ni-H. Cette hypothèse audacieuse fut confirmée par la suite. Pour expliquer l’activité des catalyseurs, Sabatier énonça le principe suivant : pour qu’un catalyseur soit efficace, les substrats et les produits doivent adhérer de manière convenable sur celuici. En d’autres termes, si un substrat ne se lie pas au catalyseur, la réaction n’a pas lieu et s’il se lie trop fortement, il restera bloqué sur le catalyseur qui ne pourra être régénéré. Ce principe « de bon sens » permet de prédire l’activité et d’optimiser les catalyseurs hétérogènes à partir de données physico-chimiques.
3La catalyse peut avoir lieu en solution (aqueuse ou organique) dans laquelle le catalyseur est soluble (catalyse homogène) ou en milieu multiphasique, en général solide/gaz ou solide/liquide (catalyse hétérogène). On distingue également la catalyse enzymatique qui fait intervenir des molécules biologiques (cf. V.14).
480 % des procédés utilisés dans les industries chimique et pharmaceutique font appel à une réaction catalytique. Les grands succès passés de la catalyse hétérogène sont en premier lieu la synthèse de l’ammoniac par hydrogénation directe de l’azote. Ce procédé (Haber-Bosch) a permis le développement des engrais contribuant à l’arrêt des grandes famines en Europe. Il a aussi permis le développement de la chimie de l’acide nitrique et celle des explosifs. Le second succès est sans conteste le raffinage pétrolier qui a permis la mise au point de carburants de formulation stable, notamment pour les transports routier et aéronautique. Notons ici que les préoccupations environnementales ont entraîné la mise au point de catalyseurs toujours plus efficaces, notamment en ce qui concerne l’élimination du soufre et de l’azote résiduels dans les pétroles. Après combustion dans les moteurs, ces éléments sont à l’origine d’oxydes de soufre et d’azote qui sont des gaz acides et toxiques. Sans ces catalyseurs, l’air des grandes métropoles serait au sens propre irrespirable. La catalyse homogène, elle, s’intéresse à de plus petits tonnages mais à des productions de beaucoup plus haute valeur ajoutée comme les intermédiaires de la chimie organique et surtout de la chimie pharmaceutique. Enfin, les catalyses hétérogène et homogène sont toutes deux utilisées pour le développement des matériaux organiques (matières plastiques, y compris les polymères modernes biodégradables) qui produisent une empreinte énergétique et environnementale réduite.
Catalyse et énergie
5La notion de catalyse est intimement liée aux problèmes d’énergie. En effet, la catalyse a pour effet : i) de diminuer l’apport énergétique nécessaire au déroulement d’une réaction chimique ; et ii) d’orienter les réactions chimiques pour les rendre sélectives. Dans le deuxième cas, cela permet d’utiliser toute la ressource en matière première (économie d’atomes) et d’éviter les étapes de séparation toujours coûteuses en énergie. La catalyse est tout aussi indispensable au développement des énergies renouvelables, notamment dans deux secteurs : la conversion de la biomasse et le stockage de l’énergie. En ce qui concerne la biomasse, elle intervient pour la production de biocarburants (cf. V.9) ou pour le développement d’une chimie bio-inspirée (cf. V.14), qui, à terme, pourrait prendre le relais de la pétrochimie. Les processus catalytiques sont présents soit directement, soit en aval de filières thermochimiques et font encore essentiellement appel aux processus d’hydrogénation.
6Un problème majeur est le stockage des énergies intermittentes. L’utilisation de l’énergie électrique produite par des éoliennes ou des dispositifs photovoltaïques pour la production d’hydrogène par électrolyse est une solution envisageable dès aujourd’hui, mais elle pose à son tour le problème du stockage de ce gaz qui est techniquement complexe.
7La formation d’hydrocarbures liquides est le moyen de stockage le plus efficace et le plus facile en terme d’utilisations (figure 2), ce qui explique le succès du pétrole au XXe siècle. La formation de méthane est une alternative dans la mesure où ce gaz peut être directement intégré dans les réseaux actuels de transport et de distribution. Ceci explique le regain d’intérêt pour les synthèses Fischer-Tropsch qui permettent la transformation du gaz de synthèse provenant à l’heure actuelle de diverses sources (charbon, biomasse...) en hydrocarbures liquides. Une alternative est l’utilisation du dioxyde de carbone piégé (si les procédés de capture se mettent en place) pour le transformer par réaction de Sabatier : 4H2 + CO2 → CH4 + 2H2O
8Des approches alternatives se mettent en place qui utilisent des relais d’hydrogène, c’est-à-dire des molécules capables de capter et de relarguer l’hydrogène dans des conditions douces facilitant ainsi son utilisation (température < 100 °C). Une nouvelle filière très prometteuse a récemment été développée par une équipe allemande de l’Institut de la catalyse de Leibniz. Elle permet d’utiliser le CO2 pour stocker l’hydrogène sous forme d’acide formique. Cette réaction a lieu en solution (catalyse homogène), utilise un catalyseur à base de fer et est réversible. L’acide formique, liquide et non toxique pourrait ensuite être utilisé comme vecteur d’hydrogène dans diverses applications, notamment de type pile à combustible : H2 + CO2 → HCOOH
9Enfin, depuis plus de trente ans la recherche est très active dans le domaine de la photodissociation de l’eau en hydrogène et oxygène utilisant des procédés catalytiques.
10En conclusion, les procédés catalytiques sont indissociables de la filière énergétique actuelle et de toute prospective en matière d’énergie. Ils interviennent aujourd’hui dans la production de la majorité des produits de première nécessité (fibres textiles, matériaux usuels, électronique...). L’accroissement de l’efficacité des processus catalytiques a d’ores et déjà permis d’apporter des solutions pour réduire la demande en énergie et la production de résidus polluants. La catalyse intervient également directement dans les processus de conversion et de stockage d’énergie. De plus, de nouveaux procédés faisant appel d’une part aux nanotechnologies, permettant ainsi de coupler propriétés physiques et chimiques, et d’autre part à une approche bio-inspirée (cf. V.14) sont aujourd’hui à l’étude. Cette recherche pourrait conduire à une meilleure efficacité dans la conversion et l’utilisation des énergies renouvelables (notamment solaire et éolienne).
Bibliographie
Référence bibliographique
• G. A. SOMORJAI et M.-P. DELPLANCK – Chimie des surfaces et catalyse, Ediscience International, 1995.
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L'énergie à découvert
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