9. La combustion
p. 58-59
Texte intégral
1La combustion est certainement une des sources de la civilisation. L’homme maîtrise le feu depuis un demi-million d’années, mais il ne sait réaliser l’allumage que depuis 30 000 ans seulement. La compréhension des mécanismes, elle, est bien plus récente. Des théories comme celle du phlogistique n’avaient aucun fondement scientifique. C’est Lavoisier qui propose une représentation cohérente des réactions chimiques. Un siècle plus tard, la première théorie des flammes est présentée par Mallard et Le Chatelier. La théorie moderne des flammes et des détonations issue des travaux de Zeldovich, et Frank-Kamenetsky, Chapman, Jouguet et von Neumann réalisés dans la première moitié du XXe siècle a remarquablement progressé à partir des années 1970. La combustion est aujourd’hui essentielle aux activités humaines, elle fournit l’énergie des automobiles, fait voler les avions et les fusées, procure la majeure partie de l’énergie dans le monde. Sur 12,7 Gtep d’énergie primaire* en 2010, la combustion intervient pour 11 Gtep, soit environ 85 % du total. La combustion intervient dans des procédés essentiels comme la production de ciment, de verre et dans l’élaboration de la plus grande partie des matériaux métalliques. Ces aspects positifs peuvent cependant être accompagnés de risques tels que les feux, les incendies, les explosions ou encore la pollution. Un objectif constant dans le domaine est d’augmenter l’efficacité en réduisant les émissions polluantes et en améliorant la fiabilité et la sécurité du procédé. Une difficulté majeure pour l’avenir, largement sous-estimée, sera de réussir à remplacer les énergies fossiles dans un grand nombre d’applications. On peut augmenter la part des carburants issus de la biomasse mais leur production demande de l’énergie et les quantités qui pourraient être élaborées sont limitées. Pour des applications comme celles de la propulsion aéronautique et spatiale ou encore celle du commerce maritime, il n’y a pas d’alternative à l’utilisation de la combustion.
Qu’est-ce qu’une flamme ?
2Quel que soit le mode de combustion, les flammes sont des zones minces dans lesquelles des réactions chimiques rapides entre un oxydant et un combustible* dégagent une grande quantité de chaleur très souvent accompagnée d’une émission de lumière. La réaction chimique est fortement exothermique*. Ainsi, la combustion de méthane avec de l’air dégage 50 MJ/kg. La plupart des alcanes* ont un pouvoir calorifique* qui se situe autour de 40 MJ/kg alors que la combustion de l’hydrogène produit 120 MJ/kg. Ces énergies massiques sont considérables et très supérieures à celles que l’on peut stocker par voie électrochimique, soit environ 0,7 MJ/kg dans les meilleures batteries électriques (la comparaison devrait être faite en tenant compte des rendements d’utilisation de ces deux formes d’énergie différentes que sont la chaleur et l’électricité). On considère ainsi qu’une tonne équivalent pétrole (tep) correspond à une énergie de 42 GJ. Dans la majeure partie des applications, la combustion est réalisée par le biais de flammes lentes dites « déflagrations ». Au travers de la flamme, la pression est quasiment constante et la vitesse de propagation est modérée (de l’ordre du m/s). Le second mode de combustion est celui des flammes rapides dites « détonations », caractérisées par une zone de réaction couplée à une onde de choc. Les détonations se propagent à des vitesses de plusieurs milliers de m/s et elles sont accompagnées par une variation brutale de la pression. Au-delà des applications militaires, les détonations sont étudiées dans le domaine de la sécurité. On considère ici uniquement le cas des flammes lentes. Il est naturel de distinguer trois types de situations : (1) les flammes formées à partir de réactifs initialement séparés (les flammes non-prémélangées, à droite sur la figure 1), (2) les flammes formées à partir d’un mélange initial (les flammes prémélangées, à gauche sur la figure 1) et (3) les flammes partiellement prémélangées (les trois autres flammes de la figure 1). Le premier mode de combustion, celui que l’on trouve dans la nature, est le plus sûr mais l’intensité de la combustion est souvent faible et la flamme émet beaucoup de polluants (espèces aromatiques*, suies, oxydes d’azote). La combustion naturelle est aussi la plus polluante ! La combustion prémélangée, plus artificielle, consiste à réaliser le mélange avant la combustion. Les flammes prémélangées sont généralement plus propres car on peut réduire la température de flamme et ainsi diminuer radicalement les niveaux d’émission d’oxydes d’azote.
Approche scientifique
3L’analyse de la combustion nécessite une combinaison de disciplines aussi variées que la dynamique des fluides, la physico-chimie et la cinétique de réactions, la thermodynamique et les phénomènes de transport. Les difficultés de ces domaines sont ainsi intimement cumulées. La chimie de la combustion fait intervenir des dizaines à des centaines d’espèces et des dizaines à des milliers de réactions. Les vitesses de réaction qui déterminent les taux de conversion des espèces suivent des lois exponentielles par rapport à la température (les lois d’Arrhenius*). Cette propriété fait que les problèmes de combustion sont mathématiquement « raides ». Les zones de réaction sont minces, quelques dixièmes de millimètre à peine, mais l’écoulement est le plus souvent turbulent*, donnant aux problèmes de combustion un caractère multi-échelle*. La combustion turbulente est d’une grande complexité mais il est nécessaire de la comprendre car c’est elle qui permet d’augmenter les taux de conversion des réactifs et qui est utilisée dans presque toutes les applications courantes (énergie, procédés, automobile, aéronautique…). Pour envisager des problèmes de combustion aussi difficiles, il faut combiner théorie, expérimentation, modélisation et simulation. La modélisation complète les capacités de la simulation dans l’analyse de la turbulence. La recherche a permis des progrès considérables.
4Sur le plan théorique, les avancées ont été réalisées en tirant partie du fait que les réactions chimiques ont une énergie d’activation* élevée ce qui permet l’utilisation de développements asymptotiques. Des recherches ont également été conduites dans le domaine des diagnostics laser exploitant les possibilités offertes par le rayonnement cohérent et l’acquisition d’images numériques. On dispose ainsi de visualisations de flammes et de mesures de champs de vitesses, de température et d’espèces sans qu’il soit nécessaire de placer une sonde dans l’écoulement (figure 2). Enfin, dans le calcul des flammes, la combustion numérique a permis l’analyse détaillée des structures de flammes, la prise en compte de schémas cinétiques détaillés, le calcul de flammes turbulentes de plus en plus complexes. Les développements les plus récents s’appuient sur la simulation des grandes échelles pour analyser la dynamique de la combustion, la formation des polluants et le couplage avec le transfert radiatif. On sait maintenant simuler des flammes turbulentes dans les conditions les plus difficiles : celles des moteurs automobiles, des foyers de turbines à gaz ou des moteurs fusées. Dans ces derniers, le fonctionnement s’effectue à des pressions qui dépassent la valeur critique. Le problème de la turbulence n’est pas résolu sur le fond mais le calcul des écoulements réactifs turbulents a progressé d’une façon étonnante et il est possible d’envisager des applications de plus en plus réalistes.
Bibliographie
Référence bibliographique
• L. BOYER – Feux et flammes, Belin, 2006.
Auteurs
Physicien, Professeur à l’École Centrale Paris, Membre de l’Académie des Sciences, Membre de l’Académie des Technologies, EM2C, Châtenay-Malabry.
sebastien.candel@ecp.fr
Ingénieur de Recherche, EM2C, CNRS, École Centrale Paris, Châtenay-Malabry.
daniel.durox@ecp.fr
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