3. L’énergie : aspects thermodynamiques
p. 42-43
Texte intégral
Irréversibilité et thermodynamique
1Un œuf roule sur une table, tombe par terre et se casse. Ceci est fâcheux, mais parfaitement acceptable physiquement. En revanche, on n’a jamais vu un œuf cassé, se reconstituer et sauter sur la table au-dessus de lui. Ces processus, qui ne se déroulent que dans un sens du temps, sont appelés irréversibles. En physique, la notion d’irréversibilité est directement reliée au second principe de la thermo-dynamique, qui nous enseigne que les différentes formes d’énergie (cf. II. 2) ne sont pas sur un pied d’égalité. En essence, ce principe traduit le fait que, s’il est facile de transformer de l’énergie cinétique en énergie interne (par exemple, lorsque l’on freine à vélo, la température des freins et des roues augmente), l’inverse ne peut se faire que sous certaines conditions. La discussion est menée dans le cadre des moteurs thermiques et nous amènera à introduire la notion d’entropie*.
2Deux concepts simples sous-tendent le second principe : travail et chaleur. Lorsque deux systèmes sont mis en contact, on dit qu’ils échangent de l’énergie sous forme de travail (W) si cet échange affecte le mouvement d’un objet. Par exemple, l’eau fournit de l’énergie sous forme de travail lorsqu’elle fait tourner une turbine. La seconde forme d’échange d’énergie est la chaleur (Q), qui intervient lorsque deux objets à des températures différentes sont mis en contact.
Le second principe
3Une des nombreuses formulations du second principe est la suivante : « il n’existe pas de moteur thermique monotherme ». Dans l’idéalisation dans laquelle on se place ici, un moteur est une machine qui fournit au monde extérieur de l’énergie sous forme de travail. Cette machine fonctionne de manière cyclique : après un cycle, le moteur revient à son état initial et il n’y a donc pas de variation d’énergie interne du moteur. Par conséquent l’énergie fournie sous forme de travail a entièrement été reçue sous forme de chaleur. Finalement, « monotherme » indique que ce moteur est en contact avec un réservoir unique dont la température est fixée.
4Si le moteur monotherme n’existe pas, considérons maintenant un moteur ditherme, qui est, lui, mis en contact avec un réservoir chaud de température T1 et un réservoir froid de température T2 (figure a). Le moteur reçoit une quantité d’énergie Q1 du réservoir chaud sous forme de chaleur. Une partie (Q2) de cette énergie est rejetée vers le réservoir froid et le reste (W) correspond au travail produit par le moteur. Ici, Q1 correspond à l’énergie que l’on fournit au moteur (par exemple en brûlant de l’essence) et le travail est la partie utile de l’énergie que restitue le moteur. Pour comparer la qualité des moteurs dithermes, il est intéressant d’introduire le rendement R = W / Q1 : plus le rendement est grand, plus le moteur est efficace.
5Le second principe de la thermodynamique implique que, pour des températures T1 et T2 données, il existe un rendement maximal Rm, qu’aucun moteur ditherme ne peut dépasser. De plus, les moteurs dont le rendement atteint cette valeur optimale sont réversibles : on peut les faire fonctionner « à l’envers », en retournant le sens des échanges d’énergie (figure b). En revanche, tous les autres moteurs (irréversibles) ont des rendements plus faibles que cette limite théorique. Comment se comporte le moteur réversible, fonctionnant « à l’envers » ? La machine reçoit maintenant de l’énergie sous forme de travail. Elle extrait de l’énergie du réservoir de basse température et rejette l’ensemble de l’énergie reçue vers le réservoir chaud. Ceci décrit le fonctionnement d’un réfrigérateur.
6Faisons maintenant fonctionner de façon couplée un moteur quelconque et notre moteur réversible, fonctionnant en mode réfrigérateur (figure c), de telle sorte que l’énergie Q1 rejetée par le réfrigérateur dans le réservoir chaud soit entièrement injectée dans le moteur. Au cours d’un cycle, la variation d’énergie du réservoir chaud sera donc nulle (globalement, il n’y a pas d’échange d’énergie avec ce réservoir), de sorte que l’ensemble des deux machines se comporte comme une machine monotherme. Le second principe s’applique donc : cette machine ne peut pas être un moteur monotherme, ce qui implique que le travail fourni par le moteur est moindre que le travail reçu par le réfrigérateur. On en conclut que le rendement du moteur quelconque est plus faible que celui d’un moteur réversible.
7Le même type de raisonnement conduit au résultat que tous les moteurs réversibles ont le même rendement et l’on peut donc calculer Rm en utilisant un moteur ditherme réversible particulier. Un type de moteur ditherme donne lieu à des calculs particulièrement simples : on considère un gaz parfait soumis à un ensemble de transformations connu sous le nom de cycle de Carnot*. Un calcul élémentaire donne Rm = 1 - T2 / T1, où les températures sont exprimées en degrés Kelvin. On voit que si les réservoirs sont à des températures proches, le rendement maximal est faible. Le rendement est par ailleurs toujours plus petit que 1, ce qui signifie que l’on ne peut pas transformer toute la chaleur reçue de la source chaude en travail.
Entropie
8Nous sommes finalement en position de quantifier le niveau d’irréversibilité du moteur. En utilisant la forme du rendement maximal, on déduit facilement l’inégalité : Q2 / T2 – Q1 / T1 ≥ 0, l’égalité étant atteinte pour un moteur réversible. On introduit l’entropie* S, définie de telle sorte que le premier terme correspond à la variation d’entropie ∆S1 du réservoir chaud et le second terme à la variation ∆S2 du réservoir froid. L’inégalité s’interprète alors en disant que l’entropie a diminué dans le réservoir chaud et augmenté dans le réservoir froid, mais que l’entropie totale ∆(S1 + S2) ne peut que croître. La variation d’entropie est par ailleurs nulle lorsque le processus physique est réversible. La variation d’entropie est dans ce sens un indicateur de l’irréversibilité d’un processus.
9Ces principes se généralisent à des situations plus complexes, mais les propriétés principales sont inchangées. D’une manière très générale, l’entropie d’un système isolé ne peut pas décroître lors d’un processus physique (∆S ≥ 0) et si l’entropie n’est pas changée, le processus considéré est réversible. Cette assertion, utilisée comme postulat, donne une autre formulation du second principe de la thermodynamique.
Entropie et physique statistique
10La notion d’entropie a été introduite par Clausius au milieu du XIXe siècle, mais les travaux de Boltzmann, qui fondent la physique statistique, en ont donné un éclairage radicalement nouveau. Au niveau macroscopique, les propriétés d’un corps (par exemple un gaz) sont décrites par un nombre relativement faible de paramètres (volume, énergie, etc.). Du fait du grand nombre de constituants élémentaires du système (de l’ordre de 1023 particules), il existe un nombre prodigieusement grand de configurations microscopiques (appelées micro-états) compatibles avec ces caractéristiques macroscopiques. L’entropie donne une mesure de ce nombre de micro-états. Le second principe prend alors un caractère probabiliste : si l’entropie a tendance à augmenter dans un système isolé, c’est parce que l’état de grande entropie est associé à un plus grand nombre de micro-états et a donc une probabilité plus grande d’être réalisé. La probabilité de voir baisser l’entropie est tellement faible que ce processus ne se déroulera jamais dans les échelles de temps accessibles à l’expérience.
Bibliographie
Références bibliographiques
• R. P. FEYNMAN, R. B. LEIGHTON et M. SANDS – Le cours de physique de Feynman, Mécanique, Tome 2, Bilingua Addison Wesley, 1969.
• F. REIF – Physique statistique, Berkeley, Volume 5, Armand Colin, 1994.
• M. W. ZEMANSKY – Heat and thermodynamics, McGraw-Hill, 1957.
Auteur
Physicien, Maître de Conférences à l’Université Pierre et Marie Curie, LPTMC, Paris.
tissier@lptmc.jussieu.fr
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L'archéologie à découvert
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2012