6. Dans la jungle des grandeurs et des unités
p. 34-35
Texte intégral
1Les discussions sur l’énergie sont souvent difficiles à aborder en raison de la prolifération d’unités utilisées par les spécialistes pour exprimer les différentes grandeurs qui la caractérisent ; il convient donc de se donner ici quelques clés pour la lecture du présent ouvrage. L’énergie est un concept transversal, utilisé en physique, biologie, diététique, etc. Chaque branche des sciences a son unité de mesure privilégiée de sorte que l’on peut détourner le dicton : « dis-moi quelle unité tu utilises, je te dirai qui tu es ». Le tableau présente quelques-unes de ces unités, en les associant aux domaines dans lesquels on les utilise couramment. Elles sont exprimées en joule*, l’unité du système international, ce qui permet ensuite de les convertir entre elles si besoin. On notera sur la figure qu’elles recouvrent des ordres de grandeur tellement différents (du microscopique au macroscopique) qu’il faut utiliser une échelle logarithmique pour les faire tenir sur un même axe.
Puissance et énergie
2Une analogie simple pour distinguer énergie et puissance* est le volume d’eau qui coule d’un robinet pendant un temps donné. Si le volume résultant représente l’énergie, la puissance est le débit du robinet : s’il est fort, on remplira un récipient d’un litre en une seconde… s’il est faible, il faudra plusieurs minutes. En d’autres termes, la puissance est le taux auquel l’énergie est consommée ou produite.
3Pour apprécier les ordres de grandeur en jeu, prenons quelques exemples (tirés des ouvrages cités dans l’encadré). L’unité scientifique pour l’énergie est le joule : sans entrer dans sa définition précise, on notera que c’est à peu près l’énergie dépensée pour élever, sur Terre, 1 kg d’une hauteur de 10 cm. Cependant la forme la plus courante est le kilowatt-heure (kWh) ; c’est celle qui est mentionnée sur les factures d’électricité et qui coûte en France de l’ordre de 10 centimes d’euros. Beaucoup de gestes de la vie quotidienne mobilisent des kWh… qui s’ajoutent pour constituer la facture finale. L’unité officielle de puissance est le watt*. Une ampoule de 40 W (puissance) allumée en continu consommera ainsi 0,96 kWh (énergie) en une journée. Si un grille-pain a une puissance de 1 000 W (1 kW), une centrale énergétique fournissant une puissance de 1 gigawatt (109 W) pourra donc alimenter un million de grille-pain simultanément. Si ceux-ci sont allumés pendant une heure, ou de façon équivalente 1 000 grille-pains, mais alors pendant 1 000 heures, l’énergie consommée sera d’un gigawatt-heure (GWh).
4Utilisée quotidiennement pour couvrir une distance de 50 km, une voiture berline familiale consommant 8 litres pour 100 km, consommera environ 40 kWh soit l’équivalent de 40 ampoules de 40 W allumées en continu sur 24 heures.. Et comme il faut bien retourner travailler le lendemain, il faut imaginer que 50 km quotidiens signifient ne jamais éteindre les 40 ampoules ! À la maison, l’utilisation d’une bouilloire électrique (3 kW) 20 minutes par jour consomme autant que l’ampoule de 40 W allumée toute la journée.
5Il est enfin instructif de comparer les énergies mécaniques et thermiques, car le résultat n’est pas nécessairement intuitif. Ainsi, l’énergie cinétique (et non plus sa consommation en énergie comme indiquée plus haut) d’une voiture d’une tonne roulant à 100 km/h vaut environ 0,1 kWh, l’ordre de grandeur de l’énergie thermique qu’il faut apporter à 5 litres d’eau pour élever sa température de 20 degrés.
Indicateurs, se méfier des apparences…
6À partir de données « brutes » sont construits moult « indicateurs » servant à présenter ou comparer des filières, ou bien à alimenter en entrée et décrire en sortie des scénarios de transition énergétique. Chiffres, tableaux, histogrammes, une quantité impressionnante de données peuple ainsi les livres et les argumentaires (et le présent ouvrage ne fait pas exception). Si l’on fait l’hypothèse que ces chiffres, lorsque cités par une source réputée sérieuse, sont corrects, ils ne devraient pas pour autant, sans une nécessaire réflexion, ni en eux-mêmes forger une conviction ni engendrer automatiquement une prise de décision.
7Prenons l’exemple, apparemment simple, des densités d’énergie ou de puissance, afin éventuellement de comparer une énergie de stock (pétrole) et de flux (photovoltaïque). Ici « densité » veut dire que l’on pondère la grandeur en question par une autre mesure (masse, volume, surface…). Faut-il alors simplement considérer la masse du matériau actif (le pétrole qui brûle ou le silicium* qui convertit la lumière* en énergie), ou intégrer toute la matière qui a permis cette conversion, comme l’ensemble du dispositif du panneau solaire. Cependant, une comparaison fine ne devrait-elle pas dans ce cas compter la matière utile pour extraire et transporter le pétrole, puisque le Soleil de son côté le fait sans effort ? On sent bien qu’il y a là au moins matière à réflexion. Et quand bien même se mettrait-on d’accord sur ces points, faut-il plutôt considérer l’énergie ou la puissance comme base de calcul de l’indicateur ? La matière fossile disparaît après combustion, alors que le silicium du panneau, convertisseur d’énergie, va convertir l’énergie pendant plus de 20 ans. Comment et pourquoi faire intervenir la durée, qui précisément différencie la puissance et l’énergie ? Encore matière à débat ! Et pourtant ne s’agit-il ici que d’indicateurs basés sur des unités « physiques », à des fins de comparaison. Mais cette simple interrogation devient un débat scientifique non tranché, pour les économistes construisant les scénarios énergétiques, entre ceux qui privilégient des approches multicritères, avec ou sans pondération finale des critères, et ceux qui optent pour la version monétarisée agrégée, où seuls interviennent les coûts totaux actualisés des différentes options. En résumé si les indicateurs sont utiles, voir indispensables pour se repérer, il conviendra toujours d’en interroger le mode de fabrication et la part de subjectivité dans leur utilisation.
Bibliographie
Références bibliographiques
• D. MACKAY – Energy without hot air, téléchargeable en anglais sur www.withouthotair.com, ainsi qu’un synopsis traduit en 10 langues dont le français.
• J.-L. BASDEVANT – Maîtriser le nucléaire, Eyrolles, 2012.
Auteurs
Océanographe, Géochimiste, Directrice de Recherche au CNRS, LEGOS, Toulouse.
catherine.jeandel@legos.obs-mip.fr
Physicien, Maître de Conférences à l’Université Pierre et Marie Curie, LPTMC, Paris.
tissier@lptmc.jussieu.fr
Physicien, Directeur de Recherche au CNRS, LPTMC, Paris.
remy.mosseri@upmc.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012