29. Art, création et développement durable
p. 328-329
Texte intégral
1L’idée d’associer l’art et le développement durable pointe la nécessité de renouveler les représentations et pratiques artistiques à partir de la réflexion écologique au sens large, mais aussi à partir d’une demande sociale adressée aux artistes. Elle pointe également l’attrait des idées écologistes pour de nombreux artistes.
2La richesse du mouvement d’art « environnemental » ou « écologique », selon l’usage des termes, n’est plus à démontrer et manifeste un renouvellement de l’environnementalisme axé sur la créativité et, non plus seulement, sur le risque, les contraintes, les limites. Un rapport de l’UNESCO ainsi que de nombreux projets (Projet Cape Farewell, l’expédition d’artistes aux pôles, la Biennale de la fin du monde) et de nombreuses expositions entérinent la tendance : Über Lebenskunst à Berlin, Nature’s Toolbox : Biodiversity, Art an Invention aux États-Unis, Acclimatation à la Villa Arson en France, Greenwashing à Turin en 2008, Environment : Perils, Promises an Perplexities à la Fondation Sandretto Rebaudengo en Italie, Earth : Art for Changing Planet à la Royal Academy de Londres, Radical Nature, au centre Barbican à Londres. Un prix (Pictet) a même été créé pour la photographie et le développement durable en France…
L’art comme signal d’alerte
3Parallèlement à la multitude d’interventions artistiques, la mise en place d’une communauté d’artistes, impliqués via le développement de plateformes, de centres de ressources et de réseaux sociaux, caractérise le phénomène et met en avant une volonté de réassocier les pratiques artistiques aux pratiques scientifiques et de donner un rôle à la culture dans le développement durable. Ainsi, au niveau européen, le réseau Imagine 2020 fait figure d’exemple : créé par six organisations culturelles européennes et comptant aujourd’hui onze membres, il encourage et stimule les artistes comme le public à s’engager d’une manière créative sur les défis du XXIe siècle. Aujourd’hui, la présence de l’art est perçue comme nécessaire à l’intégration immatérielle et sensible des enjeux du développement durable, et elle offre une alternative à la place consacrée à la science dans la résolution des problèmes environnementaux.
4L’ensemble de ces manifestations artistiques témoigne ainsi de la nécessité de rouvrir le champ des pratiques écologiques en y incluant l’art et, surtout les artistes, comme étant les « signaux faibles » d’un changement culturel. Les artistes considérés comme des expérimentateurs d’objets, porteurs d’un nouveau regard sur l’environnement, tournés vers le public, constituent aussi une respiration possible dans un espace public à l’aménagement très normatif. Certains objets d’art répondent à des défis environnementaux, d’autres tentent de revoir nos perceptions et codes de l’environnement, tels les travaux récents de Laurent Tixador, Robinson Crusoe contemporain (figure), ou du groupement d’artistes français « Art Orienté Objet ». Plus encore, il s’agit même de revisiter les modalités de ce qui fait art : l’exposition, le musée, le marché de l’art, la question de l’objet… Le travail de Barbara Hashimoto témoigne d’une double critique : écologique et socio-politique. La culture du bois remplace de très riches écosystèmes par des monocultures épuisant les ressources locales et destinées à l’exportation. Ces plantations utilisées comme des puits de carbone dans les échanges internationaux fragilisent les communautés locales. Aujourd’hui, en France, plus de la moitié de la pâte à papier provient des plantations en monoculture. Chaque année aussi, une boîte aux lettres française reçoit 40 kg de papiers publicitaires, qui finissent à la poubelle, ce qui représente environ 850 000 tonnes. Les coûts de recyclage du papier sont pris en charge essentiellement par les citoyens, bien plus que par les entreprises à l’origine de ces déchets. Une association environnementaliste (associée au World Rainforest Movement) et une association antipub ont collaboré avec une artiste, une école et un musée, afin de promouvoir une installation artistique attirant l’attention sur ce problème. Les élèves ont collecté le « courrier poubelle » pendant plus d’un an. Barbara Hashimoto et des volontaires ont déchiré le papier et l’ont exposé aux regards. Cette action soutenue par deux programmes nationaux de radio a reçu une récompense de la ville de Chicago en reconnaissance de l’implication de l’artiste avec les communautés locales. Elle n’a reçu aucun budget : chaque partenaire faisant appel à des formes variées d’économies alternatives et un intérêt commun pour l’expérience elle-même en termes d’apprentissage ludique et la prise de conscience qui pouvait en découler.
L’esthétique environnementale
5Outre ces pratiques artistiques, il s’agit bien d’instruire le dossier des cultures et de l’environnement, de l’écologie et du développement durable. Culture et développement durable sont essentiellement traités suivant les angles suivants : les modes de gestion des ressources aux fins d’en chercher l’utilisation optimale ; l’impact des infrastructures culturelles ou de l’industrie culturelle sur le développement durable ; les rapports entre culture, apprentissage, éducation et développement humain durable localisé principalement dans les pays du Sud ; le tourisme et le développement durable ; les rapports nature-culture ; les coévolutions ou les systèmes socionaturels en interaction ; la culture, un pilier du développement durable.
6L’attention doit porter sur les pratiques ordinaires initiées par les habitants eux-mêmes, qui se développent en dehors de la sphère artistique, mais dont l’existence pourrait témoigner d’une culture de la durabilité. Des pratiques, telles que les jardins partagés, les guérillas jardinières – qui consistent à planter des végétaux de façon illicite dans des espaces négligés, publics ou privés de la ville – ou encore l’habitat groupé, qui s’élaborent en réponse à des problèmes environnementaux, sociaux et/ou économiques, s’apparentent ainsi à ce qu’on pourrait appeler une « créativité environnementale », dont il reste encore à cerner les modes de fonctionnement et le statut par rapport aux politiques publiques en charge de l’espace urbain. L’esthétique environnementale, domaine de recherche original et nouveau, contribue ainsi à une exploration complémentaire d’une facette de la culture, documentée à partir des pratiques relevant de la vie courante des habitants. Il s’agit bien de sortir l’art de l’exception pour associer l’expérience esthétique à la vie ordinaire. Il s’agit aussi de sortir la créativité du champ de l’art et d’étudier la fécondité des approches associant créativités ordinaires et environnement et développement durable.
7En somme, traiter des cultures du développement durable ou de l’art et du développement durable, c’est traiter d’aspects souvent négligés du développement durable et, pourtant, en pleine expansion. Ne peut-on penser que leur pertinence est d’enrichir notre compréhension de l’avenir comme un possible écologique ?
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
10.3917/quae.blanc.2008.01 :• N. BLANC – Vers une esthétique environnementale, Éditions Quae, 2008.
• N. BLANC – Indisciplines, Presses de Hunan, 2013.
• N. BLANC et J. RAMOS – Écoplasties. Art et environnement, Éditions Manuella, 2010.
Auteur
Géographe, Directrice de Recherche au CNRS, Co animatrice du Programme ANR « TrameVerteUrbaine », LADYSS, Paris.
nathali.blanc@wanadoo.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012