L’habitation stentinellienne en Calabre
p. 407-411
Résumés
Dans la région d’Acconia, en Calabre, un travail intense de prospection a abouti à la reconnaissance de plusieurs habitats de la culture de Stentinello, couvrant chacun une superficie de 1 hectare ou plus et souvent distants de moins de mille mètres. Ces habitats, établis sur des dunes, possédaient des maisons en clayonnage et torchis de plan rectangulaire, repérés par prospection, par magnétomètre, par des forages et des fouilles. Dans le cas de la zone H de Piana di Curinga, les fragments de torchis cotés permettent de préciser le plan d’habitation et ses techniques de construction.
In the region of Acconia (Calabria), a series of repented, programmed surveys revealed several habitats of the Stentinello Culture, each covering a surface of about 1 hectare, and offen less than 1 km apart. Thèse occupation sites, located on dunes, contain rectangular wattle-and-daub houses, identif ied by magnetometer sur-vey borings and excavation. At Piana di Curinga (zone H), excavations revealed details about the site plan and construction techniques.
Texte intégral
1Cette communication résume certains résultats de nos récentes recherches sur les structures d’habitat en Calabre, une province qui s’étend au Sud de l’Italie et qui constitue le pied de la botte italienne. Nous nous intéresserons à la structuration spatiale de l’habitat de l’époque stentinellienne, plus particulièrement dans la zone de dunes près d’Acconia, sur la côte ouest de la Calabre. L’un des vrais défis de l’étude des structures d’habitations néolithiques est la nécessité de développer l’analyse sur quatre niveaux d’organisation de l’espace, emboîtés les uns dans les autres. Ce sont :
Les plans des habitations individuelles, y compris leurs structures plus petites associées à l’activité domestique (foyers, fosses, etc...).
La répartition des habitats et des structures domestiques dans l’habitat.
La répartition des habitats, cette fois dans une aire locale ou une localité définies.
La répartition dans une région plus large de localités avec preuves de cette occupation.
2Dans cette présentation nous examinerons d’abord le niveau régional, puis nous progresserons en sens inverse jusqu’au niveau des structures d’habitat. Faute de temps, nous ne pouvons qu’introduire ici un nombre limité d’éléments indicateurs de chacun de ces quatre niveaux. Notre objectif est d’élaborer une vue d’ensemble de nos connaissances actuelles sur les structures d’habitats de Stentinello en Calabre.
3La céramique stentinellienne, qui fait partie des diverses traditions néolithiques à poterie imprimée de la zone méditerranéenne, est connue pour ses motifs décoratifs élaborés. Leurs artisans ont utilisé, par exemple, jusqu’à cinq différents poinçons et outils pour exécuter la décoration d’un seul vase (Ammerman, 1983). Jusqu’à ces dernières années, l’âge réel du matériel stentinellien est resté en cause, en raison de l’absence de datations C14 des habitats de Sicile (Bernabô Brea et Cavalier, 1980). Une série récente de datations C14 des habitats d’Acconia indique que l’occupation stentinellienne à cet endroit occupait presque tout le Ve millénaire b.c. Alors qu’on connaissait un bon nombre de gisements stentinelliens en Sicile depuis un certain temps (Bernabò Brea, 1958), on savait peu de choses sur cette occupation en Calabre (Tiné, 1964 ; Cardini, 1970). Cette situation a considérablement changé à la suite des prospections programmées effectuées dans la région (Calabria Survey) commencées en 1974 (Ammerman, 1979 ; Ammerman et Shaffer, 1981). Il y a à présent douze localités en Calabre dans lesquelles on a retrouvé de la céramique Stentinello (Fig. 1).
4Comme on n’a jusqu’à présent effectué qu’une petite partie du travail d’étude systématique, il est probable que la répartition montrée ici ne représente qu’une fraction des localités de Calabre possédant un habitat stentinellien. S’il est ainsi prématuré d’établir pour l’instant des remarques générales au niveau régional, nous pouvons dire toutefois que les gisements stentinelliens peuvent habituellement être identifiés dans des zones propices, en termes écologiques, à des formes néolithiques d’agriculture, si l’on emploie des méthodes de prospection appropriées.
5Considérons maintenant la région d’Acconia, située sur le Golfe de Saint Euphémie, comme exemple du troisième niveau. Sur la carte physiographique de la plaine de Saint Euphénie préparée par Remmelzwaal (1984), on peut observer quatre unités principales :
les reliefs les plus élevés de l’intérieur datent géologiquement de l’ère paléozoïque ;
les terrasses fluviatiles formées au Pleistocène ;
les trois dunes (Fig. 2) formées à la fin du Pleistocène, qui recouvrent partiellement des terrasses fluviatiles
la plaine côtière, holocène, qui s’est formée principalement pendant les trois derniers millénaires.
6Des études détaillées du sol de la dune, faites par Remmelzwaal, font partie du travail de prospections et de fouilles à Acconia. L’accroissement progressif des dépôts par l’arrivée intermittente, mais régulière, de sable ainsi que par la pédogenèse est en fait la cause de la remarquable conservation des habitats néolithiques. L’épaisseur des divers horizons de paléosols peut être évaluée de un à deux mètres. Le matériel stentinellien provient habituellement du paléosol le plus ancien. Chaque habitat Stentinello à Acconia se trouve en association avec l’une des trois dunes (Fig. 2). Il convient de remarquer ici que ce schéma n’a pu être obtenu qu’au prix d’un travail de prospections programmées, intensives et répétées (Ammerman, 1984). L’emplacement de prédilection d’un habitat semblerait être près du bord d’une dune ou à proximité d’un petit ruisseau. Cinq des gisements couvrent chacun une superficie d’un hectare ou plus. Quant à la distance entre gisements adjacents, elle est souvent de moins de mille mètres. Les habitats i et 1 sont les deux habitats qui ont reçu le plus d’attention pour ce qui est du deuxième niveau d’organisation de l’espace, c’est-à-dire le nombre et la disposition des structures d’habitat.
7En plus de la céramique, des outils en obsidienne el d’autres détritus domestiques, on voit généralement à la surface des divers gisements d’Acconia des fragments de torchis brûlé qui sont les restes d’habitations écroulées, faites de clayonnage enduit de torchis. Quand on a commencé les travaux de fouilles à Piana di Curinga, la question s’est posée de savoir comment repérer les habitations stentinelliennes enfouies à l’intérieur des paléosols des dunes. Dans ce but, une stratégie en trois parties fut adoptée : l’étude d’ensemble au magnétomètre, ensuite des forages al in de vérifier les anomalies magnétiques détectées, finalement la fouille des structures enfouies. Un premier essai de cette stratégie sur une échelle limitée en 1977 nous a conduit à l’identification d’une série initiale de structures construites en clayonnage et torchis à Acconia (Ammerman et alii, 1981 : Fig. 2). Ces habitations ont généralement un plan rectangulaire. Le sol de la structure était simplement la surface nivelée de la dune même. Les habitations de clayonnage et torchis étaient de taille restreinte, d’environ 5 m de long sur 3 m de large. Un aspect frappant est la quantité de torchis brûlé souvent recouvert par une habitation effondrée. Le poids total dans le cas de la structure C à Piani di Curinga (Ammerman et al., 1981 : Fig. 3) dépasse une tonne, par exemple.
8Basée sur le succès de la stratigraphie magnétomètre-forage-fouille, la décision fut prise de mettre en chantier des travaux supplémentaires dans le but de tenter de développer un plan compréhensif des structures en clayonnage et torchis de Piana di Curinga. En 1979, une élude d’ensemble au magnétomètre de beaucoup plus grande importance était dirigée par Bartlett et David du Laboratoire des Monuments Anciens à Londres. L’instrument utilisé était un gradiomètre à fluxgate, qui donne un signal analogue pouvant être immédiatement visualisé sur un appareil enregistreur de diagrammes (Clark, 1975). On a ainsi couvert en haut de la dune un total d’environ 4 500 m2, à Piana di Curinga. En tout, environ 600 forages ont été effectués sur l’habitat. Heureusement, on peut les faire facilement dans les dunes et il y a une bonne différence à la fois de couleur et de texture entre les sols des dunes et les restes de torchis. Il y a en fait deux sortes de forages : ceux effectués sur les diverses anomalies magnétiques et ceux pratiqués sur le gisement à l’aide d’un système de quadrillage de 5 m X 5 m pour vérifier l’éventualité de structures enfouies ne produisant pas d’anomalies et aussi pour vérifier des anomalies ne correspondant pas aux structures (Ammerman, 1982). Dans ce cas-ci, la série de forages couvrait le tiers de la zone habitée à Piana di Curinga. Nous ne pouvons ici que donner une synthèse des résultats de ce travail (Fig. 3). Cette carte représente l’une des rares cartes de la région ouest méditerranéenne qui montre la répartition des structures d’un habitat néolithique. Les cercles à croix (26 en tout) indiquent les structures de clayonnage et torchis identifiées d’abord au magnétomètre puis confirmées par les forages. Il y a douze cercles pleins aux endroits où, en plus du magnétomètre et des forages, les fouilles ont confirmé la présence d’une structure. Les cercles à trait vertical — dix au total — représentent les structures identifiées seulement par des forages. Donc une estimation minimum du nombre de structures du gisement donnerait quarante-huit. Nous n’avons malheureusement pas le temps de s’interroger ici sur le mode d’occupation du gisement : c’est-à-dire soit un village ou un hameau soit une ferme occupée à plusieurs reprises.
9Passons à présent au premier niveau. La structure de clayonnage et torchis la mieux conservée est celle de la zone H à Piana di Curinga (6930 ± 60 B.P., P -2946). Comme nous l’avons déjà constaté, on peut retrouver un grand nombre de fragments de torchis brûlé provenant d’une structure. L’abondance des restes de torchis et la richesse d’informations potentielles qu’ils contiennent sur les techniques de construction ont suscité l’introduction de nouveaux procédés d’enregistrement de données sur le chantier de fouilles (Shaffer, 1983). Chaque fragment de torchis dépassant 10 cm a été coté, enregistré et emballé individuellement. La répartition de ces fragments de torchis brûlé dans la zone H (1 065 en tout), qui montre essentiellement l’affaissement des murs, donne elle-même une idée approximative du plan de la structure (Fig. 4). Environ 900 fragments présentent soit des impressions de la charpente de bois, soit des traces de finition en surface. Les impressions de bois indiquent par exemple que les baliveaux utilisés dans la charpente ont eu un diamètre moyen de 7 cm. Les impressions de feuilles de sept espèces de plantes différentes suggèrent que la période de construction de l’habitation devait se situer entre mi-mars et juin (Shaffer, 1983).
10Le poids total des fragments de torchis brûlé retrouvé dans la zone H s’élève à plus d’une tonne. Par suite d’études expérimentales de construction (Shaffer, 1983), on peut estimer que 4 m3 de sédiment argileux auraient été nécessaires à l’édification d’une structure de la taille de celle trouvée dans la zone H. Le sédiment argileux ne provient pas naturellement de la dune même mais des terrasses fluviatiles au bord des dunes. Il aura fallu sans doute une quantité substantielle d’efforts pour extraire le sédiment de la terrasse, le transporter jusqu’en haut de la dune sur une distance qui dépasse souvent 100 m ou encore pour bâtir une structure. Les quarante-huit structures de clayonnage et torchis identifiées à Piana di Curinga indiquent que cela était fait régulièrement. Les structures stentinellien-nes à Acconia soulèvent d’intéressantes questions sur l’effort de travail des groupes néolithiques, travail consacré à des activités autres que la production de nourriture, comme la construction des habitations et la participation à des systèmes d’échange (Ammerman, 1979 ; Ammerman et Andrefsky, 1982).
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Bibliographie
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