21. Des techniques innovantes au service d'un développement durable
p. 312-313
Texte intégral
1Les métiers de l’ingénieur sont très marqués depuis plusieurs années par la rupture, que constitue l’introduction du développement durable dans les phases de conception et de fabrication de nouveaux produits. Cette question touche d’ailleurs tous les domaines de l’ingénierie. Il s’agit d’un changement conceptuel fondamental, qui intègre pour la première fois au sein des processus industriels, la finitude des matières premières et leurs conséquences, mais aussi la nécessité d’intégrer le développement « soutenable » et ses contraintes dans tous les processus de création (cf. I.2). À titre d’exemples, les ingénieurs doivent maintenant intégrer le calcul du « coût carbone » dans la conception d’un produit, penser au recyclage total ou partiel de chaque nouveau matériau, réfléchir à l’intérêt de valoriser tout produit secondaire issu d’un processus industriel, et travailler sur le cycle de vie des matériaux et des structures (cf. VI.22). Ces notions sont maintenant intégrées et enseignées dans la plupart des formations d’ingénieurs. Les laboratoires de recherche français en ingénierie, en chimie, en biologie… innovent chaque jour avec ces nouveaux concepts comme principes de référence : protéger la nature des excès de l’humanité, tout comme protéger l’humanité des excès de la nature ; et maîtriser le développement pour ne pas nuire aux générations futures (cf. IV.34).
Finitude des matières et recyclage des matériaux
2La finitude des matières premières implique une réflexion régulière sur leur quantité disponible et une quête permanente du remplacement de certaines d’entre elles par des ressources moins chères. Dans le même temps, leurs performances sont sans cesse améliorées, ce qui diminue la quantité de matière à utiliser. Et par ailleurs, la prise en compte du cycle complet de vie d’un objet introduit dans son coût d’utilisation toutes les contraintes nécessaires liées au développement durable : recyclage, calcul énergétique, coût carbone, toxicité… Elle suppose également de s’interroger sur le choix des matières premières et des différentes sources d’énergie utilisées tout au long de la vie de l’objet, sur les étapes de son transport, de sa production, de son utilisation, de son recyclage ou de sa destruction, pour ne prendre que les étapes minimales.
3Concernant le recyclage des matériaux et des structures, l’évolution de la réglementation est, à cet égard, un élément moteur. Ainsi, la Directive européenne 2000/53/CE oblige tous les constructeurs automobiles souhaitant vendre des véhicules en Europe à s’assurer que 95 % de la masse des matériaux du véhicule hors d’usage est revalorisée à partir de 2015, et 85 % de cette masse directement recyclée à la même date. Ces éléments génèrent des recherches importantes, à la fois sur les processus de production, sur les propriétés des matériaux et sur leurs comportements. Ainsi, les pare-chocs des véhicules usagés seront-ils broyés et recyclés pour fabriquer un pare-chocs neuf. Mais pour cela, de nombreux problèmes restent à résoudre : les pare-chocs seront issus de véhicules différents, et n’auront donc pas la même composition ; ils seront également pollués par des éléments d’usage différents, tels que de la peinture, des traces d’huile. Autant de points qui risquent de ne pas conférer à la pièce recyclée les mêmes propriétés que la pièce initiale. Tous ces éléments font l’objet de programmes de recherche importants pour tous les objets manufacturés.
La valorisation des produits
4Aujourd’hui, de nombreux matériaux composites* sont utilisés pour fabriquer des structures performantes et légères. Ces matériaux connus de tous se retrouvent dans les skis, les voitures, les vélos, les avions, les cannes à pêche… Ils utilisent principalement des fibres de verre et de carbone, dont les propriétés sont exceptionnelles. Gagner du poids pour ce type de structures diminue les coûts et réduit notre impact environnemental. Le taux d’échange est le gain obtenu par la diminution d’un kilogramme de la structure, remplacé par un kilogramme d’un autre élément utile. Par exemple, l’utilisation des matériaux composites sur le satellite INTELSAT 5 a permis un gain de masse de 4 %, soit 9 kg environ (figure 1). Cette masse a été remplacée par des équipements de communication supplémentaire, dont la location sur 7 ans a remboursé les frais de mise en orbite. Les raisonnements issus du développement durable ne sont donc pas du tout en contradiction avec l’évolution technologique.
5Toujours dans le domaine des matériaux composites, un regain d’intérêt se manifeste depuis plusieurs années pour l’utilisation des fibres naturelles, comme le lin ou le chanvre. En effet, la production des fibres de lin, par exemple, est neutre pour l’émission de CO2 et demande 5 à 10 fois moins d’énergie que les fibres de verre ; et leur recyclage ou biocompostage est évidemment très simple. Par ailleurs, leur rigidité et leur résistance sont sensiblement identiques aux fibres de verre, pour une densité moindre (figure 2). Naturellement, des inconvénients existent, comme la variabilité de la qualité en fonction du lieu de croissance ou du climat, la stabilité dimensionnelle (c’est-à-dire la constance des dimensions des fibres, notamment de leur diamètre et de leur géométrie), et la discontinuité des fibres. Elles sont déjà utilisées industriellement, mais les recherches continuent pour les améliorer.
6Tous ces exemples montrent bien que le développement durable, pris en compte dans le domaine de l’ingénierie, conduit à des ruptures conceptuelles importantes, voire irréversibles. Il génère de nouveaux concepts et induit une rationalisation des comportements, qui permettra, à terme, la création d’emplois dans des domaines nouveaux (cf. IV.24).
7L’ingénierie est concernée par le développement durable dans bon nombre d’autres domaines, que ceux cités en exemple ici, comme, par exemple, le concept de « ville durable », et ses conséquences sur l’aménagement et la construction. Quantité de nouveaux matériaux sont alors concernés pour l’isolement acoustique et énergétique, ou pour la durabilité des équipements. De même, la ville durable induit des recherches en sciences de l’ingénierie sur le transport, la gestion de l’eau, des déchets et des sols et sur la sobriété énergétique. Ces aspects nécessitent des recherches nouvelles intégrant tous ces concepts et génèrent autant de défis à résoudre en ingénierie.
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Références bibliographiques
• Y. RÉMOND et J.-F. CARON – Les matériaux composites et le sport, in La chimie et le sport, EDP-Sciences, Ch. 8, 2011.
10.51257/a-v3-am5130 :• C. BALEY – Fibres naturelles de renfort pour matériaux composites, Techniques de l’ingénieur, 2013.
• L. CHOCINSKI-ARNAULT, F. TOUCHARD et M.-P. BURON – Recyclage de pare-chocs automobiles, Matériaux et Techniques, vol. 100, n° 5, 2012.
Auteur
Professeur de Mécanique à l’Université de Strasbourg, ECPM, ICube, Directeur adjoint scientifique au CNRS, INSIS, Paris.
remond@unistra.fr
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012