16. Mix énergétiques locaux et recherche d'autonomie
p. 302-303
Texte intégral
1L’énergie des pays les plus développés est délivrée via des « macrosystèmes » construits autour de moyens de production de forte puissance (électricité thermique ou nucléaire, grands barrages hydroélectriques, production de chaleur…) et de transport à longue distance (importations de gaz naturel par pipelines, de pétrole par cargos, transmission par lignes à haute tension…). La construction de ces systèmes a été dictée, à la fois par la disponibilité de certaines ressources locales (gaz naturel aux Pays-Bas, hydroélectricité en Suisse, charbon en Allemagne…), et par des considérations de sécurité d’approvisionnement, avec la diversification des circuits d’approvisionnement en hydrocarbures ou bien le développement d’un parc électronucléaire pour en réduire les importations.
2Les fondements de ces grands systèmes sont aujourd’hui mis en question : certaines filières sont non-soutenables à terme en raison de la menace climatique (énergies primaires d’origine fossile) ou font l’objet d’une acceptabilité sociale très discutée dans certains pays, comme cela est le cas pour les divers risques du nucléaire (cf. V.2).
Insertion de technologies peu matures
3Ces contraintes nouvelles dans le cahier des charges conduisent à repenser en profondeur l’architecture des systèmes et à engager des « transitions énergétiques » qui devraient conduire les pays les plus avancés, comme ceux de l’Union européenne, à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 80 % à l’horizon 2050 (cf. IV.16). L’histoire industrielle a certes déjà été scandée par plusieurs phases de transition, comme la succession du charbon au bois au début du XIXe siècle, rejoint par le pétrole et le gaz au début du XXe siècle. Mais ces nouvelles énergies s’imposaient alors « naturellement » par leurs avantages en termes de coût et/ou d’usage (le charbon pour développer la grande industrie, le pétrole pour le transport automobile…), alors que nos sociétés doivent à présent réaliser un tour de force en intégrant des technologies, qui sont généralement plus coûteuses et qui n’ont pas que des atouts : l’électricité photovoltaïque ou éolienne n’est disponible que par « intermittence », l’autonomie des véhicules électriques est réduite… Ces nouvelles filières ont l’avantage évident d’être sobres en carbone, mais le marché ne valorise pas cet atout, qui ne contribue donc pas à leur compétitivité et que les économistes qualifient « d’externalité négative ». Par ailleurs, les quantités encore disponibles d’énergies fossiles étant considérables, comme le gaz de schiste américain, il est illusoire d’attendre leur épuisement pour libérer un espace économique pour les filières bas carbone (cf. I.9).
Architecture des futurs systèmes énergétiques
4Même si l’incertitude domine, quelles « intuitions » pouvons-nous formuler concernant le design des futurs systèmes énergétiques ? La donnée nouvelle est que les énergies renouvelables correspondent à des ressources moins concentrées que les énergies fossiles. Pour simplifier, la « distribution » géographique du soleil et du vent n’épouse pas celle des réserves en hydrocarbures. La dichotomie entre pays exportateurs et pays importateurs, qui s’est imposée avec « brutalité » durant la décennie 1970, s’estompera à mesure du développement de nouveaux systèmes énergétiques, dans lesquels la composante locale pèsera plus lourd. En effet, les choix et l’organisation des moyens de production relèveront plus d’une logique territoriale, voire de la politique de la ville, en fonction des technologies déployées : solaire intégré aux bâtiments, petit ou grand éolien onshore, divers usages de la biomasse en circuit local, valorisation des déchets sous forme de biogaz, géothermie… Par ailleurs, ces nouveaux systèmes devront être associés à des gains d’efficacité énergétique* dans l’habitat et les bâtiments industriels et tertiaires, ainsi que dans les systèmes de transport, domaines où l’échelon local de décision est le plus pertinent.
5« Renouvelable » ne sera évidemment pas synonyme de « local ». Ainsi, la stratégie allemande de transition repose sur le déploiement massif d’éoliennes offshore nécessitant la création de 4 000 km de lignes à haute tension, et le projet Desertec repose sur l’idée de transporter de l’électricité solaire du sud vers le nord de la Méditerranée…
L’utopie « d’archipels énergétiques » ?
6Il ne faut pas imaginer, à court ou moyen terme, la création d’îlots dans lesquels chaque région, ville, quartier, voire chaque bâtiment, serait totalement autonome en énergie. Une telle organisation aurait pour conséquence, en effet, une énergie finale plus coûteuse et ne garantirait pas cette autonomie en période de froid hivernal, tout au moins jusqu’à ce qu’il soit possible de stocker efficacement l’énergie produite en excédent à d’autres moments. Mais cette autonomisation accrue n’est pas non plus une fiction. Ainsi, en 2020, les bâtiments neufs construits en France devront présenter une balance énergétique positive en moyenne annuelle (norme RT 2020).
7Une telle perspective d’autonomisation énergétique des territoires n’est pas sans danger, car un système énergétique comme celui de la France s’est construit sur la solidarité entre les territoires, gagée sur des péréquations tarifaires, qu’il s’agira de préserver et, même, d’étendre au niveau européen par des interconnexions renforcées. Malgré ce risque, donner du pouvoir aux acteurs publics et privés locaux pour innover dans la manière de produire, consommer, et stocker l’énergie, peut constituer un formidable levier de développement économique.
Des laboratoires locaux de la transition énergétique
8L’attention à porter au « local » résulte aussi des singularités de la transition énergétique « bas carbone ». Contrairement aux précédentes transitions, il ne s’agit pas cette fois d’incorporer une nouvelle énergie dominante (pas avant le XXIe siècle sans doute), mais de combiner de multiples innovations dans les technologies (production et consommation d’énergie, habitat, transport), et aussi dans les modèles de financement ou de régulation. L’extraordinaire défi, que représente la lutte contre le changement climatique, implique une multiplicité d’expérimentation, de sorte que chaque localité a vocation à devenir un laboratoire à ciel ouvert.
Bibliographie
Références bibliographiques
• INTERNATIONAL ENERGY AGENCY – Cities, Towns & Renewable Energy, Yes in my front yard, 2009.
• ENERGY CITIES – www.energy-cities.eu.
• VILLES POST-CARBONE – http://ville-post-carbone.typepad.com.
Auteur
Économiste, Professeur des Universités, Université de Paris-Dauphine, Directeur du CGEMP, Paris.
patrice.geoffron@dauphine.fr
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2012