7. Modélisation globale
p. 284-285
Texte intégral
1Les différentes composantes du système Terre sont désormais reconnues pour leurs comportements fortement non-linéaires, face aux grands forçages* (économiques, climatiques, sociétaux…) observés pendant les dernières décennies – et l’avenir nous conduira sans aucun doute à des situations totalement nouvelles. La modélisation, comprise comme toute méthode scientifique de représentation mathématique du comportement d’un système, est donc devenue une technique incontournable pour la compréhension du passé à la base d’observations indirectes, et également l’analyse des différents scénarios futurs (cf. II.19). Pouvoir identifier ce que signifie le développement durable, en focalisant en particulier sur la relation humain-milieu et l’utilisation des ressources naturelles, dépend beaucoup de la compréhension et de la représentation du fonctionnement des systèmes socioécologiques, particulièrement des interactions entre toutes les composantes de la biosphère marine et terrestre, et de la société (cf. II.4).
2Des développements très importants ont eu lieu concernant la modélisation numérique dans le domaine des services écosystémiques*, de la résilience* et des capacités d’adaptation des systèmes environnementaux face aux changements globaux. Une telle modélisation associe la représentation de mécanismes physiques, biogéochimiques et écologiques – à des échelles de temps et d’espace très variées – avec des choix humains, comme l’utilisation et la gestion des terres, la protection et la conservation de certaines espèces, ressources, ou territoires, la globalisation ou la relocalisation de l’économie… Elle a pour but l’identification de trajectoires de développement « durable », par la simulation d’états des écosystèmes considérés comme viables en fonction de leur capacité de production de biens et de services dans un contexte de changement global (cf. I.10).
Élaboration des modèles de la biosphère continentale
3Les champs scientifiques de la biogéographie et de la climatologie se sont intéressés aux relations écosystèmes-climat depuis très longtemps. Pour ses travaux, le climatologue russe Wladimir Köppen avait déjà recours, à la fin du XIXe siècle, à la connaissance des relations entre la température et la distribution de grandes zones biogéographiques. En l’absence de mesures météorologiques, celles-ci ont permis l’identification des zones climatiques. La présence des espèces était considérée comme un bon indicateur des conditions climatiques, et elle permettait par exemple d’évaluer la durée moyenne de la saison chaude. Dans le même esprit, le climatologue américain Leslie Holdridge a pu proposer, vers 1940, un modèle global de la relation écosystème-climat applicable à toute la surface terrestre du globe. Ce modèle a joué un rôle important pour les premières conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC*) concernant la dynamique de la biosphère face aux changements climatiques.
4En parallèle avec le développement de ces modèles biogéographiques, la question du cycle du carbone s’est posée, et notamment celle de l’avenir des stocks de carbone dans la biosphère continentale. Les travaux de l’Américain Jerry Olson ont pu montrer le rôle important des changements biosphériques pour le cycle de carbone, le résultat étant un simple tableau de la densité du carbone dans différents biomes*, couplée initialement, soit avec une cartographie des biomes, soit avec les résultats d’une modélisation basée sur une logique adaptée de celle d’Holdridge (modèle BIOME, 1992). Pour mieux représenter le fonctionnement des écosystèmes et leur rôle pour le bien-être humain, de nombreux développements ont été initiés et sont toujours en cours. Ils sont basés sur : la différenciation entre les formes basiques des organismes (basée sur l’identification des traits fonctionnels* observés dans un très grand nombre de relevés) ; la prise en compte des processus essentiels du flux de carbone (photosynthèse, respiration, allocation, croissance, mortalité, décomposition…), limité par les conditions locales de l’environnement ; la compétition entre organismes pour des ressources essentielles comme la lumière, l’eau et les nutriments* ; la dynamique des perturbations naturelles, y compris les feux et le redéveloppement de l’écosystème après l’incendie ; et la dynamique de l’exploitation des terres, pour la production de nourriture (cultures et prairies), de bois et de biomasse-énergie – l’appréciation du potentiel de production des terres, partout dans le monde, permet l’estimation de leur utilisation dans des contextes socioéconomiques différents.
Application des modèles à l’analyse des changements globaux
5Les modèles dynamiques de la biosphère continentale ont été validés par un grand nombre d’observations sur différentes échelles, comme les mesures de flux de carbone sur les sites instrumentés pour cet objectif dans différentes régions biogéographiques, la reconstitution des bilans de carbone, de l’eau et de l’énergie par des mesures atmosphériques, les rendements agricoles, les observations satellitaires, et d’autres indicateurs. Souvent, ces modèles sont couplés à des modèles climatiques, pour permettre l’analyse de la dynamique non-linéaire du système global (biosphère-atmosphère) avec ses rétroactions* physiques et biogéochimiques. Des développements comparables sont en cours également pour la biosphère marine.
6Le développement de ces modèles a pour objectif de mieux comprendre non seulement les rétroactions du système « naturel », mais aussi les interactions entre l’utilisation des écosystèmes et la société. Même avec des modèles simplifiés pour permettre une utilisation globale, il est possible de représenter les mécanismes qui conduisent à la dégradation des sols, ainsi que leurs impacts sur le fonctionnement et la dynamique des écosystèmes. De même, ils permettent de simuler les impacts de la surexploitation des ressources hydriques et/ou des changements climatiques sur la base du fonctionnement du système socioécologique.
7La prise en compte de la biodiversité dans ces modèles, bien que complexe, est indispensable au regard des nombreux travaux récents, qui soulignent le rôle de la biodiversité sur, par exemple, la capacité des systèmes à s’adapter (ou non) face à un changement (cf. V.28). L’action anthropique peut avoir un impact très brutal sur la diversité des paysages, ainsi que sur une certaine biodiversité spécifique, entraînant une perte de biodiversité fonctionnelle*, mais toutes ces actions ne sont pas irréversibles. À l’aide de fonctions permettant de quantifier les interactions entre différents indicateurs de biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes, la modélisation des systèmes socioécologiques devient véritablement globale, car il faut représenter l’ensemble du système, avec les rétroactions entre toutes ses composantes, pour aborder de manière quantitative son évolution dynamique.
8De la même manière que les modèles climatiques ont pu aider les décideurs, via les rapports du GIEC, il sera nécessaire de fournir à l’IPBES (plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) le même type d’information objective.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
10.1111/j.1365-2486.2006.01305.x :• A. BONDEAU et al. – Modelling the Role of Agriculture for the 20th Century Global Terrestrial Carbon Balance, Global Change Biology, 2007.
• R. DEFRIES et al. – Analytical Approaches for Assessing Ecosystem Condition and Human Well-Being ; Ch. 2, in Ecosystems and Human Wellbeing : Current State and Trends, Vol. 1, Island Press, 2005.
• I. C. PRENTICE et al. – A Global Biome Model Based on Plant Physiology and Dominance, Soil Properties and Climat, Journal of Biogeography, 1992.
Auteurs
Géographe, Écologue, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur adjoint scientifique de l’IMBE, Aix-Marseille Université, Aix-en- Provence.
wolfgang.cramer@imbe.fr
Physicienne, Modélisatrice, Chargée de Recherche au CNRS, IMBE, Aix-Marseille Université, Aix-en- Provence.
alberte.bondeau@imbe.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012