6. Exploitation des bases de données pour évaluer les impacts du changement climatique
p. 282-283
Texte intégral
1Comment évaluer l’influence du changement climatique sur la société et les écosystèmes ? Comment calculer l’impact de l’activité économique sur le climat et l’environnement ? Ces questions n’ont pas de réponse immédiate, car il n’existe pas de loi physique liant sans ambiguïté ces systèmes de natures aussi différentes.
Problèmes rencontrés lors de la confrontation des BDD
2Un défi de l’adaptation au changement climatique est de pouvoir confronter des bases de données (BDD) climatiques avec des données environnementales ou sociétales (figure). Cette tâche rencontre une première barrière liée au langage de chaque discipline, qui utilise un jargon et des notions qui lui sont propres. Un travail de traduction est donc nécessaire pour faire des ponts entre les disciplines, et les bases de données qu’elles ont produites. Pour les sciences du climat, cette traduction peut s’effectuer en transformant des données « brutes » (observations, simulations) en indices « élaborés », qui sont pertinents pour une autre discipline. Cette traduction définit des niveaux de bases de données : le niveau 0 est généralement l’observation, le niveau 1 peut être la transformation ou la combinaison de plusieurs observations, le niveau 2 peut être l’agrégation spatiale du niveau 1.
3La seconde barrière est fondamentale, car elle tient aux grandeurs elles-mêmes. Identifier les variables d’une base de données (par exemple climatique), qui interagissent avec celles d’une autre base de données (par exemple économique) est un véritable défi. Des hypothèses sont formulées en examinant des cas synchrones dans plusieurs BDD. Par exemple, s’intéresser aux conditions climatiques qui prévalaient lors de krachs boursiers peut faire l’objet d’une étude, même si l’auteur a des doutes sur la pertinence du résultat. Cet examen permet à un expert d’élaborer des modèles empiriques de causalité, et de les tester sur plusieurs cas afin d’en estimer l’erreur. Cette étape est généralement subjective, car elle peut nécessiter plusieurs avis indépendants pour être consolidée ; elle est cependant la plus cruciale pour l’adaptation au changement climatique et la prise de décision.
Nécessité d’une documentation ouverte
4Pour qu’une décision pour l’adaptation puisse être prise, l’ouverture des bases de données et des modèles qui étayent les résultats représente un enjeu majeur. Il y a deux raisons à cette recommandation : 1) la science produit un nombre croissant de données, et il est nécessaire que les résultats d’une décision puissent être testés en toute transparence face au flux de nouvelles observations, 2) il est impératif de pouvoir vérifier toutes les hypothèses des modèles empiriques, voire d’en proposer d’autres pour s’assurer de la robustesse des conclusions. La documentation de l’incertitude de chacune des étapes de la production et la confrontation de bases de données sont également nécessaires, afin que le risque d’une prise de décision puisse être évalué.
5Pour illustrer ce propos, examinons un exemple simplifié de l’assurance face aux aléas climatiques (cf. IV.25). L’assureur s’intéresse à l’exposition de biens (maisons, cultures, usines…) à des périls climatiques (tempêtes, inondations, grêle, sécheresse…), afin d’estimer leur probabilité d’endommagement en cas de péril. Ceci est la base du calcul du prix des polices proposées aux clients. Pour commencer cette tâche, l’assureur a besoin de statistiques détaillées sur le risque climatique, qui se décline par type d’événement : tempête, inondation, grêle ou canicule. Il a besoin de connaître avec précision la probabilité de ces événements et leur éventuelle évolution dans les années à venir. Il existe un grand nombre d’observations météorologiques et de simulations numériques du climat passé et futur, pour l’ensemble de la planète ou des zones géographiques plus petites, mais ces données météorologiques « brutes » doivent être transformées de manière parfois complexe, afin d’accéder aux statistiques des événements d’intérêt pour l’assureur (c’est le niveau 1 ou 2, selon la complexité de la transformation). En parallèle, l’assureur doit collecter des données de biens exposés au péril : leurs dimensions, le type de fabrication, le coût, leur localisation… Chaque compagnie d’assurances possède ses propres bases de données, avec une finesse spatiale qui descend jusqu’au code postal. Une fois les bases de données collectées, un expert de l’assurance estime de façon empirique les dégâts causés par des événements observés du passé sur des biens assurés, afin de déterminer une fonction de coût du péril pour chaque type de bien. Cette étape de confrontation de bases de données est certainement la plus subjective, car elle repose sur des hypothèses rarement formulées et donc invérifiables. Elle est réalisée pour les assureurs par des logiciels élaborés par des entreprises de risques de catastrophes. L’opacité de ces logiciels et l’impossibilité de vérifier les hypothèses faites pour croiser péril et biens ont rendu les assureurs, et leurs clients, désarmés face à la nécessité de s’adapter au changement climatique (cf. V.29). C’est pour cette raison que plusieurs initiatives de développement de méthodes « open source », avec la possibilité de vérifier chaque maillon du calcul et chaque donnée, commencent à voir le jour dans le domaine de l’assurance.
6Cet exemple illustre la hiérarchie des bases de données au sein d’une même discipline (du niveau 0 de l’observation ou la sortie de modèle, aux niveaux supérieurs de la détermination d’indices agrégés) et la nécessité d’une documentation ouverte pour la confrontation de bases de données pour que les résultats, les interprétations, et les coûts éventuels, puissent être réévalués de manière transparente dans le contexte du changement climatique. C’est le défi que tenteront de relever les « services climatiques », entités naissantes de mise à disposition publique, sous forme de serveurs de données, des informations et des résultats générés par les sciences du climat.
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.4000/books.editionscnrs.11316 :• C. JEANDEL et R. MOSSERI (éds) – Le Climat à découvert, CNRS Éditions, 2011.
• IPCC – Summary for Policymakers, in Managing the Risks of Extreme Events and Disasters to Advance Climate Change Adaptation. A Special Report of Working Groups I and II of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, 2012.
Auteur
Climatologue et Mathématicien, Chercheur senior au CEA, Chef de l’Équipe de Statistiques au LSCE, Gif-sur-Yvette.
pascal.yiou@lsce.ipsl.fr
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2012