26. La reconquête des zones humides
p. 262-263
Texte intégral
1Entre terres et eaux douces ou salées, les marécages, tourbières*, marais et mangroves* se distinguent des autres écosystèmes par des propriétés et une sensibilité aux activités humaines, qui en ont fait des références en matière de conservation de la nature et en écologie de la restauration* (cf. II.7). Présents pratiquement sous toutes les latitudes, mais avec une emprise spatiale souvent limitée, dégradés et détruits intensivement depuis dès siècles, ces milieux sont protégés depuis 1971 dans le cadre d’une Convention relative aux zones humides d’importance internationale, dite « Convention RAMSAR ». L’existence de ce traité, unique, car voué à la conservation d’un type d’écosystème, permet de poser une définition mondiale et d’inciter au développement de stratégies de connaissance et de conservation. Trois critères permettent de reconnaître les zones humides : la présence d’eau variable dans le temps, de sols hydromorphes* et/ou d’une végétation adaptée composée d’espèces hygrophiles.
Fonctions écologiques
2Au cours des années 1950, la compréhension du fonctionnement des écosystèmes par les frères Odum, chefs de file des approches écologiques globales, s’est faite dans des marais côtiers du Texas. À cette occasion, l’importance de la prise en compte des flux (énergie), des grands cycles (eau, azote phosphore, carbone…), des interactions entre compartiments, a été démontrée (cf. II.6-8). Depuis, de nombreuses recherches ont permis la mise en évidence de processus, qualifiés de « fonctions » à partir des années 1980.
3Les fonctions « hydrologiques » permettent le ralentissement des écoulements, le stockage et la restitution des eaux, propriétés ayant pour effet d’atténuer et de décaler les pics de crue, et de soutenir des débits d’étiage*. Les fonctions « biogéochimiques », quant à elles, concernent le piégeage, la dégradation ou l’exportation de substances. Différents processus concourent à la transformation de l’azote (assimilation végétale, absorption, ammonification, nitrification, dénitrification), du phosphore (adsorption*, précipitation), de métaux lourds et de micropolluants organiques (sédimentation, absorption, concentration dans les plantes). Si les nitrates sont éliminés sous forme d’azote gazeux, d’autres éléments peuvent être relargués (décomposition de la végétation, remise en suspension de sédiments). Enfin, les fonctions « biologiques » sont à l’origine de la productivité primaire* élevée de nombreux marais (roselière*, papyraie*) et de la présence d’espèces végétales adaptées aux gradients hydriques et/ou de salinité, et d’espèces animales migratrices (oiseaux, poissons).
4Plusieurs fonctions, pas forcément pérennes, peuvent se réaliser dans une zone humide, mais pas systématiquement toutes ; leur expression et intensité dépendent de la localisation dans le bassin-versant* et du type de milieu concerné. Généralement, l’optimisation d’une fonction se fait au détriment d’autres : favoriser la sédimentation facilite la rétention de nutriments*, mais limitera la recharge des nappes.
5La correspondance établie entre fonctions, valeurs d’usages et culturelles, et services écosystémiques*, officialisée par des programmes internationaux, a été mise en exergue par des travaux de sociologues et d’économistes (cf. VI.9). Sont alors considérés les avantages retirés des systèmes humides, comme le contrôle des crues, la recharge des nappes et le soutien des étiages*, la fourniture d’une eau épurée, la lutte contre l’érosion des berges et rivages, la production de ressources renouvelables pêchées, chassées, cueillies, de tourbe, l’influence sur le climat local. Ainsi, la qualification et la quantification de ces services ont changé la manière de concevoir la conservation de ces milieux.
De la protection à la restauration de fonctions écologiques
6Malgré ces attributs, les zones humides font partie des écosystèmes les plus détruits au monde, de 40 à 60 % de leur surface perdus en Europe, entre 1950 et 1970. Les raisons sont d’ordre culturel (monde « maléfique »), sanitaire (malaria), économique (drainages, remblais agricoles et urbains)… À ce titre, elles ont bénéficié de législations de conservation nationales, européennes et internationales (aires protégées, listes d’espèces protégées…). Au reste, plusieurs sites RAMSAR sont aussi des parcs nationaux : du delta de l’Okavongo à la Camargue en passant par le Pantanal, les Sundarbans, les Everglades, le delta du Danube… Cependant, ces instruments ont vite trouvé leurs limites, étant donné l’importance des connexions des marais avec les systèmes environnants. Ce constat est à l’origine du réseau de zones humides d’importance internationale de RAMSAR, car créer des parcs nationaux au nord de l’Europe pour protéger les oiseaux d’eau ne suffit pas à la sauvegarde de populations ayant besoin de marais africains en hivernage.
7Les zones humides étant maintenant repensées comme des « infrastructures naturelles » aux propriétés bénéfiques pour les êtres humains, des législations et des programmes de reconquête voient le jour. Au cours des années 1980, des pratiques de gestion, incluant de manière empirique des principes écologiques, ont été formalisées par l’écologie de la restauration (figure). Les principales phases d’un projet de ce type sont : la définition d’objectifs, l’identification des contraintes à lever, la mise en œuvre des mesures, le suivi et l’évaluation des résultats. Trop souvent, les deux dernières étapes sont négligées aux dépens d’une démarche itérative essentielle à d’éventuels ajustements, pourtant utiles à une meilleure compréhension des tenants et aboutissants. En situation de grande incertitude (changements globaux), certains prônent la non-intervention après contrôle des sources de perturbations, alors que d’autres débattent de l’intensité des manipulations hydrologiques, géomorphologiques et/ou biologiques à retenir.
8Les zones humides occupent une place de choix au sein des projets de restauration soutenus par la Banque mondiale ou le Fonds pour l’Environnement mondial (marais irakiens de Mésopotamie), par des États et fondations (estuaire-baie de San Francisco, baie de Chesapeake), par des collectivités (Drugeon-Jura), mais aussi en compensation d’aménagements (estuaire de la Seine). La première intervention consiste à « remouiller », d’ordinaire en ouvrant des digues, et/ou en obtenant des niveaux d’eau variables. Des dépoldérisations* côtières et fluviales sont programmées dans des pays pour lutter contre les risques d’inondation (cf. V.3).
9Les évolutions législatives ouvrent de nouvelles perspectives aux activités de restauration des zones humides. La mise en œuvre de mesures compensatoires, afin d’éviter les pertes de surface et de fonctions, nécessite la professionnalisation des experts du domaine avec l’appui de la communauté scientifique.
10Il est maintenant admis que ces écosystèmes, d’une part, interviennent de manière essentielle dans le cycle de l’eau et comme producteurs de ressources vivantes et, d’autre part, montrent une grande vulnérabilité vis-à-vis des changements globaux. Le défi consiste à intégrer ces intérêts dans les différentes politiques concernées et la planification des territoires à l’échelle des bassins-versants.
Bibliographie
Références bibliographiques
• G. BARNAUD et E. FUSTEC – Conserver les zones humides : pourquoi ? Comment ? Éditions Quae & Educagri, 2007.
• E. FUSTEC et al. – Fonctions et valeurs des zones humides, Dunod, 2000.
• E. MALTBY et T. BARKER – The Wetlands Handbook, John Wiley & Sons, 2009.
Auteur
Écologue, Professeur au MNHN, Paris.
barnaud@mnhn.fr
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2012