24. Rétablissement du sauvage dans un monde artificialisé
p. 258-259
Texte intégral
1Si au Moyen Âge les mots « naturel » et « sauvage » signifiaient tous deux « produit par la nature sans intervention humaine », aujourd’hui ils se distinguent nettement l’un de l’autre. La notion de « sauvage » au sens propre fait référence « à ce qui est spontané », et désigne avant tout « la part de l’instinct, de ce qui s’organise spontanément » contrairement au terme « naturel », qui fait plutôt référence « à ce qui appartient à la nature, ce qui en est issu, conforme aux lois de la nature » (Petit Larousse, 1998).
Un retour à la naturalité de nos espaces de vie
2L’engouement récent pour le « sauvage » dans les territoires urbanisés fait suite à une prise de conscience, au cours des années 1960, de la part de certains gestionnaires d’espaces verts et d’acteurs de l’espace public d’avoir, pendant trop longtemps, appliqué une gestion intensive et fonctionnaliste sur la végétation des milieux urbains (figure 1). La rationalisation des modes de gestion engagée durant la période d’après-guerre a conduit à une perte de la qualité écologique des milieux et à une flore largement domestiquée. L’émergence de la gestion différenciée* dans les années 1980-1990 en France et les constats sur la dégradation de la biodiversité sur la scène internationale ont complètement bouleversé les frontières du sauvage et du domestique dans l’espace urbain et impulsé de nouvelles visions dans l’aménagement et la conception de villes durables. La prise en compte de la gestion différenciée et de la biodiversité dans la planification urbaine a été plus tardive en France que dans les pays d’Europe du Nord et n’a réellement été effective que dans les années 2000. Le Grenelle de l’Environnement, en 2007, puis le plan Écophyto, en 2008, ont permis d’engager à l’échelon national une politique de préservation de la biodiversité, visant à promouvoir une gestion écologique des espaces enherbés spontanément et à maintenir des continuités écologiques au sein des villes, afin de faciliter la circulation des espèces animales et végétales. La ville a donc de nouveau ouvert ses portes à la nature, et la biodiversité urbaine s’illustre de plus en plus sous une forme « sauvage » (cf. III.10). Les espaces verts, auxquels une importance essentiellement climatique et sociale a longtemps été accordée, ont retrouvé leur dimension « naturelle » et offrent une meilleure capacité de résilience* des milieux. La flore spontanée est devenue un véritable potentiel pour la conception d’espaces végétalisés urbains durables du fait de son faible coût financier, de son adaptation aux conditions locales, et des valeurs écologiques et esthétiques qu’elle véhicule. Ce retour au naturel des villes tente ainsi de reconnecter les citadins avec la nature et à son fonctionnement, et plus largement, de les sensibiliser à la naturalité de leur espace de vie, à la gestion des ressources, ainsi qu’à la préservation des dynamiques naturelles.
La faune et la flore sauvage à la conquête du pavé
3Le développement de la flore spontanée et l’accueil de la faune sauvage n’ont jamais été autant encouragés dans les agglomérations que ces dernières années et certaines espèces, telles que le pissenlit et le papillon, deviennent emblématiques de ce retour du sauvage. La végétation spontanée se retrouve dans une diversité de biotopes*, tels que les interstices des pavés, les surfaces laissées libres au pied des arbres (figure 2), les parcs, les zones industrielles à l’abandon. Plusieurs espèces d’abeilles sauvages commencent également à trouver refuge au sein du milieu urbain face à la diminution de la qualité écologique des espaces agricoles. Le projet Urbanbees, par exemple, financé dans le cadre du programme européen Life + et dont le périmètre d’action concerne le territoire de la Communauté urbaine du Grand Lyon, sur une période allant de 2010 à 2014, a pour objectif de proposer un guide de gestion qui vise à maintenir et augmenter la diversité et l’abondance des abeilles sauvages en milieu urbain et périurbain, à travers la construction d’hôtels et de nichoirs facilitant l’alimentation et la nidification des abeilles sauvages (cf. II.24). Ces actions permettront de garantir la pollinisation des plantes par les abeilles sauvages, un service écologique rendu « gratuitement » par la nature. Malgré un engouement pour les dynamiques spontanées, le retour du sauvage pose encore un certain nombre de réticences parmi la population, pas toujours habituée à voir de la végétation spontanée coloniser l’espace public, ou à cohabiter avec une faune de proximité pas toujours désirée (cf. II.23). Doit-on donc laisser le sauvage conquérir tout le pavé ? Une attitude qui semble bien difficile à adopter quand les citadins demandent de manière paradoxale une nature « sauvage » qui soit « contrôlée ». L’objectif est donc de trouver un compromis acceptable par tous. L’accompagnement des dynamiques naturelles des biocénoses* animales et végétales constitue donc un véritable défi pour les concepteurs de la ville de demain. Les paysagistes contemporains ont pris la mesure de cette évolution dans la conception des parcs et jardins, où les interventions du jardinier jouent avec les dynamiques spontanées du végétal dans l’espace. Le parti pris est de montrer que les arbustes pionniers et les herbes folles prennent une part primordiale dans les cycles naturels des écosystèmes. La domestication de la nature se fait moins forte. Il faut également penser à favoriser la circulation de la flore et de la faune sauvage dans des territoires encore très fragmentés. Les Trames vertes et bleues se posent comme garantes de la circulation du sauvage. Une mise en réseau de ces espaces à caractères de nature permettrait de remédier à la fragmentation de ces territoires urbanisés.
Bibliographie
Références bibliographiques
• G. AGGERI – Inventer les villes-natures de demain… Gestion différenciée, gestion durable des espaces verts, Educagri Éditions, 2010.
• G. CLÉMENT et L. JONES – Une écologie humaniste, Aubanel, 2006.
• B. LIZET, A. -E. WOLF et J. CELECIA – Sauvages dans la ville de l'inventaire naturaliste à l'écologie urbaine. Hommage à Paul Jovet, Publications Scientifiques du Muséum, 1999.
• N. MACHON, E. MOTARD et G. ARNAL (collectif) – Sauvages de ma rue : guide des plantes sauvages des villes de France. Broché, 2012.
Auteur
Écologue, Spécialisée en Écologie végétale, Maître de Conférences, LAREP – ENSP Versailles-Marseille, Marseille.
a.marco@versailles.ecole-paysage.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012