12. Les nanoparticules
p. 234-235
Texte intégral
1Les nanoparticules peuvent être qualifiées de « nouvel état de la matière », c’est-à-dire un état intermédiaire entre les espèces moléculaires en solution et le solide massif. Leurs propriétés remarquables sont à l’origine de l’émergence des nanosciences et de l’essor des nanotechnologies. Si le discours du prix Nobel Richard Feynmann le 29 décembre 1959 fait date, il faudra attendre une trentaine d’années pour qu’une nouvelle ère industrielle impulsée par une course à la miniaturisation, se mette en marche et révolutionne notre quotidien. Ce délai correspond au besoin d’une instrumentation adaptée, qui permette de manipuler la matière atome par atome et de concevoir des nanostructures, où il est possible de « stocker toute l’encyclopédie britannique sur une surface grande comme une tête d’épingle » (extrait du discours de R. Feymann).
Miniaturisation et commercialisation
2L’intérêt des nanodispositifs est indéniable, comme l’atteste le « boom » des technologies de l’information et la communication (TIC) depuis le début des années 2000. Quel foyer en France et en Europe ne possède-t-il pas aujourd’hui d’ordinateur ou de téléphone portable ? Cependant, au-delà des conséquences de la miniaturisation des dispositifs, ces objets de très petites dimensions ne peuvent plus être décrits par les lois des théories classiques de la chimie ou de la physique des solides. Il est alors nécessaire d’introduire de nouveaux concepts provoquant une véritable rupture dans le domaine de la recherche fondamentale. À l’échelle nanométrique, les « effets de bord* » sont dominants, car de nombreux atomes sont localisés en surface. De même, les très petits volumes des nanoparticules sont à l’origine de phénomènes de « confinement quantique* » et de « résonance des plasmons de surface* ». C’est pour cette raison que les nanoparticules d’or ne sont pas jaunes mais rouges violacées !
3L’exploitation de ces propriétés spécifiques ne s’est pas fait attendre. Des produits d’innovation issus des nanotechnologies sont sur le marché de la grande consommation depuis 2005. Un inventaire des produits de la consommation mondiale relevant des nanotechnologies, publié par deux fondations américaines, mentionnait en 2011 l’existence de 1 317 produits, soit une augmentation de près de 521 % depuis 2006 (212 produits). D’un point de vue de la localisation géographique, ce sont essentiellement les États-Unis, l’Asie et l’Europe qui contribuent au développement économique des nanomatériaux, avec un chiffre d’affaires qui atteint déjà plus de 50 milliards de dollars par an. Néanmoins, si cet inventaire constitue un très bon indicateur pour évaluer la dynamique de développement des nanotechnologies, la production de matériaux sous forme de nanoparticules représente encore un faible pourcentage de la production annuelle mondiale – en 2010, pour le dioxyde de titane, la production de nanoparticules a été évaluée à 6,3 %. Il existe également un marché des nanoparticules à haute valeur ajoutée (plutôt un marché de niche), qui touche essentiellement le secteur de la santé, en vue de développer des stratégies innovantes pour une médecine plus personnalisée et plus douce pour l’organisme. Il s’agit principalement de particules (oxyde de fer, or et silicium métallique…) utilisées en imagerie magnétique ou optique (diagnostic précoce du cancer, chirurgie assistée par l’imagerie) et en thérapie (hyperthermie, thérapie photodynamique ou ciblée).
Vers un développement responsable
4Les nanotechnologies, par certains aspects, contribuent au développement de l’humanité en matière d’autonomie énergétique, de lutte contre la pollution et de prévention des maladies. Pourtant, la peur des « nanos » se fait réellement sentir chez les consommateurs et plus seulement dans les mouvements antinanos. Les nanotechnologies sont désormais au cœur des débats de société, en raison de leur risque de toxicité (cf. IV.10). En effet, la plupart des tests d’inhalation démontrent une toxicité avérée des nanoparticules, qui provoquent dans les poumons des inflammations similaires à celles de l’amiante. Par ailleurs, la taille des nanoparticules étant comparable à celle d’un virus, elles sont autant aptes à pénétrer les cellules et à en modifier le métabolisme. Enfin, les recherches en matière de compréhension des propriétés des nanomatériaux sont encore en cours et il est difficile d’appréhender les processus-clés critiques pouvant engendrer des risques. L’inconnu ne peut pas laisser place au hasard, c’est pourquoi les risques potentiels engendrés par leur utilisation du point de vue de la santé, de la sécurité et de l’environnement suscitent des inquiétudes auprès de la population.
5Le scandale de l’amiante, encore très présent dans notre actualité, reflète le manque de prise de décision des pouvoirs publics dans les années 1970, face à une industrie puissante. Fort de cette malheureuse expérience, de nombreuses actions se multiplient via les agences gouvernementales et les institutions académiques, toutes disciplines confondues, qui s’accordent à mener une action concertée autour de la régulation des nanomatériaux et des conséquences de leur utilisation. Les programmes de recherche actuels s’orientent vers une approche globale du cycle de vie : de la production à la consommation et au recyclage. Ils se focalisent aussi bien sur les produits primaires manufacturés, que sur les produits transformés plus complexes, en considérant les faibles doses d’exposition, les effets d’accumulation et l’impact écologique à grande échelle. Concernant les travailleurs, le principe de précaution s’applique en mettant en place des pratiques d’usage spécifiques des nanomatériaux. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2013, les industriels ont le devoir de déclarer à l’ANSES* (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) la production, la distribution et l’utilisation de nanomatériaux sur le territoire français selon les décrets du 17 février 2012. L’étape suivante viendra de la Commission européenne, avec l’obligation de déclarer sur les étiquettes des produits cosmétiques et des biocides* la présence de nanoparticules d’ici début 2014. Pour la première fois de l’histoire de notre civilisation, nous sommes donc acteurs dans le développement responsable de grandes innovations scientifiques. Et si c’était une réussite ?
Bibliographie
Références bibliographiques
• G. FEREY, C. SANCHEZ, B. CHAUDRET et J. LIVAGE – Le nano-monde de la Chimie, La lettre de l’académie des sciences, vol. 23, Institut de France, 2008.
• J.-Y. BOTTERO et F. MARANO – Les nanomatériaux : quels risques pour l’environnement et la santé, Pour la science, n° 386, 2009.
• M. LAHMANI, F. MARANO et P. HOUDY – Les Nanosciences. 4. Nanotoxicologie et nanoéthique, BELIN, 2010.
• S. LACOUR – La régulation des nanotechnologies ; Clair-obscur normatif, LARCIER Édition, 2010.
Auteurs
Chimiste, Professeur des Universités, Université Pierre et Marie Curie, LCMCP, Responsable de l’axe Nanochimie du réseau CNano Île-de-France, Membre du GdRi ICEINT, Paris.
corinne.chaneac@upmc.fr
Chimiste, Professeur au Collège de France, Chaire de Chimie des Matériaux hybrides, Membre de l’Académie des Sciences, Directeur du LCMCP, Paris.
clement.sanchez@upmc.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012