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2. Vers la fin des risques intrinsèques ?

p. 214-215


Texte intégral

1Encore aujourd’hui, et particulièrement en France, la notion de « risque » semble aller de soi. Elle se confond encore souvent avec des menaces qui, quelle que soit leur nature – exogène ou endogène – apparaissent extérieures. Qu’il s’agisse de phénomènes naturels, d’épidémies, d’accidents industriels et de transports, de dérèglements climatiques…, il est en effet habituel de considérer que la société « fait face » aux risques. Au-delà des facilités de langage, cette approche est symptomatique d’une vision selon laquelle le risque est contenu dans l’aléa, le virus, la bactérie, l’accident ou le dérèglement. Cette vision s’impose malgré des définitions canoniques, qui, comme dans le cas des risques naturels, situent le risque au « croisement d’aléas et de vulnérabilités ». Une question se pose alors : pourquoi est-il aussi difficile de se défaire d’une approche qui restreint considérablement la réflexion ?

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Le 19 septembre 1985 au matin, un séisme d'une magnitude de 8,2 survenant à Mexico révèle la vulnérabilité structurelle d'une partie des immeubles (dont un grand nombre d'édifices publics). Le bilan sera de 10 000 morts et de plus de 30 000 blessés. © D. Gallard

Prise en compte des vulnérabilités

2Le fait d’assimiler les risques à des menaces extérieures présente un certain nombre d’avantages. Du point de vue conceptuel, cette approche permet de cibler et de délimiter des problèmes, de les transformer en objets de recherche pour des savoirs spécifiques relevant pour l’essentiel des sciences de la nature. Du point de vue de l’action, elle permet d’envisager des politiques dans une perspective guerrière. L’objectif est en effet de connaître « l’ennemi », de comprendre ses origines, sa genèse, ses conditions de survenue (d’occurrence) ; de s’en protéger en réduisant ses possibilités de survenue (dissuasion), en mettant en place des systèmes de surveillance, des systèmes de défense (ouvrages, barrières) ; et de se préparer à l’affronter, autrement dit à « faire face à la crise », en planifiant des mesures, en pré-organisant la mobilisation des êtres humains et des moyens. La gestion des risques sous la responsabilité des autorités publiques est, ainsi, pensable, sinon aisée à mettre en œuvre. Grâce à l’articulation entre technique, science et État, le projet de maîtrise des risques a pu être élaboré et se développer.

3Quand il s’agit de prendre au sérieux la question des vulnérabilités – et donc, de ne pas les limiter à ce qui est susceptible d’être affecté ou détruit quand une menace se réalise –, l’approche des risques devient plus problématique. Sur le plan conceptuel, cela conduit à rompre avec une vision statique des vulnérabilités et à admettre que le risque se constitue non seulement quand survient une menace mais aussi quand, à « cette occasion », se révèlent et s’activent diverses formes de vulnérabilités. Des vulnérabilités d’ordre matériel, physique ; des vulnérabilités humaines et organisationnelles, sociales et politiques ; des vulnérabilités liées aux modes de connaissance et d’action…, dont l’analyse revient, pour l’essentiel, aux sciences humaines et sociales. Sur le plan de l’action, des changements de perspective s’imposent également dès lors qu’il apparaît que les problèmes à résoudre ne relèvent plus de la seule compétence des autorités publiques et, plus particulièrement, de l’État national. Les entités politiques et administratives intervenant au plan local, territorial ; les entreprises et les associations entrent alors véritablement dans le cercle des gestionnaires de risques, donnant ainsi corps, de façon un peu élargie, à la « société civile » (cf. IV.30).

Conséquences sociopolitiques

4Avec la prise en compte des vulnérabilités, la notion de « risque » change considérablement puisque celui-ci apparaît avant tout comme étant le produit des activités et du mode d’existence des collectivités humaines. Si, sans événement et sans agent, il n’y a évidemment aucun risque, ce ne sont cependant pas eux qui lui donnent toute son ampleur. Le risque sismique est contenu autant dans les modes de construction, d’urbanisation, d’aménagement du territoire que dans le phénomène naturel auquel il est assimilé. Le risque de pandémie* est contenu autant dans le système d’échanges qui prévaut au niveau mondial que dans tel ou tel virus. De même, le risque d’accident majeur ou le risque hospitalier sont-ils autant contenus dans les choix technologiques et les options prises en matière d’organisation que dans les fautes et les erreurs humaines sur lesquelles les autorités et les experts se focalisent. Par ailleurs, la prise en compte des vulnérabilités induit un changement dans la fixation des priorités. Qu’est-ce qui est le plus important : « lutter contre » les diverses menaces identifiées ou atténuer les vulnérabilités en renforçant les capacités de résilience ? Se protéger des effets propres à chaque type de menace ou préserver au sein d’une collectivité ou d’une société ce qui semble être vital ? Enfin, l’accent mis sur les vulnérabilités et la résilience n’est pas sans conséquences en termes sociopolitiques : qui porte la charge et, plus encore, la responsabilité de la sécurité collective lorsque la gestion des risques se situe au cœur même des sociétés ? En d’autres termes, quel sens donner à l’action de l’État lorsque cette gestion repose moins sur des dispositifs exceptionnels, sur des « états d’exception », que sur des ressources et des dispositions inscrites dans le fonctionnement ordinaire des collectivités ?

5En réponse à la question posée en introduction, une hypothèse peut être avancée : le maintien d’une vision classique des risques et de leur gestion (« faire face aux risques ») s’explique par les problèmes que les nouvelles perspectives apparaissant dans ce domaine posent aujourd’hui aux pouvoirs publics et à leurs experts. Problèmes d’ordre « technique » tout d’abord : comment intégrer les vulnérabilités dans une analyse globale des risques ? Comment concevoir la résilience ? Mais, également problèmes d’ordre « politique » : comment prendre en compte les redistributions de compétence et de légitimité qui se profilent dans le domaine de la connaissance et de l’action ? Et cela dans un contexte, où les enjeux s’avèrent être assez complexes. Les nombreuses références à la résilience, par exemple, peuvent répondre au souhait d’autonomie d’acteurs de la société civile, voire de collectivités locales (sans endosser toutes les responsabilités). Mais elles peuvent aussi répondre au souhait des pouvoirs publics de se délester d’une partie de leur responsabilité (sans, pour autant, perdre toute autorité). En bref, la permanence en France d’une vision des risques aujourd’hui dépassée marque peut-être avant tout une hésitation quant aux options devant être privilégiées.

Bibliographie

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Références bibliographiques

• S. BECERRA et A. PELTIER – Risques et environnement : recherches interdisciplinaires sur la vulnérabilité des sociétés, L’Harmattan, Sociologies et Environnement, 2009.

• C. GILBERT – La vulnérabilité, une notion à explorer, Pour la science, n° 51, 2006.

• S. REVET – Penser et affronter les désastres : un panorama des recherches en sciences sociales et des politiques internationales, Critique internationale, n° 52/3, 2011.

10.57071/469rig :

• É. RIGAUD – Résilience et management de la sécurité. Pistes pour l’innovation en sécurité industrielle, Cahiers de la Sécurité Industrielle, n° 8, Fondation pour une Culture de Sécurité Industrielle, 2011.

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