20. Donner un prix à l’environnement ?
p. 180-181
Texte intégral
1Taxes environnementales, permis d’émission négociables ou rémunération des services écologiques visent à mettre fin à l’usage gratuit de l’environnement, à lui donner une valeur via un prix pour le protéger. Mais pèse sur cette idée la suspicion d’une « marchandisation » de l’environnement et d’une négligence des valeurs éthiques qui, seules, justifient sa protection. C’est ici que l’économie publique permet de dissiper des confusions, qui obscurcissent le débat public.
Que signifie la « valeur sociale de l’environnement » ?
2Partons d’une idée simple : tout euro dépensé pour l’environnement ne le sera pas ailleurs. Oublions pour le moment le fait que les euros dépensés « ailleurs » peuvent ne pas l’être de façon socialement utile. Derrière tout euro, il y a du travail et il faut s’interroger sur l’effort qu’il est légitime d’affecter à l’environnement plutôt qu’à la santé, l’éducation ou la compétitivité des entreprises. C’est pourquoi les économistes tentent d’évaluer la « valeur sociale de l’environnement » c’est-à-dire la façon dont l’environnement contribue au « bien-être » de la population. Ce bien-être est constitué de biens et services marchands, mais aussi non marchands (le plaisir d’un paysage ou d’une eau pure, par exemple). Dans un premier temps, ils essaient de contourner la difficulté de l’évaluation monétaire des gains en bien-être de l’amélioration de l’environnement par un raisonnement en « coût – efficacité ». Dans ce cas, ils reconnaissent que les objectifs environnementaux (normes de qualité, baisse des émissions de CO2) résultent in fine d’un choix politique et qu’il convient simplement de mettre en œuvre les politiques publiques les plus efficaces pour les atteindre.
3S’il est possible d’évaluer le coût de ces politiques, alors il est également possible d’évaluer indirectement la valeur sociale de l’environnement : grâce à une courbe du coût des divers objectifs environnementaux, la valeur sociale apparaît comme celle du coût de l’objectif retenu par le débat politique. Cette méthodologie est, par exemple, pratiquée pour l’évaluation des coûts d’atteinte de divers niveaux de stabilisation de la température moyenne du globe.
De la valeur sociale à la valeur monétaire
4Ceci est une première forme d’évaluation monétaire de l’environnement : le coût d’un objectif fixé politiquement représente la valeur que la société lui attache. Mais, dans ce schéma, le choix politique se fait en l’absence de calcul explicite des conséquences de divers niveaux de qualité environnementale. Le risque est donc qu’il ne résulte que des seuls rapports de force entre réseaux d’influence. C’est pour prévenir ces risques que l’analyse « coût – bénéfice » cherche à mettre des euros de gains en bienêtre de la protection de l’environnement en face des coûts de cette protection. La « valeur sociale environnement » est celle qui égalise ces gains et ces coûts ; elle s’exprime en monnaie.
5L’évaluation monétaire des coûts environnementaux a deux composantes : pertes en bien-être d’un paysage dégradé ou d’un air ambiant chargé en particules, qui ne sont pas des pertes de « valeur économique » stricto sensu, et pertes de productivité venant, par exemple, de la dégradation de la fertilité des sols et de la qualité de l’eau, ou de la fragilisation des infrastructures par des événements climatiques extrêmes. L’évaluation de ces pertes ne va pas de soi. L’utilité perçue par les individus d’un niveau de qualité environnementale dépend de l’information reçue et varie selon les cycles médiatiques. Les évaluations sont aussi fort différentes, selon que se pose la question de la volonté à payer pour ce niveau ou de la compensation revendiquée pour sa dégradation. Quant aux pertes de productivité, elles ne peuvent être évaluées que dans le cadre de scénarios à long, voire très long terme, qui peuvent faire l’objet de fortes controverses.
6À ces deux difficultés se rajoute le fait qu’il faut agréger ces pertes sur de longues périodes au-delà de la décennie : c’est « l’actualisation ». En imaginant qu’un euro demain ait moins de poids qu’un euro aujourd’hui, celle-ci a pour premier effet d’écraser la valeur des coûts environnementaux. Mais en même temps, elle est nécessaire pour éviter le sacrifice des générations présentes au nom de risques futurs. Un taux d’actualisation nul conduirait en effet à une forte hausse de l’épargne et à une baisse immédiate de la consommation. Cette contradiction ne peut être évitée qu’en explicitant davantage nos conjectures sur le futur. Plus une limite se rapproche, plus elle devient contraignante et le coût de l’environnement est alors nécessairement croissant dans le temps. De plus en toute logique, il faut intégrer l’incertitude et les risques de bifurcation irréversibles vers des zones de danger peu contrôlables, non réductible à un simple calcul des probabilités. La « valeur d’option » vient alors contrebalancer l’effet de l’actualisation.
7Ainsi, l’évaluation monétaire des coûts environnementaux est à la fois une tâche impossible pour ceux qui attendent une réponse définitive et un exercice nécessaire pour que le débat public se fasse sur la base d’éléments rationnellement discutables. Des précautions sont donc à prendre pour garantir que cet exercice soit réellement un lieu de négociation entre acteurs. Il est en effet facile, en jouant sur un ou deux paramètres, de changer le sens des évaluations, comme, par exemple, la valeur du temps dans l’évaluation d’un aéroport.
8In fine, tout calcul dépend d’un choix sur les visions du futur. Ce n’est pas lui qui dicte « la bonne valeur », mais il révèle la valeur de l’environnement correspondant à ces visions, de façon à ce que les choix soient faits en meilleure connaissance de cause.
De la valeur monétaire de l’environnement au prix de l’environnement
9Dans un monde simple, la solution serait de calculer la valeur qui égalise les coûts et les bénéfices de la protection de l’environnement et de la transformer en signal prix. Dans la réalité, cette connexion entre valeur de l’environnement et prix est plus complexe. Un prix n’est d’abord qu’une composante de la panoplie d’instruments nécessaires pour guider les comportements, car il faut, le plus souvent, combiner une taxe à d’autres instruments (réglementaires, par exemple) et le niveau de cette taxe, qui dépend alors de leur efficacité, peut très bien être différent de la valeur sociale de l’objectif retenu. Ensuite, les choses se compliquent par les effets d’équilibre général d’un prix de l’environnement. Celui-ci se propage sur l’ensemble de l’appareil de production, renchérit le prix des biens et affecte surtout les couches défavorisées. Dans ce cas, il faut le fixer à un niveau inférieur à la « valeur sociale » de l’environnement. Mais à l’inverse, si une taxe est recyclée pour baisser des impôts qui pénalisent l’économie et réduire les coûts de production (charges sociales par exemple), elle peut devenir supérieure à la « valeur sociale environnement ».
10Ainsi, de même que le calcul de la valeur de l’environnement dépend d’une explicitation des visions du futur, la transformation de cette valeur en prix, dépend de l’insertion des politiques environnementales dans l’ensemble des politiques publiques.
Bibliographie
Références bibliographiques
• F. LECOCQ et J.-C. HOURCADE – Le taux d’actualisation contre le principe de précaution ? Leçons à partir du cas des politiques climatiques, L'Actualité économique, vol. 80, n° 1, 2004.
• J.-C. HOURCADE – Précaution et approche séquentielle de la décision face aux risques climatiques de l'effet de serre, in Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme, Institut National de la Recherche Agronomique, 1997.
• J.-C. HOURCADE, P. AMBROSI et P. DUMAS – Beyond the Stern Review : Lessons from a Risky Venture at the Limits of the Cost – Benefit Analysis, Ecological Economics, Elsevier, vol. 68, n° 10, 2009.
Auteur
Économiste, Directeur de Recherche au CNRS, CIRED, Nogent-sur-Marne.
hourcade@centre-cired.fr
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2012