16. La transition énergétique
p. 172-173
Texte intégral
1La transition énergétique est aujourd’hui comprise comme une évolution des systèmes énergétiques, spontanée ou volontaire, vers plus de durabilité. Celle-ci est généralement associée à une moindre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES*).
2L’augmentation régulière de l’usage de l’énergie depuis la fin du XVIIIe siècle s’est accompagnée d’une évolution des principales ressources employées ainsi que d’une diversification des usages. Le charbon a constitué la principale source d’énergie tout au long du XIXe siècle dans les régions du monde qui avaient pris le tournant de la révolution industrielle. Il a alimenté principalement des installations industrielles fixes et le transport maritime et ferroviaire. Il a été progressivement remplacé par les combustibles liquides dérivés du pétrole à partir de la fin de la Première Guerre mondiale, principalement pour des usages mobiles. Enfin, après la Seconde Guerre mondiale, l’électricité s’impose comme le principal vecteur énergétique, fourni non seulement par les centrales thermiques mais aussi par les grands barrages et les centrales nucléaires. Elle est utilisée dans les usines mais aussi par les ménages et par les activités de services. Ces trois temps constituent les trois moments de transitions énergétiques passées auxquels pourrait succéder une quatrième transition.
3Cette histoire des transitions, réalisée sur deux siècles et demi, comprend trois dimensions : les sources d’énergie primaire*, les formes d’énergie consommées (et donc les technologies de conversion et de transport) et enfin les usages des consommateurs, autrement dit la demande. Le terme de « transition » a d’abord été employé pour décrire la substitution d’une source d’énergie avant de désigner un changement complet de système comme, par exemple, le grand développement des centrales nucléaires en France ou la mise en œuvre de l’alcool comme carburant au Brésil. La question est donc de savoir si la transition énergétique souhaitée correspondra à un changement partiel ou à un bouleversement complet du système énergétique.
Débats publics et feuilles de route
4À l’heure actuelle, le terme est largement repris en France, où la transition énergétique fait l’objet d’un débat public, et dans certains pays développés tant d’un point de vue normatif que descriptif. Une transition énergétique est jugée nécessaire pour deux raisons principales : faire face à l’épuisement inéluctable des énergies fossiles, qu’il faut substituer par des énergies renouvelables, et d’autre part limiter les émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion des hydrocarbures et du charbon. À ces motifs globaux s’ajoutent des objectifs nationaux, tels que la réduction du coût des importations d’énergie et de la facture énergétique pour les entreprises et les ménages, la sécurisation des approvisionnements ou encore le développement d’industries nationales dans les nouvelles technologies de l’énergie.
5Si l’épuisement des ressources fossiles est inéluctable, il n’en reste pas moins que l’exploitation de ressources non conventionnelles (gaz de schistes, offshore profond, cf. V.13…) est de nature à la repousser. De fait, la Commission européenne, dans sa feuille de route pour 2050, ne retient que la nécessité de réduire les émissions de GES pour justifier la nécessité d’une transition. Or, même si les spécialistes du climat s’accordent sur la gravité du changement climatique global, les mécanismes politiques mondiaux permettant d’y faire face sont affaiblis par la crise économique et l’enlisement des dernières conférences mondiales sur le climat (cf. I.7). Il n’est donc pas certain que les deux forces principales (épuisement des fossiles et impératif climatique) qui devaient impulser la transition énergétique le fassent. En revanche, l’évolution du coût de l’énergie et les demandes de la société peuvent amener des changements.
Choix technologiques et sociétés
6La transition énergétique s’ouvre donc sur plusieurs incertitudes. La plus évidente, directement présente dans les débats français, est liée aux choix technologiques à privilégier et aux mécanismes de pilotage du système énergétique. À côté de technologies éprouvées mais controversées, comme le nucléaire, il existe de multiples technologies reposant sur des ressources renouvelables. Cependant, toutes comportent leurs propres contraintes d’implantation et d’utilisation. Or les systèmes existants sont caractérisés par l’importance des investissements déjà réalisés, tels que les centrales, les grands réseaux mais aussi l’équipement des ménages et des entreprises. Dès lors, il devient difficile d’imaginer une transition énergétique qui ne serait pas compatible avec les systèmes techniques actuels (cf. IV.14).
7Le déploiement de ces nouvelles solutions techniques aura inévitablement des conséquences sur les prix de l’énergie. Pour certains, la hausse est inévitable, même souhaitable, car elle poussera les consommateurs à une indispensable sobriété (efficacité énergétique*) tout en facilitant la pénétration de technologies aujourd’hui trop coûteuses. Elle pourrait être l’une des conséquences d’une taxation plus forte des émissions de GES. Pour d’autres, cette augmentation serait préjudiciable à la compétitivité des entreprises et un facteur de précarité énergétique pour les ménages modestes : il convient donc d’imaginer une transition énergétique permettant le maintien de prix bas pour l’énergie (cf. IV.20).
8Ce débat français sur la transition énergétique est l’une des versions de la question. Dans d’autres pays, notamment les pays en forte croissance, la question de la transition est d’abord celle de l’accès à l’approvisionnement énergétique à moindre coût. Ainsi, pour le Brésil par exemple, l’évolution du modèle énergétique a bien inclus le recours à des combustibles renouvelables, l’éthanol tiré de la canne à sucre, mais aussi la construction de grands barrages sur les fleuves amazoniens ainsi que l’exploitation à moyen terme des gisements d’hydrocarbures en offshore profond. La Chine construit des centrales thermiques et des grands barrages. Les États-Unis exploitent les gaz de schiste. S’agit-il encore de transition énergétique ? Il y a bien un changement profond de système énergétique dans chacun de ces pays, mais il ne répond pas au double impératif indiqué initialement.
9L’expression de transition énergétique doit donc être comprise en fonction de situations territoriales diverses, tant pour la disponibilité des ressources comme pour l’interconnexion aux réseaux existants mais aussi et surtout aux formes de décisions politiques qui les orientent. En ce sens, les situations de pouvoir des différents territoires sont une clé fondamentale de lecture des transitions énergétiques aujourd’hui en cours.
Bibliographie
Références bibliographiques
• GLOBAL CHANCE – Des questions qui fâchent. Contribution au débat national sur la transition énergétique, Les Cahiers de Global Chance, www.global-chance.org, 2013.
• M. DUBOIS – La transition énergétique, Éditions DDB, 2009.
• www.netransitions.net.
• www.transition-energetique.gouv.fr.
Auteur
Géographe, Professeur des Universités, Paris 3 Sorbonne Nouvelle, IHEAL, CREDA, Paris.
sebastien.velut@univ-paris3.fr
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