11. Modes de vie liés à la mondialisation
p. 162-163
Texte intégral
1Le PIB* (produit intérieur brut) mondial croît régulièrement à un rythme d’environ 3 % par an, tendance qui se maintient par-delà les variations conjoncturelles depuis cinquante ans. Cette croissance n’est pas uniforme, les inégalités entre les pays et à l’intérieur d’un même pays demeurent fortes. Et, à la hausse constante du PIB répond l’accroissement de la consommation, que reflète cet indicateur. La hausse de la consommation matérielle accompagne celle des revenus. Dans le contexte mondial de généralisation des modes de vie urbains et de la croissance démographique, l’aspiration à se doter d’un certain nombre d’équipements transcende les différences culturelles. L’augmentation du volume de la consommation de biens partout dans le monde participe, comme celle de la consommation de services, à la généralisation d’un mode de développement non durable. Cependant, c’est encore dans les pays les plus riches, que la consommation de biens poursuit fortement son ascension, malgré plus de cinquante ans de critiques culturelles de la consommation de masse. Dans les pays européens, elle a augmenté de près d’un tiers entre 1990 et 2002 (AEE 2005). Et les projections à l’horizon 2020 montrent que cette tendance se poursuivra.
Consommation des biens et des services
2Le volume et la nature des biens matériels et des services consommés s’effacent derrière l’équivalent monétaire, dans la mesure du PIB. Or, du point de vue du développement durable, ils devraient être tout aussi significatifs. Ainsi, en France, la consommation de services a-t-elle cru bien plus fortement que celle des biens durant ces dernières décennies. Il n’en reste pas moins que la consommation de biens continue elle aussi de croître, même si elle le fait à un rythme moindre que celle des services (figure). Les Technologies de l’Information et de la Consommation (TIC), qui ont été la source d’augmentation la plus forte des dépenses des ménages durant ces dernières années, sont des services qui impliquent une infrastructure matérielle importante, dont les conséquences environnementales, encore méconnues, sont considérables : forte consommation de matières premières rares et non renouvelables (cf. V.19), d’eau et d’énergie, et en fin de vie, traitement des déchets transférés aux pays les plus pauvres ou aux générations futures. La « dématérialisation », qui devait, à terme apporter des effets bénéfiques pour l’environnement, n’a pas eu lieu.
3En 2005, dans son dernier rapport disponible sur les effets de la consommation sur l’environnement, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) souligne plusieurs aspects des modes de vie des Européens ayant une forte incidence sur l’environnement : l’alimentation, l’habitat, les transports et la mobilité, et le tourisme. Dans chacun de ces domaines, l’évolution des modes de vie entraîne une annulation des gains dus à une meilleure éco-efficience, un phénomène appelé « effet de rebond ». L’efficience énergétique des appareils électroménagers, par exemple, s’est améliorée durant la période considérée, mais l’usage s’en est intensifié. Le volume de la consommation dans les pays les plus riches pose autant problème que la nature des consommations.
La consommation durable
4D’après le Ministère en charge de l'Écologie et du Développement durable, « la consommation durable comprend trois dimensions : mieux acheter, mieux utiliser et mieux jeter ». Mais cette définition laisse dans l’ombre l’autre part essentielle de la consommation durable : la réduction du volume de la consommation, car réduire la consommation aurait des incidences indésirables sur la croissance. Pourtant, beaucoup d’experts s’accordent pour dire que la généralisation des modes de vie occidentaux alliée à la croissance démographique n’est pas soutenable (cf. VI.24), en particulier pour la lutte contre le changement climatique, les menaces qui pèsent sur la biodiversité ou les ressources rares (terres fertiles, pétrole, eau, métaux précieux…). Alors que de nombreux programmes institutionnels, depuis Rio 1992, s’attaquent à la question de la consommation durable, dans la pratique il s’avère difficile de remettre en question un modèle de développement qui repose sur la croissance économique et sur sa mesure monétaire. Le débat porte aujourd’hui à la fois sur la rénovation des instruments de mesure du développement (bien-être contre croissance mesurée par le PIB), et sur l’action publique susceptible de transformer les pratiques des consommateurs. Mais les bonnes intentions se heurtent à la complexité des enjeux : comment agir en direction des consommateurs et citoyens sans remettre en question notre modèle de développement ?
5Un éventail d’initiatives collectives pour promouvoir une consommation durable, réalisé par l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE) en 2008, mentionne les instruments économiques (labels, taxes, subventions et incitations), les campagnes de communication et de sensibilisation, et l’éducation. Du côté des entreprises se développent des stratégies de labellisation et de communication sur les performances écologiques, tandis que certaines administrations privilégient des pratiques d’achat de produits labellisés écologiquement. Au plan international, les initiatives au sujet de la « consommation durable » ont surtout débouché sur la création de rencontres, d’événements et de groupes de travail destinés à réformer les systèmes d’indicateurs, afin de pouvoir rendre compte des progrès éventuels vers une consommation plus durable. Le « Plan d’action pour une production et consommation durables » lancé en 2008 par la Commission des Communautés européennes (CCE) de Bruxelles se focalise surtout sur la production et sur l’action des entreprises pour accroître l’offre de produits plus écologiques à des prix compétitifs, afin de, maintenir le plus élevé possible le niveau de la consommation. Les enquêtes de consommation de l’INSEE qui permettraient de prendre la mesure de changements qualitatifs dans le sens d’une consommation plus durable – comme une étude de la consommation de viande industrielle vs viande « responsable » ou la mesure de la part de végétariens dans la population française – sont rares et focalisées sur les produits qui font croître la consommation, comme les services des TIC.
6Du côté de l’opinion publique, les militants consacrent des réflexions, des rapports au changement des modes de vie et de consommation. Les « nouveaux mouvements sociaux » rallient à leur cause ceux qui pensent qu’il faut changer de mode de développement. Qu’elle soit appelée « consommation verte », « responsable », « engagée » ou « équitable », il est indéniable qu’une certaine sensibilité se fait jour. L’action individuelle est parfois invoquée comme une solution idéale aux difficultés institutionnelles à intervenir dans la vie quotidienne des gens. Parfois, les individus-consommateurs poussent le changement jusqu’à modifier leur style de vie : réduire le temps de travail et le revenu pour disposer de plus de temps et réduire la consommation (downshifter), ralentir et réduire sa consommation et ses déchets en achetant uniquement des produits d’occasion, s’autolimiter ou refuser tel ou tel produit d’équipement ou de confort… Il est trop tôt pour se prononcer sur l’effet que toutes ces expérimentations individuelles ou collectives auront sur notre manière de concevoir la consommation et le confort matériel, mais il est certain qu’une transformation de civilisation est en cours. Elle n’est pas un phénomène de mode, mais un processus qui dure depuis plus de cinquante ans et qui nous invite à comprendre les conditions sociales de la transition écologique.
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.3917/re1.087.0105 :• F. FLIPO, F. DELTOUR, M. DOBRÉ et M. MICHOT – Peut-on croire aux TIC vertes ? Technologies numériques et crise environnementale, Presses de l’École des Mines, 2012.
• M. DOBRÉ et S. JUAN – Consommer autrement, la réforme écologique des modes de vie, L’Harmattan, 2009.
• Agence Européenne pour l'Environnement – Household Consumption and the Environment, EEA Report, n° 11, 2005.
Auteur
Sociologie, Professeur des Universités, Université de Caen, Directrice du Master de Recherche de sociologie, membre du CERReV, Caen.
michelle.dobre@unicaen.fr
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2012