5. Élevage : comment prendre en compte les trois piliers de la durabilité ?
p. 150-151
Texte intégral
De la domestication à l’industrialisation de l’élevage
1Les animaux d’élevage accompagnent les sociétés humaines et leur rendent de multiples services : alimentation, transport, travail, loisir, habillement, chauffage et production d’engrais pour les cultures. La domestication est un processus continu, et en développement pour de nombreuses espèces de poissons.
2Au XVIIIe siècle, les éleveurs commencent à distinguer des races animales en fonction de leur répartition géographique, de la couleur ou de la taille des animaux. Des livres généalogiques sont établis pour identifier tous les animaux nés et leurs parents. Les performances sont enregistrées, comme le poids corporel. Les éleveurs s’associent pour déterminer les critères de choix des futurs reproducteurs d’une race. Cette évolution a lieu en Europe, en Asie et peu en Afrique. Elle concerne plusieurs espèces : vache, mouton, chèvre, cheval, porc, poulet. Ainsi, une race animale peut être considérée comme une construction socio-économique sur une base génétique.
3À partir de 1950, les systèmes d’élevage et les races animales connaissent une spécialisation croissante, afin d’augmenter la production de protéines animales pour l’alimentation humaine. La sélection des animaux s’organise avec un fort investissement de la recherche agronomique : contrôle des performances, centralisation des données, développement de méthodes mathématiques pour calculer les valeurs génétiques des animaux sur la base des performances et, récemment, sur la base de génotypes* moléculaires permettant d’associer marqueurs et performances pour la sélection génomique. Cette évolution s’accompagne d’une standardisation croissante des systèmes d’élevage, car la réponse à la sélection est plus forte quand les facteurs du milieu sont homogènes et mieux contrôlés. L’industrie de l’alimentation animale se développe. Le métier d’éleveur devient très technique : l’alimentation est formulée en fonction des besoins des animaux en production, des bâtiments d’élevage sophistiqués sont construits, la prévention et le traitement des maladies sont assurés par la vaccination et des médicaments, la reproduction est parfois contrôlée par l’utilisation d’hormones exogènes. L’augmentation de la taille et de la concentration des élevages pose de nouveaux problèmes pour la maîtrise de la santé et la gestion des déjections. Les acteurs de l’élevage s’organisent en filière par espèce.
De l’industrialisation au questionnement de la durabilité
4En cinquante ans, les performances et les concentrations des élevages dans certaines régions – comme la Bretagne, pour l’élevage de vaches laitières, de cochons, de poulets – ont augmenté de manière spectaculaire. Un élevage plus extensif existe toujours, comme dans le Massif Central, avec une utilisation importante de prairies pour les bovins. Les déjections animales sont de moins en moins utilisées comme engrais pour les cultures, ce qui provoque souvent des pollutions locales, lorsque l’élevage est concentré (cf. V.17). À haut niveau de production, la fertilité des animaux se dégrade, notamment celle des vaches laitières et des poulets de chair, et la diversité génétique diminue. Le service rendu à la société par les animaux d’élevage se concentre sur la fourniture d’aliments riches en protéines, sauf pour quelques espèces utilisées pour le loisir, comme le cheval et les animaux de compagnie, qui fournissent un service culturel.
5Les systèmes d’élevage moins intensifs et traditionnels continuent d’exister en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud, mais l’essor des pays émergents comme la Chine et le Brésil conduit aussi à l’industrialisation de l’élevage qui privilégie la composante économique du développement durable, au détriment des composantes environnementale et sociale. En Europe, le souci du bien-être animal, l’émergence de crises sanitaire, de pollutions, et la méconnaissance du métier d’éleveur par le citadin conduisent à questionner la légitimité de l’élevage dans la société. Et, par ailleurs, l’intérêt pour les races anciennes se renforce à partir des années 1990.
6En 2006, l’ouvrage « Livestock’s long shadow » de la FAO* constitue un choc : l’élevage contribue au changement climatique par la production de gaz à effets de serre* directement (ammoniac, méthane) et indirectement via les cultures destinées à l’alimentation animale. S’en suit alors une période de réflexion sur les limites des systèmes de production des pays industrialisés, incluant les débats du Grenelle de l’environnement, avec la promotion de nouveaux concepts : agriculture intégrée, agriculture raisonnée, agriculture écologiquement intensive, agro-écologie.
Pour un élevage durable
7Un large champ de recherches s’ouvre pour concevoir et évaluer des systèmes d’élevage durables, conciliant viabilité économique, respect de l’environnement et acceptabilité sociale (cf. IV.28). Il s’agit : 1) d’analyser, en conditions expérimentales, des systèmes d’élevage en rupture avec l’existant (élevages laitiers à très bas intrants, élevage avicole en plein air…) ; 2) de développer des modèles informatiques de fonctionnement d’exploitations pour une expérimentation virtuelle ; et 3) de repérer et d’étudier des situations innovantes existantes. La prise en compte des principes de l’agro-écologie constitue un outil efficace pour concevoir et analyser ces nouveaux systèmes. Des prospectives et expertises scientifiques sont réalisées : une expertise collective récente décrit la cascade de l’azote (figure) et montre comment la modélisation des flux d’azote liés aux élevages peut aider à améliorer le bilan environnemental des exploitations. L’enjeu majeur est de réaliser une évaluation multicritère, tenant compte de manière conjointe des 3 piliers de la durabilité. De nouvelles approches méthodologiques sont nécessaires pour permettre aux systèmes d’élevage d’évoluer en valorisant la diversité des situations dans lesquelles ils sont installés, afin de répondre durablement et équitablement aux demandes du consommateur et du citoyen, qui varient en fonction des pays, comme la consommation de produits animaux qui augmente dans les pays émergents.
Bibliographie
Références bibliographiques
• A. AUDIOT – Races d’hier pour l’élevage de demain, Quae, 1995.
• B. DUMONT et al. – Prospects from Agroecology and Industrial Ecology for Animal Production in the 21St Century, Animal, 2013.
• M. GRIFFON – Nourrir la planète, Odile Jacob, 2006.
• M. GUILLOU et G. MATHERON – 9 milliards d’Hommes à nourrir, François Bourin, 2011.
• J.-L. PEYRAUD, P. CELLIER, C. DONNARS et O. RÉCHAUCHÈRE – Les flux d’azote liés aux élevages, réduire les pertes, rétablir les équilibres, Synthèse du rapport d’expertise scientifique collective, INRA Éditions, 2012.
Auteurs
Génétique animale, Directrice de Recherche à l’INRA, Directrice scientifique adjointe à la Direction scientifique Environnement, Jouy-en-Josas.
michele.boichard@jouy.inra.fr
Physiologie animale et Systèmes d’élevage, Directeur de Recherche à l’INRA, Président du Centre INRA de Clermont-Theix-Lyon, Theix.
jean-baptiste.coulon@clermont.inra.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012