16. Le littoral : un nouveau biome ?
p. 134-135
Texte intégral
1Les premières implantations humaines en zone littorale connues à ce jour remonteraient à environ 100 000 ans et ont été localisées sur la côte de l’Afrique du Sud. Pendant très longtemps l’humanité n’a été que « spectatrice » et n’a cueilli qu’une partie infime des ressources. Mais, en s’appropriant cet espace, les populations humaines ont d’abord contribué localement à sa diversification. La création de nouvelles zones humides par la construction de digues littorales, l’extension de biotopes* comme les marais salants, la fragmentation de l’espace lagunaire par des pêcheries permanentes (aquaculture), ou encore l’implantation de certaines cultures comme celle des mollusques, ont à la fois diversifié les écosystèmes littoraux et contribué à un accroissement de la biodiversité. Ainsi, certaines pratiques conchylicoles aboutissent à la création de nouveaux biotopes, où la diversité des espèces fixées peut se développer, comme c’est le cas des tables de la lagune de Thau, qui constituent l’équivalent de véritables récifs artificiels aux propriétés bénéfiques bien connues (figure).
Nuisances anthropiques*
2Aujourd’hui, l’humanité est devenue, non seulement le prédateur le plus vorace existant sur le littoral, mais aussi son nouveau « constructeur/destructeur » le plus efficace. En cause, la colonisation massive du littoral par des populations permanentes et temporaires et une artificialisation tout aussi massive des côtes à l’échelle mondiale. Les Européens ont exploité les ressources littorales au moins depuis le Paléolithique et, à l’époque romaine, la plupart des paysages côtiers étaient loin d’être « d’origine ». La ville de Marseille, a été fondée il y a 2 600 ans par les Grecs. La cité phocéenne, deuxième ville de France, n’a cessé, depuis, de constituer un pôle d’attraction des populations de Méditerranée, qui ont chacune transformé le littoral marseillais selon leurs besoins.
3Dès lors que le littoral n’est plus une zone de pêche et de culture, mais qu’il devient une zone d’habitation permanente ou temporaire, notamment grâce aux progrès techniques, la présence humaine génère des nuisances multiples qui vont affecter la biodiversité et les ressources qui y sont associées, et sa structure même, en modifiant considérablement sa physiographie et son fonctionnement physique et chimique. En Europe, c’est au Moyen Âge que se développent fortement les implantations humaines, notamment dans les zones estuariennes, où elles vont transformer systématiquement l’environnement côtier et en exploiter commercialement les ressources.
4La diversité naturelle des systèmes écologiques littoraux (lagunes, mangroves*, herbiers, récifs coralliens…) et la très grande biodiversité qu’ils abritent sont à l’origine de multiples services écosystémiques* et sociaux. L’humanité, en voulant développer d’autres usages (habitat, transport…) ou en abusant de certains d’entre eux, bouleverse les équilibres fondamentaux des systèmes littoraux, au point de remplacer certaines fonctions de ces systèmes par d’autres. De « nouveaux biomes* » apparaissent en tant que systèmes anthropoconstruits, comme les ports ou les cités urbaines littorales. Ceux-ci deviennent le lieu d’interactions intenses entre l’espèce humaine et les autres espèces, et de rétroactions très rapides et perceptibles à l’échelle d’une génération humaine : prolifération d’algues vertes ou toxiques, effondrement des stocks de poissons, contamination des produits aquacoles (cf. II.21)… Autant de crises, dont la fréquence et la portée ne cessent d’augmenter, ce qui indique que les équilibres initiaux de ces écosystèmes d’interface sont déplacés. Ces nouveaux biomes sont implantés sur les littoraux artificialisés, dont la structure et les caractéristiques sont très différentes de l’état initial affectant en particulier la dynamique de transfert de matière et d’énergie entre le continent et l’océan. Ces altérations sont aussi à l’origine de nouveaux aléas, de nouvelles vulnérabilités et, donc, de nouveaux risques, comme l’érosion rapide des côtes ou leur submersion catastrophique (cf. II.10).
Durabilité des littoraux
5Au-delà des conséquences désormais anciennes des activités humaines densifiées, se pose donc désormais à court terme la question de la durabilité « physique » des littoraux : les nouveaux biomes* créés n’auraient qu’une durée de vie limitée… Dans la perspective actuelle de montée du niveau des mers, des études ont montré que les structures anthropiques qui remplacent les structures littorales naturelles, non seulement ne résisteront pas à la montée des eaux, mais seront des obstacles à la reconstruction naturelle des nouveaux littoraux.
6Les enjeux, les défis à relever et les questions posées sont multiples et la recherche se doit de dépasser des approches sectorielles – entretenues par les usages spécifiques du littoral et de ses acteurs, et par les intérêts et les organisations sociales et territoriales associés – pour promouvoir une démarche systémique à différentes échelles d’organisation de ces systèmes. À large échelle, il s’agit de considérer le littoral comme une interface au sein du continuum terre-mer, et les populations humaines qui l’occupent comme à l’origine des principaux déterminants de son évolution (cf. II.22). Ainsi, face au gradient d’anthropisation* des systèmes littoraux, est-il possible d’identifier des seuils de vulnérabilité, en comprendre les mécanismes et en hiérarchiser les principaux facteurs de forçage ? Quels sont les déterminants des crises environnementales, comment les modéliser pour simuler leur occurrence future sous l’effet de différents scénarios (anthropisation croissante versus remédiation) ? Comment estimer et prévoir le(s) niveau(x) de diversité fonctionnelle et les assemblages permettant d’assurer le bon fonctionnement des systèmes et le maintien des services écosystémiques ? À l’échelle des populations, il est essentiel d’étudier les capacités d’adaptation et les mécanismes associés pour les organismes vivant à ces interfaces et d’identifier les interactions entre les espèces présentes qui permettent à ces systèmes de fonctionner (cf. V.28).
7Si l’humanité est chassée de l’environnement littoral, victime des conséquences de ses actes, nous ne savons pas si ces territoires pourront retrouver leurs équilibres initiaux ou bien s’ils tendront vers de nouveaux équilibres. Comment anticiper et simuler les conséquences de la « désanthropisation » (par une action qui sera forcément anthropique…) ou d’une anthropisation plus maîtrisée, et sa capacité à générer de nouveaux services ? Les sites désindustrialisés (sidérurgie, constructions navales, pêcheries) pour cause de diminution de la ressource ou de compétition au sein de l’espèce humaine pourraient servir de zones expérimentales pour analyser la recolonisation des environnements artificialisés.
8Finalement, l’aménagement des nouveaux territoires littoraux devra tirer profit des erreurs des schémas passés et élaborer des concepts intégrant les êtres humains comme des acteurs bénéficiant à leur environnement et pas seulement comme une espèce envahissante, toxique ou dominante.
Bibliographie
Références bibliographiques
• F. CABANE – Lexique d’écologie, d’environnement et d’aménagement du littoral, IFREMER, 2012.
• M. GROUSSON – Les mille et une métamorphoses du littoral, Le journal du CNRS, Alerte sur le Littoral, n° 210, 2007.
• L. AIROLDI et M. W. BECK – Loss, Status and Trends for Coastal Marine Habitats of Europe, Oceanography and Marine Biology : an Annual Review, 2007.
Auteurs
Écologue, Directeur de Recherche au CNRS, ECOSYM, Montpellier.
troussel@univ-montp2.fr
Géologue, Directeur de Recherches au CNRS, OSU OREME, Montpellier.
nicolas.arnaud@cnrs-dir.fr
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2012