15. L’accès aux terres fertiles : un enjeu pour l’alimentation mondiale
p. 132-133
Texte intégral
1Les projections démographiques des Nations unies font état d’une augmentation de la population mondiale de 7 milliards d’habitants en 2010 à 9 milliards vers 2050. L’offre agricole va devoir faire face à cette croissance (cf. I.6). Si la tendance actuelle d’évolution de la demande se maintient, la production agricole mondiale à des fins alimentaires devrait passer de 50 à 70 % d’ici 2050. Deux leviers sont alors actionnables : accroître les rendements agricoles ou augmenter les surfaces cultivées. La première option se heurte à la tendance actuelle à la stagnation des rendements et à l’écart persistant entre rendement potentiel et rendement réel. La seconde option pose la question de la disponibilité des terres à mettre en culture, des conditions de leur accès pour la production alimentaire et des effets de cette extension des surfaces cultivées (cf. V.14).
Augmenter les surfaces cultivées ?
2Sur les 13 milliards d’hectares de terres émergées, 12 % sont occupés par des cultures, 26 % par des prairies et des pâturages, et 30 % par de la forêt (figure 1). Le solde, 32 %, correspond à des surfaces impropres à l’agriculture et à la forêt pour des raisons climatiques, topographiques, pédologiques, ou couvertes par les eaux intérieures, ou artificialisées, et/ou fortement anthropisées* (villes, étalement urbain, routes…). Entre 1961 et 2007, les surfaces agricoles mondiales ont augmenté de 476 millions d’hectares (ha), au détriment principal des surfaces forestières, qui ont diminué de 400 millions d’ha. Un tiers de cette augmentation a été dédié aux cultures et deux tiers aux prairies et pâturages. Une telle évolution ne touche pas identiquement tous les pays : dans les pays développés, les surfaces allouées aux cultures ont constamment diminué, alors que leur croissance est continue dans les pays en développement.
3En s’appuyant sur les caractéristiques agro-climatiques des sols, 4,2 milliards d’ha sont considérés comme des surfaces potentiellement cultivables sur un mode pluvial, dont 1,6 milliard est déjà cultivé. En restreignant les terres potentiellement cultivables aux seules surfaces non encore cultivées, non boisées et localisées dans des zones de densité inférieure à 25 hab/km2, Fisher et Shah estiment à 445,5 millions d’ha la réserve foncière cultivable. Cependant, ce potentiel est très inégalement réparti sur la planète : la moitié de ces surfaces est localisée en Afrique subsaharienne, région dont la population risque de doubler d’ici 2050 et dont les ressources sont déjà limitées, et un quart en Amérique latine (figure 2). En dépit des incertitudes dues à l’omission de certains facteurs (besoins des élevages, dégradation des sols, accessibilité des terres, coût de mise en culture, distance aux marchés, préservation de la biodiversité…), ces estimations font ressortir un potentiel allant jusqu’à 1 million d’ha de surfaces cultivables, celui-ci pouvant être augmenté d’un demi-million d’ha si la possibilité de conversion de terres forestières y était intégrée.
Équilibres entre usages des sols
4L’usage à finalité alimentaire des terres cultivées entre en concurrence avec d’autres usages ou finalités : les prairies sont un support essentiel à la croissance des productions animales ; les surfaces forestières et boisées répondent également à des objectifs de séquestration de carbone ; la demande de produits agricoles à finalité énergétique ou industrielle non-alimentaire s’accroît ; la pression pour la préservation d’espaces « naturels » protégés s’accentue (cf. V.24)…
5Tous les résultats de modélisation montrent une tendance à l’extension des surfaces destinées aux cultures et aux prairies, aux deux horizons 2020 et 2050. L’expansion des surfaces destinées aux cultures à finalités bioénergétiques (biocarburants) est potentiellement importante à horizon 2050. Les surfaces cultivées s’étendent généralement plus vite que les surfaces en herbe et cette expansion des terres arables concerne plus particulièrement l’Afrique, l’Amérique latine et, dans une moindre mesure, l’Asie. À l’inverse, les surfaces forestières, les surfaces laissées en savanes, en prairies naturelles, et les surfaces disponibles pour les écosystèmes non-anthropisées diminuent fortement : ce déclin des surfaces naturelles varie, selon les modèles, de 0 à 20 %. Le maintien de surfaces forestières ou dédiées à des espaces naturels de protection répond à une nécessité pour rendre les prélèvements à des fins alimentaires « soutenables », au sens de leur pérennisation intergénérationnelle, et donc du maintien de la richesse des écosystèmes (cf. I.9). Pour tenir simultanément les enjeux de production et les objectifs de durabilité peu ou mal couverts par les marchés, il y a alors lieu d’introduire des politiques publiques visant à la protection des espaces ou à la régulation des usages.
Acquisitions transfrontalières
6L’accentuation des concurrences entre usages, la rareté des disponibilités en terres mobilisables et l’instabilité des marchés et des prix agricoles ont induit le développement récent des acquisitions de terres agricoles par des « macro-acteurs » étrangers publics ou privés. Du fait de son potentiel de terres cultivables, l’Afrique est particulièrement visée par ces acquisitions, les investisseurs provenant souvent de pays émergents (Chine, Inde, Corée du Sud, pays du Golfe), mais aussi de pays développés (Royaume-Uni, États-Unis).
7Bien qu’il soit peu aisé d’en évaluer précisément l’ampleur, les acquisitions massives de terres, telles que répertoriées par la Banque Mondiale, couvriraient potentiellement 56,6 millions d’ha, dont les deux tiers concernent directement l’Afrique subsaharienne. Les objectifs de ces projets sont variés, puisque 37 % d’entre eux concernent des productions vivrières visant à « sécuriser » les approvisionnements des États investisseurs, 21 % des cultures industrielles et 21 % des biocarburants, ces deux derniers usages relevant plutôt d’investisseurs privés.
8Si, logiquement, la quantité de terres hors forêts disponibles pour l’agriculture joue un rôle important dans le développement du nombre de projets visant un pays hôte, il est accentué dans les pays où l’insécurité foncière des populations est particulièrement marquée, ce qui justifie les craintes de spoliation évoquées par certains observateurs. Il y a cependant un écart important entre les projets et leur réalisation. Les investisseurs internationaux recherchant des titres de propriété ou des attributions par l’État peuvent se heurter aux régimes juridiques spécifiques qui existent dans chaque pays et qui répondent aux besoins de sécurisation foncière des agriculteurs.
9L’extension des surfaces cultivées n’est donc pas la solution unique à envisager pour répondre aux enjeux de l’alimentation mondiale. En complément, d’autres leviers d’action sont envisageables : augmentation parcimonieuse des rendements en limitant l’usage des autres ressources et les atteintes à l’environnement ; évolution des régimes alimentaires pour limiter la surnutrition et les excès d’alimentation carnée là où ils existent ; et réduction des pertes et gaspillages à tous les stades des filières agricoles (post-récoltes, stockage, transformation, distribution, consommation).
Bibliographie
Références bibliographiques
• G. FISHER et M. SHAH – Farmland Investments and Food Security, Rapport pour la Banque Mondiale, IIASA, 2010.
• M. GUILLOU et G. MATHERON – 9 milliards d’Hommes à nourrir. Un défi pour demain, François Bourin, 2011.
Auteur
Économiste, Directeur de Recherche à l’INRA, Chef du département SAE2, CESAER, Dijon.
schmitt@dijon.inra.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012