9. Ambiances urbaines, écologie sensible
p. 120-121
Texte intégral
1L’environnement sensoriel des espaces habités, participant au bienêtre des habitants, est l’objet d’une attention croissante, tant des concepteurs de l’urbain que des chercheurs. Les nombreux travaux s’intéressant à l’écologie des villes en termes sonores, lumineux, thermiques, olfactifs… conduisent au développement d’approches, qui vont de la notion de gêne à celle de confort, de la notion de paysage à celle d’ambiance. En faisant appel à une démarche d’ordre socioesthétique, elles s’élaborent à partir des expériences vécues, irréductibles à leur stricte dimension physique, et se placent au plus près des perceptions communes et des pratiques quotidiennes. Les habitants sont alors considérés comme des acteurs à part entière de leur milieu de vie, avec leur sensibilité à l’environnement et leur capacité à le transformer.
De l’environnement aux ambiances
2Au croisement de la qualité de vie des citadins, des stratégies socio-économiques des villes et des problèmes d’ordre écologique, les ambiances (ou « atmosphere » dans les pays anglophones) constituent une clé de lecture particulièrement opératoire pour rendre compte de nos manières d’habiter et de transformer notre environnement au quotidien. Des milieux conditionnés des centres commerciaux jusqu’aux écoquartiers emprunts de verdure, en passant par les centres historiques « patrimonialisés » (cf. III.5), les trames vertes et bleues en développement (cf. III.10), les nouvelles scènes de la ville créative et les atmosphères fonctionnelles des espaces de transport, chacun de ces territoires procède de mises en ambiances spécifiques. Avec leur aménagement matériel, leur tonalité affective et leur vie sociale, ils sensibilisent notre relation à l’environnement, l’intègrent à nos conduites quotidiennes et participent des dynamiques urbaines contemporaines (cf. III.3).
3Ainsi, une ambiance peut être définie comme un espace-temps éprouvé en termes sensibles. Elle convoque dans un même mouvement l’ensemble des modalités sensorielles de la perception et se situe à l’articulation des formes sensibles, des formes sociales et des formes construites. La notion d’ambiance relève donc d’un domaine de recherche plurisensoriel et interdisciplinaire particulièrement attentif au caractère situé, incarné et partageable de l’expérience habitante.
4En décrivant les atmosphères matérielles et les tonalités affectives des lieux, le domaine des ambiances ne dissocie par le monde naturel du monde social, l’environnement à l’état objectif de l’environnement à l’état subjectif. Par conséquent, une ambiance n’est pas un objet de perception, mais plutôt sa condition. Une ambiance n’est pas « perçue », mais « éprouvée ». Autrement dit, l’ambiance se présente comme un troisième terme entre un sujet percevant et un objet perçu. S’adossant à la fois sur une physique contextuelle, qui analyse la propagation des signaux dans un espace bâti et sur une socioesthétique qui étudie les expériences sensibles in situ, ce domaine propose des circulations nouvelles entre le mesuré et le qualifié, le conçu et le vécu, le matériel et l’immatériel. Une telle posture a été rendue possible par le développement d’outils d’analyse transversaux, de méthodes d’enquête in situ, d’interfaces numériques originales et de modes de représentation des phénomènes d’ambiances (figure 1).
Écologie sensible de l’urbain
5Le domaine des ambiances dresse de nouvelles perspectives en matière d’écologie urbaine (cf. III.6). C’est ainsi que les formes de la vie sociale sont rapportées à nos manières d’être ensemble dans un milieu sensible. L’attention se porte alors sur ce qui rend un environnement sensible habitable et hospitalier, sur la pauvreté en expérience de certains espaces aseptisés ou délaissés, sur les façons de ménager ou de prendre soin d’un site, sur les esthétiques à l’œuvre dans les milieux souterrains ou les écoquartiers, sur les inductions ambiantales de la marche en ville, sur les formes sociopolitiques d’encadrement et d’orchestration du monde sensoriel. L’ambiance s’inscrit ainsi dans des enjeux d’ordres très différents. Elle aide à mieux comprendre la capacité des habitants à s’approprier leur milieu de vie, à l’investir affectivement et à le transformer dans leurs gestes les plus ordinaires. Elle permet également d’analyser les temporalités de la ville en redonnant droit de cité aux cycles saisonniers, aux micro-événements de la vie quotidienne, aux mémoires habitantes et aux imprégnations lentes et diffuses du milieu urbain. L’ambiance pose aussi des questions de nature sociopolitique, quand elle conduit à déconstruire les stratégies marchandes en œuvre dans le marketing sensoriel, quand elle met à l’épreuve la teneur publique des espaces urbains, ou quand elle révèle le pouvoir normatif de certains environnements sensoriels conduisant à la relégation de catégories sociales jugées indésirables.
6La place centrale donnée à la dimension sensible dans les manières de concevoir l’espace architectural et urbain ouvre aussi la voie à un design des ambiances. Divers dispositifs matériels, installations interactives et processus participatifs (cf. IV.27) sont expérimentés, permettant d’explorer le potentiel de l’environnement construit dans la transformation d’un milieu ambiant. Par exemple, des prototypes à l’échelle 1 :1 sont expérimentés en laboratoire, qui apposent des filtres végétaux à des cloisons transparentes, testent les propriétés lumineuses ou acoustiques d’espaces intérieurs ou modélisent des enveloppes thermiques afin de mieux caractériser et prédire l’émergence de phénomènes sensibles. Ou bien encore, des marches commentées sont organisées sur la Place de la République à Paris (figure 2) ou sur le site des Grand-Places à Fribourg pour donner la parole aux habitants et mettre en partage le récit de leurs expériences. Cette démarche originale de concertation in situ permet à l’ensemble des acteurs concernés (habitants, représentants d’association, élus, employés des services techniques…) de croiser leurs regards sur les lieux, identifier ensemble des enjeux de projet et préfigurer des ambiances à venir. Le son, la lumière, l’air, l’eau, la végétation, l’énergie deviennent matière à un urbanisme sensoriel, à un aménagement bioclimatique ou à une architecture atmosphérique. La conception de l’espace ne consiste plus seulement à fabriquer des formes bâties, mais également à installer des atmosphères sensibles.
Bibliographie
Références bibliographiques
• J-F. AUGOYARD (dir.) – Faire une ambiance, Bernin, À la Croisée, 2011.
• J.-P. THIBAUD et D. SIRET (dir.) – Ambiances en acte(s), Actes du 2nd Congrès International sur les Ambiances, Réseau International Ambiances, http://halshs.archives-ouvertes.fr, 2012.
• M. ZARDINI (dir.) – Sensations urbaines. Une approche différente à l’urbanisme, CCA, 2005.
Auteur
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012