8. Métabolismes urbains
p. 118-119
Texte intégral
Métabolisme urbain ?
1Le « métabolisme urbain » désigne l’ensemble des processus, par lesquels les villes importent, consomment, transforment, stockent ou exportent énergie et matières. Cette expression, employée pour la première fois en 1965 par l’ingénieur Abel Wolman, est généralement utilisée de façon métaphorique : il ne s’agit pas d’assimiler la ville à un organisme, mais de reconnaître que son fonctionnement met en jeu des flux d’énergie et de matières qu’elle échange avec d’autres sociétés humaines et avec la biosphère. L’analyse du métabolisme urbain contribue à caractériser ces interactions : combien d’énergie représente l’ensemble des activités urbaines ? Combien de matières – eau, aliments, produits finis… ? Que deviennent ces flux une fois qu’ils sont entrés dans les sociétés urbaines ? Sous quelles formes sont-ils éventuellement rendus à la nature ? Quelles en sont les conséquences ?
2Cette approche se démarque des démarches sectorielles classiques, qui conduisent à considérer séparément les déchets et les ressources, les eaux usées et les déchets solides ou les émissions atmosphériques, ou encore l’énergie et les matières, d’après les travaux de recherche, les politiques ou les techniques qui leur sont consacrés. Il s’agit ainsi de considérer les flux urbains comme formant un système.
Bilans d’énergie et de matières, flux indirects et empreintes
3La réalisation de bilans quantifiés est l’un des principaux outils mobilisés dans cette perspective : si rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, alors il doit être possible de quantifier le métabolisme urbain. L’analyse des flux de matières brutes (AFM) donne ainsi une vue d’ensemble de ce que pèse, au sens littéral du mot, le fonctionnement d’une ville ; l’analyse des flux d’énergie (AFE) traite de ses besoins énergétiques ; l’analyse des flux de substances (AFS) permet l’étude d’un élément ou d’un composé chimique spécifique : carbone, azote, plomb, selon les enjeux identifiés.
4Les flux d’énergie et de matières importés par les villes ont souvent subi, à l’amont, des transformations : la matière première a été convertie en produit fini ou semi-fini, l’énergie primaire* en énergie secondaire* (par exemple, le charbon en électricité) avant sa distribution au sein de l’espace urbain. Par conséquent, les quantités de matière et d’énergie qui ont été réellement mises en œuvre pour la production de tel ou tel flux entrant sont souvent supérieures à ce flux : la différence constitue le « flux indirect », quantifiable, notamment, grâce aux analyses du cycle de vie (ACV*, cf. VI.22).
5Enfin, les flux d’énergie et de matières lient les villes à d’autres territoires, qui les approvisionnent ou reçoivent leurs excreta, si bien que leur impact environnemental peut être très éloigné d’elles. Sa prise en compte nécessite la détermination d’aires et de distances d’approvisionnement, puis des empreintes environnementales qui y sont associées. Sont ainsi identifiées une empreinte spatiale caractérisant et localisant par exemple la surface nécessaire pour nourrir une ville, une empreinte hydrique, une empreinte azote, carbone… Cette démarche permet de spatialiser et de localiser les flux indirects.
Une circulation linéaire, des enjeux de dématérialisation
6Ces analyses montrent que le métabolisme urbain se caractérise – comme les sociétés industrielles tout entières – par une circulation linéaire des matières : importations de matières extraites de la biosphère (transformées ou pas), stockage ou rejet de celles-ci sous une forme et en un lieu différents. Celle-ci s’accompagne de l’ouverture des cycles biogéochimiques caractérisée par une augmentation des matières en circulation et par, à l’amont, l’épuisement de certaines ressources (phosphore, combustibles fossiles, cf. VI.13), et, à l’aval, la constitution de stocks, que les processus naturels ne parviennent pas à résorber (gaz à effet de serre* dans l’atmosphère, azote et phosphore dans les sols et les milieux aquatiques…). L’essentiel des problèmes environnementaux, locaux, régionaux et globaux s’explique ainsi : ressources raréfiées, changement climatique, eutrophisation*, pollution acide, perte de biodiversité (qui a aussi d’autres causes)… Les villes attirant l’essentiel des ressources et étant à l’origine, directement ou indirectement, de la plupart des émissions, la connaissance et la maîtrise de leur métabolisme constituent des enjeux majeurs.
7Un tel constat n’a pas pour objet de stigmatiser les sociétés urbaines, mais de mettre en avant le potentiel que représentent les villes en termes de dématérialisation, de décarbonisation, de dewatering – consommation moindre de matières, de carbone, d’eau –, de régulation, voire de rebouclage, des cycles biogéochimiques. Il appelle aussi une meilleure compréhension des dimensions sociales du métabolisme urbain, produit de l’interaction entre des processus physiques et biogéochimiques, d’une part, et des techniques humaines, d’autre part, elles-mêmes résultant de choix politiques, économiques, sociaux : c’est l’objet de l’écologie territoriale.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• S. BARLES – Écologies urbaines, industrielle et territoriale, in O. COUTARD et J.-P. LÉVY (éds.) – Écologies urbaines, Economica/Anthropos, 2010.
• G. BILLEN, J. GARNIER et S. BARLES (éds.) – History of the Urban Environmental Imprint, Special Issue, Regional Environmental Change, 2012.
10.4000/books.septentrion.15560 :• N. BUCLET – Écologie industrielle et territoriale. Stratégies locales pour un développement durable, Presses du Septentrion, 2011.
Auteur
Urbaniste, Professeur des Universités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire Géo-Cités, Institut Universitaire de France, Directrice du PIRVE, Paris.
sabine.barles@univ-paris1.fr
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2012