7. Mobilité urbaine
p. 116-117
Texte intégral
1En France, comme dans nombre de pays, le secteur des transports est au cœur de la problématique du changement climatique de nature anthropique. À l’origine de 27,3 % des émissions de gaz à effet de serre* en 2011 (CTN*), la participation des transports est significative (parmi bien d’autres) et elle est quasi stable depuis 1973, en France comme à l’échelle mondiale. Si beaucoup reste à faire, le secteur a pris au sérieux ses responsabilités, et les émissions de CO2 des moteurs thermiques neufs ont été réduites de 28 % depuis 1995, affichant aujourd’hui un objectif ambitieux de réduction de 50 % pour l’horizon 2020. En revanche, la question énergétique reste une préoccupation majeure : 84 % des transports intérieurs de marchandises et 90 % du transport intérieur de personnes sont, en effet, assurés par la route, avec des véhicules à moteur thermique. En conséquence, en 2011, le trafic routier est à l’origine de 80 % de la consommation de pétrole et des émissions polluantes du secteur, et de 71 % de la consommation finale de produits pétroliers à des fins énergétiques en France, part qui a plus que doublé depuis 1973. La dépendance du secteur au pétrole est écrasante, dans un contexte où les prix de cette ressource sont irrémédiablement volatils à court terme et orientés à la hausse à long terme. Face à cette dépendance, 66 % des circulations routières relèvent du transport de voyageurs, contre un gros tiers pour le transport de marchandises.
La mobilité des Français
2Deux types de mobilité sont à considérer : la mobilité* à longue distance, définie par tous les déplacements des Français de plus de 100 kilomètres ; et la mobilité locale, définie par ceux de moins de 100 kilomètres. La figure 1 montre que les mobilités à longue distance et sur les lieux de séjour (vacances, déplacements professionnels) représentent presque la moitié des distances annuelles parcourues par les Français (44,9 %) et qu’elles sont en croissance sensible. L’importance de cette mobilité est inversement proportionnelle à la place qu’elle tient dans les débats sur la vulnérabilité énergétique.
3La mobilité locale, associée aux activités de la vie courante (travail, école, accompagnement, achat, loisir…), est décomposée en trois segments, selon les lieux de départ et de destination des déplacements réalisés. Les mobilités internes* aux aires urbaines*, somme des mobilités urbaines (ville centre et banlieue) et périurbaines*, représentent moins de 22 % des distances annuelles parcourues par les Français. La mobilité strictement urbaine n’est qu’un petit segment de la mobilité des Français. Elle est le berceau de l’activité des transports publics (figure 2), dont la maîtrise des coûts repose sur la densité humaine, et le segment dont la croissance est la plus atone, avec la mobilité de fin de semaine* (figure 1). Les distances réalisées entre les aires urbaines (19,2 %) constituent le segment le plus important et le plus dynamique de la mobilité locale, témoin de pratiques et activités quotidiennes menées à l’échelle de la région urbaine par une population croissante. La croissance des mobilités dans le périurbain et entre les aires urbaines, à l’œuvre depuis 30 ans, explique le rôle déterminant de la voiture dans les distances parcourues localement (83 %). L’écart entre les résidants des zones centrales et ceux des zones périphériques, pour des personnes comparables en termes de niveau de vie et de position dans le cycle de vie, est considérable : de l’ordre d’un à trois en termes de distances parcourues, de consommations et d’émissions d’énergie.
La mobilité au quotidien
4Depuis 1985, les nombreux investissements dans le transport public (18 réseaux de tram, métros automatiques…) et la diversification des services de mobilité (quartiers piétons, vélos, autopartage…) ont amélioré la qualité de vie des villes. Ces politiques n’ont pas enrayé la croissance des circulations routières locales, reflet d’un développement urbain hors les « murs de la ville », de l’étalement des fonctions urbaines dans l’espace. Ce dernier s’est développé à l’aune d’une politique de déploiement de services d’infrastructures routières et ferrées rapides et de tarification faible, voire nulle, de leurs usages, des années 1960 jusqu’aux années 1990. En plein boom de l’accès à la voiture et dans un contexte de croissance des prix immobiliers dans les zones centrales et d’absence de politique spatialisée du logement, les conditions d’exercice de la mobilité ont permis, à un grand nombre, d’accéder à la propriété loin des centres, tout en conservant des temps de déplacements identiques.
5Ces politiques ont « donné » aux conditions d’exercice de la mobilité un rôle d’aménageur des fonctions urbaines dans l’espace, sur la base d’une norme de mobilité rapide, peu coûteuse, et autonome : l’usage de la voiture. Cette norme, en phase avec les exigences de flexibilité, de réactivité et d’autonomie de la société moderne, pose problème aux personnes qui ne peuvent y adhérer (cf. III.3). Aujourd’hui, cette population augmente avec la croissance des coûts de l’énergie, du chômage, de la perte d’autonomie dans l’allongement de la vie. La mobilité, assise sur un droit de liberté acquise dans les sociétés démocratiques – le droit d’aller et venir – acquiert objectivement un statut de droit de créance, soit un devoir d’assurer la mobilité des exclus de la norme, car la mobilité est la condition d’exercice d’autres droits (au logement, au travail, à la santé…) et que le politique a du mal à assumer pour tous, le renvoyant en partie à chacun ou à la solidarité citoyenne.
6La dépendance au pétrole de la mobilité locale concerne les territoires peu denses, et surtout leurs résidants les plus modestes. 9 % des ménages du Grand Lyon seraient dans cette situation de vulnérabilité énergétique économique : toute augmentation du coût du pétrole est pour eux synonyme de précarisation de leurs conditions de vie. Dispersée dans l’espace et difficile à repérer, la vulnérabilité énergétique économique de la mobilité n’est qu’une dimension de la vulnérabilité. Pour les individus, les risques de divorce, de perte d’emploi et de grosse panne de voiture ont des conséquences très supérieures à celles induites par le risque pétrolier : le « reste à vivre » baisse autant avec 1 % de revenu en moins qu’avec 20 % de hausse du carburant… C’est probablement en touchant les ressorts de l’économie que la vulnérabilité à la mobilité sera la plus motrice politiquement : des coûts d’accès au travail conduisant à une situation telle que le revenu net du travail devienne inférieur à l’allocation-chômage, ou au revenu social, imposeraient de faire évoluer le modèle.
7La mobilité locale n’est qu’un segment de la dépendance énergétique du pays au pétrole, et cette dernière n’est qu’une dimension de la vulnérabilité globale au quotidien. Si la transition énergétique doit être organisée (cf. IV.16), il faudra considérer tous les segments de la mobilité pour asseoir sa pertinence économique en respectant les besoins de mobilité de tous.
Bibliographie
Références bibliographiques
• E. KORSU et al. – Le concept de ville cohérente. Penser autrement la proximité, La Documentation Française, 2012.
• M.-H. MASSOT et J.-P. ORFEUIL – La mobilité, demain : une contrainte énergétique exigeante mais maîtrisable, TEC, n° 216, 2012,
• M.-H. MASSOT (dir.) – Mobilités et modes de vie métropolitains, les intelligences du quotidien, L’Œil d’or, 2010.
• M.-H. MASSOT et J.-P. ORFEUIL – La contrainte énergétique doit-elle réguler la ville ou les véhicules ? Mobilités urbaines et réalisme écologique, Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 103, 2007.
Auteur
Économiste, Directrice de Recherche à l’IFSTTAR, Directrice adjointe du LVMT, Université Paris-Est, Champs-sur-Marne.
marie-helene.massot@ifsttar.fr
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