6. Écologies urbaines
p. 114-115
Texte intégral
Études urbaines et environnement
1Au cours de la dernière décennie, prenant appui sur des travaux précurseurs parfois anciens, un « changement de paradigme* » s’est amorcé dans les recherches visant à appréhender les questions environnementales urbaines. À une conception dominante, qui, comme en écho à l’opposition communément soulignée entre ville et campagne, opposait le fait urbain à « l’environnement » (et réciproquement) se substitue progressivement une conception des villes comme sites stratégiques de l’interaction entre les sociétés et l’environnement naturel et construit, d’une part ; et de l’étude des modalités de cette interaction, d’autre part. Dans ce nouveau paradigme, les espaces urbanisés et les sociétés urbaines ne sont plus exclusivement considérés comme des sources de nuisances pour l’environnement, mais également, et dans le même temps, comme des ressources dans la construction de formes plus durables de relations entre les sociétés et l’environnement.
2Ce changement de perspective sous-tend une évolution profonde dans les recherches urbaines (urban studies), comme, d’ailleurs, dans les recherches environnementales. Pour s’en tenir ici aux premières, il s’agit désormais de porter l’attention sur les processus qui mettent en jeu des interactions complexes, aux différentes échelles spatiales (locale, régionale, planétaire) et temporelles (court, moyen, long terme), entre les diverses dimensions (humaine, sociale, politique, culturelle, économique, juridique, matérielle, écologique…) du fonctionnement et de l’évolution des systèmes urbains. La recherche urbaine connaît, de ce fait, une « mise à jour » de ses objets, de ses concepts et de ses questionnements, favorisée par la constitution progressive autour de ces enjeux intellectuels d’une communauté interdisciplinaire réunissant des chercheurs en sciences humaines et sociales, en sciences de l’ingénierie, en sciences de l’environnement, de la vie, de la Terre et de l’atmosphère (cf. III.9).
La ville comme milieu
3Dans ce contexte, deux courants principaux de travaux se développent et se recoupent par endroits. Le premier vise à appréhender les villes comme des environnements (indissociablement naturels et construits), comme des milieux de vie pour des populations humaines, mais aussi animales et végétales. S’y croisent écologues, sociologues, climatologues, acousticiens, ingénieurs de l’atmosphère, géographes, historiens… s’efforçant d’élucider les formes et les conditions de l’habitabilité des espaces urbanisés et les incidences de ces questions, à la fois sur les sociétés urbaines et sur la conception et la gestion des villes. Les recherches menées, qui s’inscrivent dans un cadre désormais plus interdisciplinaire que simplement pluridisciplinaire, sont diverses et portent, par exemple, sur les ambiances urbaines, les trames vertes et bleues, l’esthétique environnementale, les pratiques citadines de la nature, la qualité de l’air ou les îlots de chaleur urbains. La ville vivante est aussi appréhendée dans la perspective du changement climatique qui l’affecte et qu’elle affecte tout à la fois.
L’écologie territoriale
4Le second courant de recherches s’attache à l’étude des relations que les villes entretiennent avec l’environnement, à toutes les échelles spatiales, de la proximité immédiate à l’échelle planétaire. C’est dans ces espaces que se joue, pour l’essentiel, la tension entre la finitude des ressources de la planète et l’infinitude des besoins, induite par le modèle dominant de développement. Les systèmes urbains consomment de grandes quantités d’espaces, de matières, d’eau et d’énergie ; ils affectent localement, régionalement et planétairement tous les cycles biogéochimiques, que ce soit directement ou indirectement par l’intermédiaire des flux qu’ils engendrent hors des espaces urbains (cf. III.8). Mais ce « métabolisme urbain » ne peut être convenablement appréhendé, et le cas échéant infléchi, que par la compréhension fine des relations qu’il entretient avec les pratiques individuelles et collectives, les dynamiques et les formes d’organisation collective et de gouvernement urbains. C’est le projet que se donne le champ interdisciplinaire émergeant de l’écologie territoriale.
Questionnements émergents
5Si chacun de ces deux courants de recherches reste, en soi, fécond, d’ores et déjà émergent de nouvelles questions qui les traversent. Ainsi, les travaux relatifs à la ville dans l’environnement ne peuvent se contenter de considérer celle-ci comme une boîte noire, dans la mesure où c’est en son sein que se situe une bonne partie des leviers qui expliquent, voire gouvernent, le métabolisme urbain, mais aussi dans la mesure où celui-ci a un impact non négligeable sur l’habitabilité urbaine, et où, enfin, les espaces urbains constituent aussi des gisements de ressources, dont la mise en valeur s’inscrirait dans une logique d’économie d’énergie et de matière. Ces approches ne peuvent donc être cantonnées au champ de l’ingénierie, au risque d’ignorer les conséquences sociales d’une optimisation aveugle du métabolisme urbain. Ces deux courants se rejoignent également dans l’étude des questions d’atténuation des changements de l’environnement ou d’adaptation à ces changements, et dans les réflexions sur la transition urbaine et la transition énergétique, qu’elles soient considérées dans une perspective analytique ou normative (cf. IV.16). Sur un plan plus conceptuel, un enjeu concerne le dépassement des dichotomies traditionnelles, nature/culture ou naturel/construit, par exemple : les villes les combinent de façon si étroitement imbriquée qu’il ne semble plus possible ni souhaitable de s’en tenir à ces distinctions. Cela implique de trouver de nouveaux descripteurs et modes d’analyse pour ces arrangements socio-naturels ou socio-écologiques.
Écologisation et transformation des villes
6L’écologisation croissante de la pensée et des discours sur la ville est incontestable ; et elle s’appuie sur un corpus de travaux scientifiques de plus en plus abondant. Mais les effets de ce mouvement sur les pratiques de conception et de production urbaines et, in fine, sur les transformations matérielles des espaces urbanisés, paraissent plus limités et paradoxaux. Les échelles de référence des acteurs de la fabrique urbaine, leur culture professionnelle, les outils qui les « équipent », semblent souvent faire obstacle à une véritable hybridation des logiques environnementale et aménagiste. La multiplication de formes diverses de participation et de mobilisations écologiques ne semble pas pouvoir significativement infléchir les logiques du capitalisme vert et de la modernisation écologique urbaine. Des facteurs (et des acteurs) puissants œuvrent à perpétuer des formes d’urbanisation fortement consommatrices de ressources et, notamment, d’espace… Les conditions et les modalités de mutations concrètes des socio-écosystèmes urbains sont également un enjeu majeur pour la recherche.
Bibliographie
Référence bibliographique
• O. COUTARD et J.-P. LÉVY (dir.) – Écologies urbaines, Economical-Anthropos, 2010.
Auteurs
Socio-économiste, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur du LATTS, Marne-la-Vallée.
coutard@enpc.fr
Géographe, Directeur de Recherche au CNRS, LAVUE, Paris.
jean-pierre.levy@paris-valdeseine.archi.fr
Urbaniste, Professeur des Universités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire Géo-Cités, Institut Universitaire de France, Directrice du PIRVE, Paris.
sabine.barles@univ-paris1.fr
Géographe, Directrice de Recherche au CNRS, Co animatrice du Programme ANR « TrameVerteUrbaine », LADYSS, Paris.
nathali.blanc@wanadoo.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012