18. L'eau douce, un milieu vivant façonné par les activités humaines
p. 88-89
Texte intégral
1Les milieux d’eau douce occupent des espaces de transfert entre les eaux atmosphériques (précipitations) aboutissant sur un bassin-versant*, puis dans le milieu marin (cf. II.6). Des sources aux exutoires*, les eaux voient leur composition évoluer en fonction des sols, des processus d’érosion et de sédimentation, et des échanges avec les nappes souterraines. Dans ces milieux aquatiques, les espèces dulçaquicoles (vivant en eau douce) ont développé des adaptations leur permettant d’occuper ces différents habitats. Elles sont notamment extrêmement sensibles à la vitesse de renouvellement des eaux dans les lacs, aux régimes hydrologiques des cours d’eau et aux vitesses de courant, à la température, aux teneurs en oxygène dissous et en éléments nutritifs.
2Dans les lacs et étangs, les eaux séjournent sur des périodes de l’ordre d’une à plusieurs années et la quasi-absence de courant permet la prolifération de petites espèces se maintenant par flottaison (plancton). Ces organismes sont à la base de la chaîne trophique* (invertébrés, poissons) et permettent une forte production biologique directement issue des éléments minéraux et de l’énergie présente dans ce milieu spécifique. Dans les cours d’eau, la contrainte physique du courant amène les organismes à privilégier les habitats à l’interface eau-sédiment et à proximité des rives. De plus, les chaînes alimentaires de ces systèmes extrêmement ouverts reposent sur la production primaire* et, pour une large part, sur la matière organique détritique* en provenance du bassinversant. Les communautés biologiques sont ici plus dépendantes des conditions physiques et chimiques, que des interactions entre les espèces. Les parties en aval des grands cours d’eau occupent une position originale avec à la fois un chenal principal* et aussi des plaines alluviales, où les eaux stagnent plus ou moins, comme dans les bras secondaires ou les zones humides. Dans les milieux aquatiques souterrains (karst*, nappes fluviales), la vie se limite aux bactéries et à des espèces spécialement adaptées à l’absence de lumière.
Dépendance aux activités humaines
3Depuis plusieurs millénaires, l’humanité a exploité les milieux aquatiques, notamment par la pêche. Mais, depuis 200 ans, les Européens ont intensifié leurs usages et fortement modifié ces milieux. Ces altérations concernent d’abord la qualité de l’eau. La surabondance de matières organiques et/ou d’éléments nutritifs (azote, phosphore) liée aux rejets urbains et agricoles dans les rivières entraîne une réduction des teneurs en oxygène dissous et le remplacement des espèces par d’autres, plus tolérantes. Les rejets de contaminants utilisés dans l’agriculture et l’industrie provoquent des effets toxiques et la disparition des espèces sensibles (par exemple amphibiens, coléoptères, cf. V.14-15). Parallèlement, les sociétés ont profondément modifié le fonctionnement hydrologique et la morphologie des rivières, tant à l’amont qu’à l’aval des réseaux hydrographiques : création de digues et déconnexion des plaines alluviales pour leur mise en valeur agricole et leur occupation pérenne, chenalisation pour permettre la navigation, érection de barrages pour la production hydroélectrique ou le stockage d’eau en vue de l’irrigation…
4Pour les espèces piscicoles migrant entre les milieux marins et d’eau douce (espèces diadromes*), la présence de barrages infranchissables les condamne bien souvent à la disparition, ce qui est le cas des esturgeons, saumons ou anguilles, par exemple. Pour les espèces de poissons strictement d’eau douce, un réseau hydrographique constitue un espace fermé et ceci explique, avec la taille de ces réseaux, les différences de richesse en espèces natives*. À l’inverse, les interconnexions entre réseaux hydrographiques par les canaux, à partir du XVIIe siècle, ont permis l’introduction dans les rivières françaises d’un grand nombre d’espèces de poissons et de mollusques en provenance d’Europe centrale. À partir du XIXe siècle, beaucoup d’espèces nord-américaines ou asiatiques ont été également introduites intentionnellement ou pas. Au final, plus du tiers des 73 espèces de poissons d’eau douce présentes en France ont été introduites et, pour certaines, depuis le Haut Moyen Âge, comme la carpe (cf. II.22).
Des bioindicateurs de la durabilité des cours d’eau
5Cette extrême sensibilité des espèces aux modifications de leur environnement par l’humanité en a fait très tôt (début du XXe siècle) des indicateurs de l’état des systèmes aquatiques. Plus récemment, en 2000, la Directive européenne Cadre sur l’Eau (DCE*) a imposé la nécessité d’un retour des eaux (rivières, étangs, lacs…) de l’Union à un bon état chimique et biologique, soit des conditions permettant leur protection et leur utilisation viable sur l’ensemble du territoire européen.
6Les programmes de surveillance doivent maintenant inclure, en complément des analyses chimiques, les suivis de la flore (diatomées benthiques*, phytoplancton*, macrophytes*) et de la faune (macro-invertébrés benthiques*, poissons). L’état écologique est apprécié par des bioindicateurs comparant les biocénoses* en place avec celles observées ou prédites par des modèles en l’absence ou quasi-absence de perturbations anthropiques locales (bon état). En cas de non atteinte du bon état, des opérations de restauration doivent être entreprises par chaque État concerné.
7Les bioindicateurs les plus récents ne se basent plus seulement sur les listes d’espèces, mais aussi sur leurs caractéristiques fonctionnelles. Par exemple, les espèces de poissons se nourrissant d’invertébrés (chabot, ombre) se raréfient lorsque le cours d’eau est altéré par les activités humaines, alors que les espèces omnivores (gardon, chevaine), plus tolérantes vis-à-vis de leur nourriture, prolifèrent. Les espèces ayant physiologiquement besoin d’une teneur en oxygène plus élevée (saumon, ombre, chabot…) seront défavorisées par une pollution organique ou une eutrophisation*. Les différents indicateurs biologiques présentent des spécificités (figure). Ceux basés sur les poissons seront globalement moins efficaces que ceux basés sur les invertébrés pour répondre à de faibles altérations de la qualité de l’eau. En revanche, ils réagiront plus fortement aux modifications physiques des cours d’eau : chenalisation, présence de seuils ralentissant l’écoulement, destruction des berges et de la forêt riveraine…
8La biodiversité aquatique rend ainsi compte du fonctionnement général du milieu aquatique. Elle permet d’améliorer la gestion de ces milieux et, en retour, les opérations de restauration participent à sa sauvegarde.
Bibliographie
Références bibliographiques
• C. AMOROS et G.-E. PETTS – Hydrosystèmes fluviaux, Masson, 1993.
• N. CHARTIER TOUZE, Y. GALVIN, C. LÉVÊQUE et Y. SOUCHON – État de santé des écosystèmes aquatiques. Les variables biologiques comme indicateurs, Cemagref Éditions, 1997.
• T. OBERDORFF et al. – Adaptation et validation d’un indice poisson (FBI) pour l’évaluation de la qualité biologique des cours d’eau français, Bulletin Français de la Pêche et de la Pisciculture, 2002.
• R. POURRIOT et M. MEYBECK – Limnologie Générale, Masson, 1995.
Auteur
Écologue aquatique, Directeur de l’UR Hydrosystèmes et Bioprocédés, IRSTEA, Antony.
didier.pont@irstea.fr
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012