17. Le développement durable et les zones humides : une équation difficile
p. 86-87
Texte intégral
Caractéristiques fonctionnelles
1Les zones humides sont des terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre, de façon permanente ou temporaire. La végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles*, pendant au moins une partie de l’année (article L.211-1 du code de l’environnement). Les zones humides, selon cette définition, sont donc essentiellement identifiées géographiquement par la présence d’eau, et d’espèces affectionnant les milieux riches en eau (saturés ou inondés). La convention RAMSAR y associe une notion de « profondeur », considérant que les zones humides n’excèdent pas 6 mètres de profondeur, et y associe surtout une dimension temporelle : le fonctionnement de la zone humide est la combinaison des composantes écologiques et des processus et des services qui caractérisent la zone humide à un moment donné dans le temps (Millenium Ecosystem Assessment, 2005).
2Ainsi, des écosystèmes très variés, tels que des étangs agro-piscicoles, des tourbières*, des marais, des lacs peu profonds, des prairies humides ou des lagunes, porteront tous le nom de « zones humides », sur la base d’un point commun : la présence d’eau.
3Ces écosystèmes, contrairement à beaucoup d’autres, ne sont pas inféodés à un territoire climatique ou géographique, et se rencontrent dans tous les contextes écologiques à l’échelle planétaire. Cette spécificité en fait parfois le parent pauvre de certaines politiques nationales, qui négligent les services qui y sont associés, et ne considèrent pas ces écosystèmes comme emblématiques de leur patrimoine en termes de biodiversité. Dans la plupart des sociétés humaines, ils sont pourtant porteurs d’enjeux économiques (fourniture de nourriture, de fourrage, de combustibles) et écologiques – services tels que le stockage d’eau et de matière organique*, l’épuration des eaux, la biodiversité, mais également risques liés aux invasions biologiques, à leur fonction dans certains cas de réservoir de pathogènes*) – essentiels à leur survie. Paradoxalement, ils sont également parfois le porte-étendard des naturalistes, qui y associent une fraction importante de la biodiversité menacée.
4La présence d’eau génère des caractéristiques communes à ces zones humides (exceptées si elles sont courantes) : une productivité végétale forte, et donc une forte production de nécromasse* végétale ; et la présence de nombreuses espèces animales et végétales possédant des adaptations les liants à ces habitats. Cependant, malgré ce trait commun, les zones humides regroupent sous un terme unique des écosystèmes ayant des fonctionnements contrastés, tant en termes de services que de dynamique et de durabilité : milieux stagnants ou courants, aquatiques ou temporaires, saumâtres ou d’eau douce (cf. VI.9). En outre, les contextes géologiques (pH*, qualité de l’eau, quantité de matières en suspension), climatiques (température), morphologiques (pente, substrat*, vitesse d’écoulement et drainage), mais également anthropiques (usages, eutrophisation*, contamination) structurent très fortement leur fonctionnement (e.g. productivité, biodiversité, durabilité).
Durabilité
5La forte productivité végétale entraîne dans ces zones humides une accumulation de matière organique de vitesse variable. Elle dépend, d’une part, de la productivité relative de la végétation, et d’autre part de l’efficience des processus de minéralisation ou d’exportation de la matière organique. Lorsque la minéralisation et/ou l’exportation de matière organique sont dominants, la vitesse de comblement de la zone humide sera lente ou nulle, et sa durée de vie élevée. Lorsque l’accumulation de matière organique est supérieure à son exportation, la zone humide se comble naturellement et s’exhausse dans les climats les plus froids, ce qui en fait un puits de carbone. Ce comblement conduit, dans les climats tempérés, à sa transformation plus ou moins rapide en un écosystème terrestre. Le fonctionnement en source/puits de carbone dépend, en partie, de l’ensemble des paramètres fonctionnels décrits plus hauts, et en particulier de l’eutrophisation, du pH et de la température.
6Le comblement ne peut être ralenti ou arrêté que lorsqu’une source d’énergie auxiliaire, comme les crues, les assèchements ou l’exportation de biomasse (via la collecte de fourrage, tourbe, bois, litière, le pâturage), vient contrebalancer le processus d’accumulation. Les processus naturels contribuent à ralentir les successions écologiques, mais sont parfois également sous le contrôle des activités humaines, qui en limitent la portée. Par exemple, la régulation des systèmes fluviaux empêche la migration des cours d’eau dans leur plaine alluviale, et l’érosion naturelle des zones humides des vallées alluviales. De même, les prélèvements d’eau dans les aquifères* entraînent la diminution des apports d’eau phréatique et du drainage, et donc de l’exportation des nutriments* et de la matière organique dissoute.
Les zones humides sont-elles durables ?
7Par essence, une zone humide est donc amenée à disparaître, même si cette disparition peut s’inscrire dans le temps long, et les fonctions et les services associés à chaque zone humide s’inscrivent dans une fraction donnée d’espace et de temps. Cette disparition a été fortement accélérée, et la qualité des zones humides, encore présentes dans les paysages, s’est souvent considérablement dégradée à l’échelle planétaire au cours des dernières décennies, du fait de l’intensification des pratiques agricoles (drainages, prélèvements pour l’irrigation, apports de fertilisants et de pesticides, abandon des pratiques de gestion anciennes) et de la modification de l’usage des terres (cf. V.26).
8La pérennisation des zones humides repose, soit sur la genèse naturelle et permanente de nouvelles zones humides analogues à celles qui disparaissent, par exemple via la divagation naturelle des cours d’eau, soit sur des pratiques anthropiques destinées à freiner les processus successionnels : gestion agropiscicole des étangs, pâturage, fauche, brûlis des prairies humides. De manière plus récente, les écologues, face à la disparition des zones humides, et les entreprises, dans le contexte de mesures compensatoires, tentent de restaurer ou de recréer des zones humides, dont l’analogie fonctionnelle avec l’écosystème visé est souvent contestable, car les fonctions dégradées ne sont souvent pas ou peu présentes dans ces nouveaux écosystèmes. De même, parce que les zones humides sont en évolution permanente, une vision fixiste, purement conservatoire, ne s’inscrit pas dans une logique de conservation durable de ces écosystèmes. La conservation des zones humides et des services qui y sont associés repose, d’une part sur une analyse des processus fonctionnels à l’œuvre dans chaque situation, connaissance nécessaire pour identifier la vitesse et le schéma de leur disparition progressive, et, d’autre part, sur une restauration de certains usages, et des processus naturels de construction-déconstruction des zones humides, qui sont autant d’énergies auxiliaires contribuant à la conservation de ces écosystèmes. Cette intégration semble de loin préférable à des opérations de restauration coûteuses, et dont les résultats sont souvent en décalage avec les attentes des acteurs.
Bibliographie
Références bibliographiques
• MILLENIUM ECOSYSTEM ASSESSMENT – Ecosystems and Human Well-Being : Wetlands and Water, World Ressource Institute, 2005.
• E. PROMPT, F. ARTHAUD, G. BORNETTE, J. ROBIN, et D. VALLOD – Les étangs piscicoles, un équilibre dynamique, Cahiers techniques Rhône-Alpes, 2011.
• T. E. DAHL et C. R. JOHNSON – Status And Trends of Wetlands in The Conterminous United States, Mid-1970S To Mid-1980S, US Department of the Interior, Fish and Wildlife Service, 1991.
Auteur
Écologie végétale et fonctionnement des zones humides, Directrice de Recherche au CNRS, LEHNA, Université Claude Bernard, Lyon.
gbornett@univ-lyon1.fr
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2012