14. Sols vivants et cycles biogéochimiques
p. 80-81
Texte intégral
1Le sol est un milieu, à la fois organique et minéral, où la matière morte constitue le plus grand réservoir de carbone dans les systèmes terrestres. Mais il est également un milieu vivant, possédant la plus forte diversité d’organismes terrestres, en particulier pour les micro-organismes, qui jouent un rôle prépondérant dans les grands cycles biogéochimiques.
2Le sol rend de nombreux services essentiels à l’humanité, tels que la production d’aliments et de matière. Ces fonctions sont assurées par l’activité des organismes y résidant, qui influencent également le bilan global des cycles biogéochimiques, comme le niveau d’émission de gaz à effet de serre*. Les sols, ressources peu renouvelables, sont actuellement soumis à de nombreuses pressions, comme le changement climatique et l’utilisation intensive des terres engendrant un appauvrissement des sols en carbone. Ces perturbations peuvent conduire à des dysfonctionnements, en particulier via une modification de la biodiversité et donc compromettre la réalisation de ces services sur le long terme. Une bonne compréhension du rôle des organismes dans la réalisation de ces cycles est alors primordiale, afin de comprendre la stabilité* du système sol face aux changements globaux et de savoir comment mieux le gérer dans une démarche durable. De nombreux verrous scientifiques restent cependant à lever, malgré un effort considérable de la communauté scientifique lors des dernières décennies.
Le sol, une boîte noire
3Ces verrous sont liés à la nature même du sol : un milieu, où l’étude des processus écologiques nécessite d’extraire l’information d’un mélange très hétérogène d’organismes, substrats* et conditions physiques à des échelles resserrées. Ceci augmente les risques de distorsion de l’information obtenue, et explique que le sol soit considéré comme une « boîte noire ». En effet, il est possible de mesurer assez aisément ce qu’il entre et ressort de cette boîte (entrée de matière organique, émission de CO2), mais les mécanismes des processus s’y déroulant pour générer ces échanges sont très peu compris. Ceci est valable aussi bien pour les processus régulant les cycles biogéochimiques, que pour ceux touchant aux organismes du sol. Concernant les premiers, il est par exemple difficile, voire impossible, de mesurer la dégradation in solum d’un substrat évoluant très rapidement à une échelle très petite (de l’ordre du µ m), où gaz, solides et liquides sont mélangés. Concernant les seconds, les microorganismes constituent l’essentiel de la diversité du sol. Leur petite taille, leur extrême diversité et le fait que l’immense majorité de ces organismes (probablement > 95 %) ne soit pas cultivable en laboratoire, ont été pendant longtemps des obstacles majeurs à l’étude de leur diversité et de leur fonctionnement.
Biodiversité, cycles biogéochimiques et changement global
4La stabilité d’un sol aux perturbations (pollution, changement climatique ou de l’utilisation des terres…) est dépendante de l’ensemble des composantes qui constituent ce sol. Par exemple, elle peut être vue comme la somme des réponses individuelles des microorganismes qui la composent et de leurs interactions. Les liens entre biodiversité et stabilité peuvent donc être cruciaux, et plusieurs postulats en écologie générale suggèrent que la stabilité des écosystèmes augmenterait avec la diversité. Cette stabilité peut être discutée en termes de maintien de la réalisation de fonctions ou de services écosystémiques* lors de perturbations : c’est la « stabilité fonctionnelle ».
5Ces notions ont été testées pour les sols, grâce à la récente amélioration conjointe de différentes techniques. L’avènement d’outils génomiques permettant d’extraire et de séquencer massivement l’ADN a permis de mieux estimer la diversité des organismes du sol. D’autres outils, tels que l’utilisation de traceurs, comme les isotopes naturels du carbone ou de l’azote, ou l’amélioration de techniques d’observation ou de visualisation 3D à très fine échelle, ont permis de mieux relier diversité et cycles biogéochimiques.
6Cependant, aucun consensus ne s’est encore dégagé, plusieurs difficultés pouvant l’expliquer : 1) la disparité d’échelle entre celle où se réalisent les processus microbiens et celle où est mesurée et modélisée la résultante globale de ces processus, comme celle d’un champ, d’un paysage ; 2) les difficultés d’apprécier dans un sol les relations entre organismes, et plus particulièrement les micro-organismes (compétition, prédation). Ce dernier constat est d’autant plus contraignant que les micro-organismes s’adaptent rapidement aux perturbations, grâce à des stratégies compétitives différenciées selon leurs populations. Comme résultante, une forte diversité physiologique et fonctionnelle existe et augmente potentiellement la gamme des conditions environnementales, sous lesquelles une fonction peut être accomplie. C’est ce qui est défini par la « redondance fonctionnelle* », ayant des conséquences sur notre habilité à déterminer quels niveaux et seuils de contraintes peuvent réellement impacter communautés microbiennes et processus écosystémiques (cf. V.14).
Nouvelles approches de recherche
7Malgré tous les verrous scientifiques évoqués plus haut, il existe des pistes, afin d’améliorer la compréhension des liens entre biodiversité, cycles biogéochimiques et gestion raisonnée des sols (cf. VI.2). L’intégration de compartiments microbiens dans la modélisation biogéochimique des écosystèmes, ou l’utilisation de systèmes contrôlés comme les microcosmes* (figure) permettent de mieux déchiffrer les mesures et dynamiques complexes obtenues in situ. À l’inverse, des projets à une échelle très large permettent d’observer à plus long terme l’évolution générique de la qualité des sols sous l’effet de grands facteurs naturels et des activités humaines. Enfin, si le développement récent de mesures automatisées des paramètres climatiques et des gaz émis par les systèmes écologiques a permis de coupler les dynamiques des processus biogéochimiques et la diversité d’organismes, une des plus grandes gageures demeure la compréhension des interrelations entre les organismes du sol. Les mesures en microcosmes pourraient être un des moyens de calculer des seuils critiques de conditions environnementales, au-delà desquels une modification de diversité ou de présence simultanée d’organismes pourrait induire une érosion, voire un arrêt des fonctions et services fournis par les sols. Cela améliorera notre compréhension de la manière dont les relations directes ou indirectes entre organismes sont susceptibles de jouer sur leur résistance et leur résilience aux perturbations.
Bibliographie
Références bibliographiques
• GIS SOL – L’État des sols de France, Groupement d’intérêt scientifique sur les sols, 2011.
• J.-M. GOBAT, M. ARAGNO et W. MATTHEY – Le sol vivant - Bases de pédologie - Biologie des sols, Presses Universitaires Romandes, 2010.
• P. STENGEL, L. BRUCKLER et J. BALESDENT – Le Sol, Dossier INRA, Quae, 2009.
Auteurs
Écologue spécialiste des relations fonctionnement du sol et des écosystèmes terrestres, Maître de Conférences, Responsable du Département Diversité des Communautés et Fonctionnement des Écosystèmes, BIOEMCO, Université Pierre et Marie Curie, Paris.
lata@biologie.ens.fr
Écologue spécialiste des relations changements climatiques et fonctionnement du sol, Docteur en Écologie microbienne, BIOEMCO, Paris.
aurore.kaisermann@ens.fr
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2012