9. L'océan, acteur du système Terre global
p. 70-71
Texte intégral
Circulation et cycle du carbone
1L’océan joue un rôle primordial dans la régulation du climat de notre planète. Grâce à la forte capacité calorifique* de l’eau de mer, quelques mètres d’épaisseur d’océan peuvent, en effet, stocker plus de chaleur que l’atmosphère tout entière. En raison de cette très forte inertie thermique*, l’océan tempère les changements thermiques saisonniers des masses d’air. Accompagnant les mouvements atmosphériques, les courants marins contribuent aux transports méridiens de chaleur des régions chaudes vers les régions froides. Cet échange équateur-pôles a une forte influence sur les températures de l’air et permet de réduire les contrastes entre climats polaires et tropicaux (cf. I.7).
2Ce sont les vents, qui en soufflant sur les océans, provoquent la mise en mouvement de la couche d’eau superficielle. Ces courants de surface, souvent turbulents, sont à l’origine du déplacement de masses d’eau considérables. Le deuxième moteur de la circulation océanique est lié à la plongée d’eaux froides et salées, principalement en Atlantique nord, mais aussi le long du continent Antarctique. Ces eaux denses, qui s’écoulent en moyenne de l’Atlantique Nord vers l’océan Indien et le Pacifique Nord, contribuent de façon importante au transport de chaleur de l’équateur vers les pôles. Il faudrait près d’un millier d’années à une particule d’eau pour réaliser ce parcours, appelé « circulation thermohaline » ou « circulation méridienne de recouvrement » (cf. II.5).
3L’océan est un gigantesque réservoir de carbone : il contient près de 50 fois plus de carbone que l’atmosphère, avec laquelle il en échange chaque année des quantités importantes. Il perd du carbone dans les régions tropicales et en gagne dans les régions des moyennes et hautes latitudes. La répartition du carbone dans l’océan est contrôlée par un système de « pompes ». La première est physico-chimique : lorsque les eaux tropicales superficielles chaudes entraînées vers les hautes latitudes se refroidissent, elles augmentent leur capacité à dissoudre du CO2 atmosphérique. Arrivées aux latitudes polaires, elles plongent en profondeur en emportant avec elles le CO2, qui est ainsi soustrait à tout contact avec l’atmosphère, et ce pour des centaines d’années.
4La seconde pompe, elle, est biologique : elle découle de la fixation du CO2 atmosphérique par le phytoplancton*, autrement dit l’ensemble des micro-organismes marins photosynthétiques qui flottent dans la couche superficielle des océans. La chaîne alimentaire entre ensuite en action : le phytoplancton est brouté par le zooplancton, animaux planctoniques qui sont, à leur tour, consommés par des organismes plus grands, et ainsi de suite. Une partie de ce carbone est rejetée dans les profondeurs sous forme de déchets organiques, que ce soit des cadavres ou des particules fécales, et est ainsi isolée de l’atmosphère.
Réchauffement, acidification et désoxygénation
5Au cours des dernières décennies, et en particulier depuis les débuts de la période industrielle, l’océan a eu un rôle décisif dans l’évolution du climat de notre planète. Il agit comme un « amortisseur » du changement climatique, en absorbant un quart des émissions anthropiques* de CO2 chaque année, limitant de fait l’augmentation de l’effet de serre*. Il absorbe également la très grande majorité de la chaleur qui s’accumule dans le système Terre. Mais ces flux de chaleur et de carbone, de l’atmosphère à l’océan, ne sont pas sans conséquences sur la physique, la chimie, mais aussi sur la biologie de l’océan.
6Les températures de surface de l’océan ont augmenté de près de 1°C depuis le début du XXe siècle. Cette augmentation des températures est accompagnée par des modifications de la couverture de banquise – qui a diminué en été de près de moitié en Arctique depuis le début des années 1980 –, par une augmentation soutenue du niveau des mers, de près de 3 mm/an ces dernières années, et par des modifications de la circulation océanique, encore difficiles à détecter.
7En parallèle, l’absorption de carbone anthropique par l’océan conduit à une augmentation de l’acidité de l’eau, et donc à une diminution du pH*. Cette baisse, de l’ordre de 0,1 unité pH en surface de l’océan depuis 1750, s’accompagne de modifications de la chimie des carbonates, qui pourraient être dommageables à plusieurs types d’organismes marins (cf. II.11). Les plus vulnérables sont vraisemblablement les organismes à coquilles ou « tests calcaires », pour lesquels le processus de calcification est rendu plus difficile par l’acidification du milieu. Parmi ces organismes se trouvent évidemment les coraux et les bivalves* (comme les huîtres ou les moules), mais aussi des organismes microscopiques appartenant au phytoplancton (comme les coccolithophoridés) ou au zooplancton (comme les ptéropodes qui sont de petits gastéropodes marins).
8Enfin, la concentration d’oxygène dissous dans l’eau de mer diminue dans de nombreuses régions océaniques. En moyenne, entre les années 1970 et 1990, l’océan a perdu 1 mmol d’oxygène par m3. Aux latitudes moyennes, c’est en subsurface, à quelques centaines de mètres de profondeur, que l’augmentation de la température, combinée à des changements de circulation, a conduit à la diminution la plus marquée de l’oxygène. Dans les tropiques, les zones de minimum d’oxygène sont en extension. Ces zones de l’océan, caractérisées par leur très faible teneur en oxygène, accueillent des écosystèmes particuliers, adaptés à ces très faibles concentrations. Leur extension pourrait avoir des conséquences importantes pour les écosystèmes océaniques (cf. II.21).
9Les projections climatiques sont basées sur des modèles qui intègrent une représentation de l’ensemble des processus océaniques, physiques et biogéochimiques. Ils reproduisent les évolutions observées au cours des dernières décennies, et nous alertent sur l’amplification inéluctable du réchauffement, de l’acidification et de la désoxygénation (figure), susceptible d’affecter les habitats des organismes marins, et de modifier durablement les écosystèmes océaniques.
Bibliographie
Références bibliographiques
• M. LÉVY et L. BOPP – Turbulences en haute mer, Les dossiers de La Recherche, n° 36, 2009.
• E. BARD – L’océan, le climat et nous. Un équilibre fragile ?, Le Pommier, 2011.
• L. BOPP – Les poissons vont-ils mourir de faim (et nous avec) ?, Le Pommier, 2010.
• M. ROY-BARMAN et C. JEANDEL – Circulation océanique, cycle du carbone et changement climatique, Vuibert, 2011.
Auteurs
Océanographe, Directrice de Recherche au CNRS, LOCEAN, IPSL, Université Pierre et Marie Curie, Paris.
marina.levy@upmc.fr
Climatologue, Directeur de Recherche au CNRS, LSCE, Institut Pierre-Simon Laplace, Gif-sur-Yvette.
laurent.bopp@lsce.ipsl.fr
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2012