7. L'atmosphère comme chef d'orchestre
p. 66-67
Texte intégral
1L’atmosphère est une enveloppe d’une extrême finesse, telle un fragile voile de gaze déposé à la surface de la Terre. Depuis l’espace, le Soleil – turbulent, mais constant réacteur nucléaire – inonde cette planète bleue d’une chaleur vivifiante. Le Soleil et la Lune unissent leurs effets pour faire danser la Terre, entraînée dans une sarabande bien réglée, mue par rayonnement et gravitation. Chaque soir, immuablement, la Terre renvoie vers le ciel un peu de son énergie, sous forme d’ondes longues, infrarouges, que certains constituants naturels retiennent en partie. Si ses évolutions dans l’espace répondent à bien d’autres facteurs, aux échelles de temps qui nous intéressent – celles de nos vies et de notre environnement – ces influences externes suffisent pour camper le décor. Insistons sur un point : faisant office de serre, l’atmosphère évite à notre planète de n’être que gelée ; avec l’eau qu’elle contient, elle nous offre l’équilibre permettant la vie… (cf. I.7)
L’atmosphère au cœur du système Terre
2L’air et ses nombreux composants, les eaux et les glaces, la végétation et les sols, interagissent dans toutes les tonalités et rythmes pour produire une musique parfaite, qui accompagne la vie – les géophysiciens entendront des fréquences multiples et des grands équilibres, des systèmes dynamiques, des couplages échangeant dans des cycles multiples quantité de mouvements, chaleur, eau et d’autres flux encore (cf. II.4). À différentes échelles, la Terre offre à notre analyse des écoulements, des structures, des périodes, des équilibres, qui pourraient paraître éternels.
3Mêlée aux aérosols et aux molécules d’eau et de gaz anthropiques, au contact de chaque feuille ou dans les embruns qu’elle arrache aux vagues, s’immisçant entre les arbres des forêts, s’arrêtant pesante au cœur des métropoles urbaines, ou au contraire balayant un pays en tourbillons furieux, et canalisée en cellules de circulation planétaires – celles qui entraînent les alizés ou font les déserts –, l’atmosphère, notre air, est partout. Elle relie les échelles et les milieux, et articule le « système Terre » en un ensemble cohérent.
4La chaleur reçue dans les tropiques est répartie par les courants océaniques et par la circulation atmosphérique vers les régions plus froides ; aux côtés des grandes structures, les tourbillons marins et aériens complètent les transports de chaleur tout aussi efficacement. La distribution géographique des surfaces – océans, continents, avec leurs reliefs et occupations des sols – associée à la rotation terrestre complète l’ordonnancement. En résulte le climat, enveloppe du temps qui passe, qui respire lui aussi et possède ses rythmes propres, plus difficiles à percevoir par l’humanité.
Des milieux turbulents, mais ordonnés
5L’observation de la Terre révèle avant tout une turbulence certaine. Tourbillons et volutes sont la marque des fluides atmosphériques et océaniques. Les images animées de température de surface de la mer sont frappantes de similitudes avec les remous d’un torrent, avec les animations de nuages, leur défilement autour des collines, ou encore avec les turbulences de l’air autour d’un avion, rendues visibles en présence de vapeur d’eau. Nos fluides sont turbulents, comme le sont leurs échanges. Un corollaire est que les énergies s’y répercutent en cascade, de la planète jusqu’à la molécule ; les échelles d’espace et de temps s’enchaînent et les incertitudes se propagent allègrement. Cependant, de ce chaos émergent des formes, comme l’orchestre qui s’accorde en cacophonie sait aussi organiser les sons en un sublime opus.
6En dépit de ce caractère intrinsèque, jour après nuit, jour après jour, année après année, les réponses forcées par le rayonnement solaire et la gravitation se reproduisent de façon quasiimmuable. Voici le cycle des saisons, réponse du système aux mouvements de la Terre autour du Soleil. Ces cycles annuels connaissent aussi des modulations, comme les variations qui égayent des thèmes lancinants. Ils obéissent à des dynamiques plus lentes, générées par les composantes terrestres et leurs innombrables interactions. Ces respirations internes, résultant d’harmoniques propres au système Terre, sont invisibles au quotidien, au tout-venant de la prévision météorologique. Elles ne se manifestent qu’à des échelles temporelles d’abord dictées par la valse tumultueuse de l’océan et de l’atmosphère : certaines saisons seront favorables, pas une année ne ressemblera à l’autre, mais certaines décennies afficheront des caractéristiques semblables, quand d’autres seront à l’opposé…
Variations des grands équilibres du système
7Si l’atmosphère est fugace et manque de mémoire, les autres composantes du système terrestre imposent de l’inertie et de la constance. Une tempête – qui n’est qu’un tourbillon d’air – balaie le pays en quelques heures et seulement quelques jours s’écoulent entre sa genèse et son trépas ; un tourbillon océanique, bien plus petit en taille, met des semaines à traverser les océans. C’est donc l’océan qui, en premier, impose une mémoire à l’atmosphère : les surfaces continentales ou la stratosphère*, qui la contraignent également, lui dictent aussi leurs mélodies plus lentes… Quand l’atmosphère a oublié les caractéristiques de l’hiver précédent, l’océan lui fournit un signal de basse fréquence et lui impose une direction. C’est l’océan qui permet de prévoir des caractéristiques du climat aux échéances mensuelles ou saisonnières, et peut-être un jour au-delà (cf. I.7).
8À chaque phénomène correspondent des signaux lents – plus lents que ceux que nous observons classiquement dans l’atmosphère – qui structurent et permettent de trouver de la prévisibilité, c’est-à-dire une capacité à décrire et prévoir. Déchiffrer, observer et comprendre ces interactions n’est pas aisé. Le recul, tant spatial que temporel, est indispensable pour extraire ces mélodies du bruit ambiant au sein de la cacophonie. L’analyse de cette musique est ardue. Les paramètres géophysiques de l’atmosphère et de l’océan exhibent des fréquences remarquables, quasi-biennale, quadriennale, décennale, multidécennale ; et avec un peu de recul, nous en percevons mieux la partition.
9Cette mécanique ordonnée, la nature des choses, est modifiée progressivement par l’humanité. Celleci a d’abord interféré à des échelles très locales avec son environnement – modifiant par exemple la texture des couverts végétaux en gagnant des parcelles cultivables sur les forêts. Elle a ensuite agi de façon plus considérable en introduisant des gaz à effet de serre* dans l’atmosphère, ou, plus généralement, en polluant de façon diffuse, mais massive, les différents milieux qui définissent son écosystème… La belle musique naturelle est désormais perturbée par un public bruyant, non respectueux de l’œuvre. Si cette interaction est parfois constructive et embellit la partition, elle est aussi en train de la rendre illisible, jusqu’à l’étouffer.
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Références bibliographiques
• Y. M. TOURRE – La « musique des sphères » : climat du XXe siècle, in Des climats et des hommes, La Découverte/INRAP, 2012 ; Colloque international Des climats et des hommes, www.inrap.fr/via_podcast/p-8744-La-musique-des-spheres-le-climat-au-XXe-siecle. htm, Inrap, 2009.
• B. HOSKINS – La prévisibilité au-delà de la limite déterministe, Bulletin de l’OMM, 2012.
10.4000/books.editionscnrs.11316 :• C. JEANDEL et R. MOSSERI (coll.) – Le climat à découvert, CNRS Éditions, 2011.
Auteurs
Ingénieur à Météo-France, Direction de la Climatologie, Toulouse.
philippe.dandin@meteo.fr
Climatologie Dynamique, LDEO, Columbia University, Palisades, New York, USA.
yvestourre@aol.com
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012