4. Climat, écosystèmes : instabilités rapides et irréversibilité
p. 60-61
Texte intégral
1Les variations climatiques et les dynamiques des écosystèmes passées, enregistrées dans les archives naturelles*, témoignent de changements qui se sont produits plus rapidement que l’évolution préalable des forçages*. Les mécanismes proposés pour expliquer ces changements abrupts invoquent l’existence de « points de bascule » dans la dynamique de l’une des composantes du système. Des changements abrupts du climat ou d’état des écosystèmes peuvent être liés à la dynamique interne du système, ou bien être induits par des perturbations externes (cf. I.7). La notion d’« irréversibilité » implique, qu’en réponse à une perturbation externe, le système ne retourne pas à son état initial, même après la fin de cette perturbation : il existe alors plusieurs états d’équilibre. Cette notion d’irréversibilité est invoquée lorsque le temps de retour à l’état initial est largement supérieur à la durée de la perturbation initiale (cf. I.10).
Circulation océanique
2La circulation méridienne de l’Océan Atlantique (MOC*) est sensible aux gradients de densité de l’eau de mer, elle-même sensible à des apports d’eau douce. L’occurrence d’instabilités rapides de la MOC est démontrée de manière répétée en climat glaciaire. Elles ont produit des variations de température déphasées entre hémisphères, et des déplacements de la zone de convergence intertropicale*, entraînant des variations brutales des moussons. La dernière instabilité a été détectée il y a environ 8 200 ans, en réponse à une injection brutale d’eau douce due à la rupture d’un lac d’eau de fonte en Amérique du Nord, avec un temps de retour de l’ordre de 200 ans. Tous les modèles de climat simulent un ralentissement de la MOC au cours du XXIe siècle, plus marqué dans les scénarios « hauts » et lorsque la fonte du Groenland est prise en compte.
Cryosphère
3Il y a environ 3 millions d’années, le volume des calottes du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest était très réduit lors des périodes chaudes, lorsque la concentration atmosphérique en CO2 était de 350 à 450 ppm (parties par million). D’après les modèles, la calotte de l’Antarctique de l’Ouest est particulièrement vulnérable à une augmentation de température des eaux de surface. Pour le Groenland, la fonte de la calotte devrait dépasser l’accumulation annuelle de neige pour un réchauffement global de l’ordre de 1,5 à 3°C, amplifiant la perte de masse en cours. Selon les scénarios « hauts », cette déglaciation serait irréversible à l’échelle de plusieurs siècles.
4La diminution de l’extension et de l’épaisseur de la glace de mer arctique devrait s’amplifier au cours du XXIe siècle, et l’Océan Arctique pourrait être quasiment libre de glace en été dans les prochaines décennies. Certains modèles de climat simulent des périodes d’accélération ou de ralentissement de l’extension de banquise, du fait de la superposition de la variabilité interne du climat à l’impact de l’augmentation de l’effet de serre*. Les projections indiquent une augmentation de la variabilité de l’extension de glace de mer, mais ne démontrent pas d’effets irréversibles ou de seuils. La poursuite de la fonte de la banquise affecterait profondément les écosystèmes marins arctiques (cf. II.20), le réchauffement des continents voisins, avec des conséquences sur le cycle de l’eau (augmentation des précipitations, dégel…) et du carbone (production de méthane, feux de toundra…) et un mélange complexe d’opportunités et de vulnérabilités (figure).
Écosystèmes
5Les forêts humides amazoniennes renferment la diversité biologique la plus importante au monde et stockent une quantité très importante de carbone. Les interactions entre les changements climatiques futurs, la déforestation et les feux de forêt pourraient conduire à une dégradation d’une partie très importante de la forêt humide amazonienne dans les prochaines décennies. Les arbres de cette forêt humide sont sensibles au réchauffement et à la sécheresse, comme le démontrent les dépérissements importants constatés lors des fortes sécheresses des années 2005 et 2010. Ces forêts sont donc potentiellement très vulnérables face au réchauffement et à la diminution de la pluviométrie futurs prévus pour cette région par la plupart des modèles climatiques. La déforestation par le feu fragilise les forêts et les rend beaucoup plus aptes à brûler lors des sécheresses (cf. II.16). Certains modèles prévoient un basculement de la forêt humide amazonienne vers une forêt dégradée d’ici la fin du siècle, en l’absence d’atténuation du réchauffement climatique, de la déforestation et de l’utilisation du feu pour la déforestation. Cette dégradation aurait des effets néfastes sur le stockage du carbone dans cette forêt, sur la pluviométrie régionale et sur l’érosion des sols.
6Les coraux tropicaux sont très sensibles aux faibles augmentations de la température de l’océan et à l’acidification des océans causée par l’augmentation de la teneur en CO2 (cf. II.11). Ces colonies de petits animaux expulsent les algues hébergées dans leurs corps en cas de stress, créant un « blanchissement » des récifs. Si le stress est modéré et de courte durée, les coraux peuvent se rétablir, mais en cas de fort stress les colonies meurent. Ces blanchissements sont devenus plus fréquents, sévères et répandus depuis les années 1980, en lien avec le réchauffement climatique. L’acidification des océans et d’autres pressions comme la pollution augmenteront le stress des coraux dans les décennies à venir, au point que la plupart des modèles indiquent qu’une partie importante des coraux des récifs tropicaux sera fortement blanchie ou morte d’ici 2050, à cause de l’ensemble de ces stress. À l’échelle globale, ce basculement de beaucoup de récifs vers des états très dégradés sera difficile à éviter, mais la diminution des rejets de CO2 dans l’atmosphère et la réduction des stress non-climatiques seront nécessaires pour conserver les récifs les mieux à l’abri des effets du réchauffement et de l’acidification.
7Le réchauffement de la planète prévu par le GIEC* pour le XXIe siècle constituera une perturbation abrupte, surtout dans les scénarios « hauts » d’émission des gaz à effet de serre. L’existence des points de basculements (tipping points) dans le passé et la prévision de ceux à venir, suggèrent que l’atténuation du réchauffement climatique est indispensable dès aujourd’hui, car si les mécanismes de basculement sont déclenchés, ils seront difficilement contrôlables et potentiellement irréversibles pendant plusieurs siècles.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Rapports de synthèse du GIEC, www.ipcc.ch.
• T. LENTON – Early warning of climate tipping points, Nature Climate Change, 2011.
• P. LEADLEY, H. M. PEREIRA et al. – Biodiversity Scenarios : Projections of 21st century change in biodiversity and associated ecosystem services, Secretariat of the Convention on Biological Diversity, 2010.
Auteurs
Paléoclimatologue, Directrice de Recherche au CEA, LSCE, Gif-sur-Yvette.
valerie.masson@lsce.ipsl.fr
Écologue, Professeur des Universités, ESE, Orsay.
paul.leadley@u-psud.fr
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L'archéologie à découvert
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2012