3. Hier pour éclairer demain : les rétro-observatoires
p. 58-59
Texte intégral
1L’ère Anthropocène* – du début de l’ère industrielle à aujourd’hui –, est caractérisée par des tensions entre écosystèmes et sociétés, qui ne cessent de croître. Le changement global en cours inquiète autant par les questions posées par le réchauffement du climat, que par les perturbations des écosystèmes, comme en témoignent les conférences internationales sur le climat ou la promulgation de Directives-cadres pour la restauration des milieux. Ces mesures impliquent une connaissance approfondie du fonctionnement des écosystèmes, de leurs trajectoires passées et de leur variabilité naturelle, l’enjeu étant à terme de proposer des « états de référence » et de contribuer à la « gestion adaptative » des milieux (cf. V.28-29).
2Le développement d’observatoires est une première réponse à ces préoccupations (cf. VI.4). Toutefois, si les données alors collectées présentent l’avantage d’une observation directe et d’une haute résolution temporelle, les données instrumentales ne couvrent, au mieux, que les derniers 150 ans, déjà souvent marqués par un fort impact anthropique*. En revanche, les archives sédimentaires*, accumulées au fond des cuvettes lacustres et dans les marais, permettent de documenter les changements du climat et de l’environnement survenus depuis plusieurs milliers d’années. Elles constituent dans ce sens de véritables « rétro-observatoires ». Le contrôle chronologique s’appuie sur la datation par le césium 137 (137Cs) et le plomb 210 (210Pb) pour le dernier siècle, et le carbone 14 (14C) pour les périodes plus anciennes. Au-delà des incertitudes liées à ces méthodes, les stratégies d’échantillonnage permettent aujourd’hui d’atteindre une résolution temporelle de 10 à 20 ans. Le développement d’approches intégrées, combinant indicateurs biotiques et abiotiques ou encore annuels et saisonniers, à partir d’une même séquence sédimentaire, offre la possibilité de suivre la trajectoire des différents compartiments des écosystèmes (bassins-versants, compartiments lacustres pélagiques* et benthiques), en même temps que celle du climat.
3Ces rétro-observatoires permettent ainsi de restituer, à différentes échelles de temps, la réponse, progressive ou brusque (tipping points), des écosystèmes continentaux aux contraintes qui les affectent, qu’elles soient climatiques (déglaciation, Optimum thermique Holocène*/Néoglaciaire*, Petit Âge Glaciaire*/Réchauffement récent) ou anthropiques (cf. II.4). Les effets des activités humaines peuvent être suivis depuis les débuts de l’Holocène, avec un impact négligeable des sociétés de chasseurs-pêcheurs, jusqu’à l’irruption des premières sociétés agricoles (Néolithique), puis à l’avènement des sociétés industrielles, avec les sauts technologiques et démographiques que recouvrent ces transitions, sans oublier, enfin, les effets des premiers essais de remédiation* (cf. V.27).
4Tandis que ces rétro-observatoires invitent les écologues à prendre en considération la longue durée pour mettre en perspective les changements récents et définir les cibles de restauration, ils impliquent également de développer des outils d’analyse pour une véritable approche d’écologie fonctionnelle des paléoenvironnements. Ils supposent enfin, dans la perspective d’une compréhension globale, qu’archéologues et historiens s’approprient davantage encore ces thématiques pour définir avec précision la part anthropique de la trajectoire passée du climat et des écosystèmes.
Bibliographie
Références bibliographiques
• R. W. BATTARBEE et al. – Combining Palaeolimnological and Limnological Approaches in Assessing Lake Ecosystem Response to Nutrient Réduction, Freshwater Biology, 2005.
• V. FROSSARD – Trajectoires écologiques des lacs d’Annecy et du Bourget au cours des 150 dernières années : Approche paléolimnologique par analyse des assemblages de Chironomidae (Diptera) et de leurs signatures isotopiques en carbone, Thèse, Université de Franche-Comté, 2013.
• M. MAGNY et al. – Climate, Vegetation and Land Use as Drivers of Holocene Sedimentation : A Case Study from Lake Saint-Point (Jura Mountains, Eastern France), The Holocene, 2013.
Auteurs
Paléoclimatologue, Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire Chrono-Environnement, Besançon.
michel.magny@univ-fcomte.fr
Paléoécologue, Chargé de Recherche au CNRS, Laboratoire Chrono-Environnement, Besançon.
laurent.millet@univ-fcomte.fr
Paléoécologue, Docteur en Sciences de la Vie, Laboratoire Chrono-Environnement, Besançon.
victor.frossard@univ-fcomte.fr
Écologue, Maître de Conférences, Laboratoire Chrono-Environnement, Besançon.
valerie.verneaux@univ-fcomte.fr
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L'archéologie à découvert
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2012