9. Les ressources : le capital naturel évanescent et le défi démographique
p. 38-39
Texte intégral
1Les sociétés s’inscrivent dans la nature, elles transforment les milieux pour les rendre plus habitables et plus productifs de services. Elles prélèvent les ressources pour les intégrer dans les processus qui sous-tendent leur fonctionnement. La notion de ressource est une construction sociale : c’est la technique, le droit et la culture qui définissent ce qui est ou peut être une ressource. Dans l’histoire, la base de ressources mobilisées est en permanence l’objet de débats, de négociations, de choix. L’affirmation politique que les sociétés humaines peuvent avoir un avenir infini dans un monde aux ressources finies est un pari (cf. IV.3).
Ressources et réserves actuelles
2La perception de cette finitude a conduit à considérer les ressources en termes de stocks mesurables. Pour mettre en place une métrique, il a fallu distinguer les « ressources », notion subjective et controversée, et les « réserves », catégorie objectivée par les critères d’extraction, de production, de commercialisation, et parfois manipulée par une communication stratégique. Mais ces chiffres ne seraient porteurs de sens que s’ils pouvaient être confrontés à une mesure des besoins. Or, les ratios qui divisent les réserves identifiées par la consommation de l’année courante n’ont pas d’autre signification que de savoir si les acteurs parviennent à contrôler les stocks utiles ou s’ils doivent investir dans la découverte ou le développement de réserves nouvelles. D’où des débats mal informés sur les raretés de listes de ressources. Les variations de prix, indicatrices de déséquilibres entre l’offre et la demande, agissent comme des leviers pour les investissements (cf. IV.15).
3L’opposition entre ressources épuisables et ressources renouvelables (biotique ou abiotique), reste structurante. L’exploitation des premières doit se raisonner par rapport aux substituts imaginés, alors que le potentiel des ressources biologiques est conditionné par la gestion de leurs stocks.
4Les pressions économiques et démographiques, et la ruée sur l’ensemble des ressources conduisent à des déficits socio-écosystémiques chroniques et au cercle vicié « alimentation-santé-environnement ».
5La question qui divise aujourd’hui est : à terme, les sociétés sont-elles « condamnées » à vivre sur une base de ressources exclusivement renouvelables ? Le défi est énorme, car, à présent, le rapport quantitatif ressources épuisables/renouvelables est de 50/1 et soulève des interrogations sur la capacité des options exclusives en énergies renouvelables à offrir un autre choix que la sobriété volontaire comme mode de vie. Une série d’éléments permet d’analyser la question.
Gestion des ressources à l’avenir
6L’humanité à 8 milliards sera une réalité en 2025, avec comme horizon une augmentation du niveau de vie. Cela signifie, à politiques et technologies proches de celles d’aujourd’hui, une augmentation de la demande en nourriture, eau et énergie de l’ordre de 30 à 50 %. Les sources d’énergie, considérées comme des ressources fondamentales, déterminent notre capacité à reproduire, recycler, reconstituer les réserves. La consommation augmente constamment, l’électricité constituant la demande dominante.
7Les parcours énergétiques utilisent actuellement 60 métaux différents. Leur disponibilité, leur fonctionnalité et leurs possibilités de substitution et de recyclage constituent des critères déterminants dans la prise de décision (cf. V.19). Par ailleurs, la pression sur l’eau et la réduction de la fertilité des sols doivent être associées à l’augmentation de la compétition sur les terres (production de nourriture, de biocarburants et de biomatériaux). Par exemple, les prévisions sur la rareté de l’eau indiquent que deux tiers des pays seront affectés en 2030 (cf. VI.19).
8Concernant les minéraux, les quantités disponibles dans les océans et dans la croûte terrestre épaisse de 30 km, ainsi que le potentiel de recyclage, font que, théoriquement, il n’y a pas de manque absolu. Dans la période 1980-2005, à l’échelle globale, l’extraction a crû de 160 %, la consommation de matériaux de 25 %, tandis que la démographie a augmenté de 45 %. Le découplage entre croissance économique et consommation de ressources n’a pas eu lieu.
9L’économie basée sur le carbone vert est dépendante de la biomasse, et notamment, de la productivité primaire* (PPN, support du cycle du carbone de la biosphère). L’utilisation de la biomasse comme ressource multi-usages augmente rapidement. D’une PPN globale de 536 milliards de tonnes, 38 % sont utilisés par 7 milliards d’humains. Une réserve théorique de 10 % reste disponible, la différence étant strictement nécessaire aux fonctions et cycles de maintien de la biosphère. Avec la même intensité de consommation et 8 milliards d’habitants, la marge disparaîtra. C’est pourquoi, une expansion de l’agriculture et autres activités au-delà de 50 % d’écosystèmes fortement anthropisés est considérée comme un seuil à ne pas franchir. Il représente une menace pour la croissance et la stabilité globale de nos sociétés.
10L’inégale distribution des ressources, en quantité et en qualité, est à l’origine de rentes*, qui entretiennent des relations ambiguës avec le développement économique et restent une source de tension et de conflit géopolitique. Si l’histoire fournit des exemples de mobilisation de ressources au profit du développement, elle montre aussi de multiples situations dans lesquelles l’abondance des ressources s’est traduite par un moindre développement des pays les mieux dotés (par exemple l’or espagnol ou le pétrole). Les explications apportées font souvent une large part à l’économie politique. Faut-il s’attendre à ce que ces mécanismes jouent de la même façon sur des ressources biologiques, si elles sont gérées comme des ressources épuisables ?
11Les ressources constituent la pierre angulaire du développement. Abordées comme un tout et gérées dans une perspective de durabilité, elles forment le socle conceptuel et opérationnel pour amorcer des solutions raisonnées aux conflits, au changement climatique, à l’érosion de la biodiversité… Dans cet esprit, l’expérience néo-zélandaise avec le Management Resources Act de 1991 est une action de transformation de l’édifice législatif pour répondre aux défis susmentionnés en affichant clairement le souci pour les générations futures.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• P. ARIÈS – La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, La Découverte, 2011.
• A. D. BARNOSKY et al. – Approaching a State Shift in Earth’s Biosphere, Nature, n° 486, 2012.
• M. GRIFFON – Nourrir la planète - Pour une révolution doublement verte, Odile Jacob, 2006.
• A. STIENNE – Le coût de la viande bon marché, Le Monde diplomatique, 2013.
10.3917/dec.rotil.2019.01 :• G. ROTILLON – Économie des ressources naturelles, La Découverte, 2010.
Auteurs
Biologiste, Professeur à l’ENS de Lyon, IUF, Plant Development and Reproduction, Directeur de l’Institut Michel Serres, Lyon.
ioan.negrutiu@ens-lyon.fr
Économiste, Directeur de Recherche au CNRS, LAMETA, Montpellier.
jean-michel.salles@supagro.inra.fr
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