4. Le territoire métropolitain à l’heure de la mondialisation
p. 28-29
Texte intégral
1Évoquer d’emblée le « territoire métropolitain » revient en réalité à faire référence à la « mondialisation* », un processus multidimensionnel (social, culturel et économique) s’appuyant sur les réseaux numériques, qui font du niveau mondial la référence incontournable pour étudier les sociétés et les territoires. Conjointement à la mondialisation, la métropolisation* renvoie à la dynamique spatiale, économique et sociale, qui recompose les villes et agglomérations de manière à configurer des territoires métropolitains caractérisés par l’étalement urbain. La métropolisation se situe ainsi à l’intersection de deux processus : 1) la métamorphose du capitalisme, qui s’universalise, entraînant des mutations profondes des modes d’organisation de la production parallèlement à la révolution numérique, et 2) la polarisation spatiale croissante au profit des villes et des zones les plus développées (au Nord comme au Sud). Il est parfois fait référence à l’« archipel métropolitain mondial » pour évoquer les villes à l’échelle mondiale. La métropolisation se déroule en outre dans un contexte caractérisé par la « planétarisation », soit la prise en compte par les individus de la finitude de la nature, qui pose la question de la survie de l’humanité sur la planète Terre.
2C’est dans ce contexte qu’émerge le développement durable (DD). Ainsi, établir une politique de développement durable est loin d’être simple et se présente comme un véritable défi conceptuel. En effet, il ne peut en aucun cas se limiter à reprendre à l’échelle locale des normes et réglementations établies à l’échelle mondiale ou encore nationale. Ses ambitions doivent être territorialisées pour permettre des arbitrages entre le social, l’environnemental et l’économique. D’où l’impératif d’imaginer des scènes de développement durable.
3Répondre aux injonctions d’une politique mondiale du développement durable, tout en tenant compte de la dynamique de la mondialisation, se traduit ici par l’hypothèse d’une scène s’organisant à partir de la ville et englobant ses territoires d’influence. En effet, la ville est le site privilégié de la dynamique économique locale et mondiale. Elle présente, par ailleurs, l’intérêt d’offrir une certaine densité sociale et humaine pour répondre aux exigences d’adaptation au changement climatique et permettre la quête de la biodiversité (cf. III.2).
L’« avantage comparatif » dans une économie mondialisée
4Si l’avantage dont dispose une firme sur ses concurrents s’intitule « avantage compétitif », cette notion ne tarde pas à se territorialiser. La théorie de l’avantage comparatif se décline, dans un premier temps, à l’échelle du territoire national, sur la base de variables, comme la productivité, la recherche et l’innovation. Il s’agit de classer les nations en fonction de leur positionnement dans le commerce international. Puis, sous l’influence des travaux sur la ville « globale », alors perçue comme un point d’ancrage de l’économie globalisée, en raison de son rôle de commandement et de la mondialisation, comprise comme une dynamique de flux de nature diverse entraînant la restructuration des territoires, les spécialistes de l’espace économique ont souligné combien la globalisation de l’économie entraînait en fait des processus de différenciation au sein du territoire national. Il paraît alors plus pertinent d’étudier les échanges entre villes et métropoles se situant dans une position de rivalité et de complémentarité à l’échelle mondiale, que de se limiter aux chiffres du commerce international, qui concernent principalement les États. D’où l’émergence de la notion d’« avantage comparatif » ou d’« avantage différencié » se jouant à l’échelle des villes et métropoles. Notons que les chercheurs anglo-américains mobilisent plus facilement l’expression de « ville-région » (city-region) que celle de « métropole », afin de bien mettre l’accent sur les territoires situés dans la proximité de la ville. Dès lors, ces entités urbaines, qui participent de la mondialisation de l’économie et présentent des capacités pour attirer et capter la diversité des flux globaux, peuventelles être étrangères à l’ensemble des critères du développement durable ?

La mondialisation invente le territoire métropolitain, scène stratégique du développement durable
La ville et le territoire métropolitain
5La ville stricto sensu ne peut pas, quant à elle, constituer une scène de développement durable, dans la mesure où la dynamique économique, à l’échelle infranationale, (toutes les institutions sous l’échelle nationale) ne se joue plus au niveau d’une ville centrale, mais d’un territoire métropolitain englobant la ville, les banlieues, le périurbain, ainsi que des espaces verts et ruraux. Il est donc difficile de concevoir et d’interpréter la mobilité contemporaine, sans prendre en compte cette diversité du territoire métropolitain. C’est également à cette échelle métropolitaine qu’une politique sociale peut se concevoir pour prendre en compte les inégalités sociales et écologiques, ainsi que les disparités spatiales. Le territoire métropolitain s’avère pertinent pour articuler des normes de développement durable, telles qu’elles sont édictées au niveau mondial, avec des composantes reflétant, dans leurs diversités, les conditions du mieux vivre ensemble.
6Il s’agit donc de composer avec les contraintes locales et leurs impacts planétaires, tout en instaurant des solidarités territoriales. Le but est d’opérer les arbitrages entre l’économique (avantage comparatif), le social (solidarité, péréquation fiscale intermunicipale), le culturel (diversité culturelle et sociale) et l’environnemental (biodiversité, qualité de l’air, de l’eau, préservation des espaces de nature et espaces ruraux, adaptation au changement climatique).
7Mais, pour optimiser ces arbitrages à l’échelle inframétropolitaine, il paraît difficile de ne pas imaginer un leadership doté d’une autorité légitime, c’est-à-dire issue de la démocratie de représentation et impliquant également l’État.
Le territoire métropolitain : une scène stratégique
8La ville, en raison de sa pérennité historique (concentration spatiale d’individus autorisant une faible empreinte écologique), de son ancrage dans l’économie globalisée, de ses capacités d’adaptation au changement climatique et des enjeux du vivre ensemble, représente un espace pertinent du développement durable, à condition de l’intégrer dans le territoire métropolitain. La scène métropolitaine autorise en effet le déploiement stratégique des contraintes économiques sociales et environnementales relevant simultanément de l’échelle planétaire et locale. Elle exige néanmoins une légitimité forte articulant les échelles locale, régionale, nationale et mondiale. Elle ne peut, dans ce cas, relever que du suffrage universel. D’où le rôle incontournable de l’État pour inventer dans la sphère politique le territoire métropolitain.
Bibliographie
Références bibliographiques
• C. GHORRA-GOBIN (dir.) – Dictionnaire critique de la mondialisation, Armand Colin, 2012.
• P. VELTZ – Paris, France, Monde, Éditions de l’Aube, 2013.
• Charte de Leipzig sur la ville européenne durable, www.diplomatie.gouv. fr/fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/25/Charte_Leipzig_Fr.pdf.
Auteur
Géographe, Spécialiste de la Mondialisation et la Métropolisation, Directrice de Recherche au CNRS, CREDA, Paris.
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