2. Origine du développement durable
p. 24-25
Texte intégral
Des sources sociétales et scientifiques
1Le développement soutenable, ou « durable » dans son ambiguë traduction française, pourrait être traduit au quotidien par « l’art de ne pas se créer ses propres obstacles ». En France, le concept fut précédé par la notion d’« éco-aménagement », élaborée par des associations et des services de l’État, puis promue officiellement en 1966 au colloque de Lurs, lors du lancement des parcs naturels régionaux. Au plan international, la notion de « développement soutenable » peut être datée de 1968, année où eu lieu la Conférence intergouvernementale d’experts sur les bases scientifiques de l’utilisation rationnelle et de la conservation des ressources naturelles de la biosphère, à l’UNESCO. Elle a été ensuite développée grâce au travail de la Commission de la planification et de l’environnement de l’UICN (Union pour la conservation de la nature et de ses ressources) dans les années 1970. Christian Garnier (ancien vice-président de la fédération France Nature Environnement) rappelle qu’en 1971, Maurice Strong (alors secrétaire général de la conférence des Nations unies pour l’environnement), avec notamment Ignacy Sachs (célèbre socioéconomiste) et Serge Antoine (alors responsable des études de la DATAR), avait suggéré le terme d’« éco-développement » lors de la préparation de la première conférence internationale sur l’environnement, à Stockholm, en 1972. Il s’agissait de traiter « en sus des incontournables ressources naturelles et des pollutions, le développement, bien sûr, mais aussi les établissements humains (les agglomérations) et les dimensions socioculturelles des politiques d’environnement ». Le terme fut rejeté par les États-Unis, qui en redoutaient « l’empreinte environnementaliste et l’exigence politique d’une plus grande autonomie des pays du Sud ». Garnier poursuit : « l’UICN […] a été la première à inscrire l’expression de « sustainable development » dans un document officiel, la Stratégie mondiale de la conservation, adoptée en 1980. Mais c’est, comme on le sait, la Commission des Nations unies pour l’environnement et le développement, présidée par Madame Brundtland, qui a véritablement défini et instauré le terme dans son acception présente, avant qu’il ne soit en quelque sorte sacralisé par la Conférence de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement de 1992 ». La définition du rapport « Notre avenir à tous » de Bruntland (1987) est connue : « satisfaire les besoins des générations présentes sans empêcher les générations futures de satisfaire les leurs » (cf. IV. 34).
2La Déclaration de Rio, ratifiée par 178 chefs d’État, s’accompagne d’un Agenda pour le XXIe siècle, social, environnemental, culturel et économique. Trois conventions internationales y portèrent au plus haut niveau politique les questions-clés du climat, du vivant, de l’eau et des sols. La Commission européenne a ensuite lancé son ve programme d’action intitulé « Vers un développement soutenable » pour la période 1992-2000 ; et en 1995, la loi Barnier a inscrit le terme dans la législation française. Enfin, en 1998, la loi d’aménagement et de développement durable du territoire a appliqué à ce dernier le concept, notamment par la tentative des schémas de services collectifs, qu’ils soient de transports, d’énergie, ou naturels.
3Dès lors, le développement soutenable ne comporte pas « trois piliers » mais quatre champs très imbriqués : l’environnemental, le culturel, le social et l’économique. Il nous invite à prendre en compte les progrès de nos connaissances dans tous ces domaines, ce qui est moins confortable qu’il n’y paraît. En effet, l’un des effets de la recherche est la proposition ininterrompue de nouveaux outils potentiels, tant en observation qu’en capacité à agir sur la matière. Elle nourrit parfois l’illusion que la course technologique – qui émane des travaux scientifiques, mais ne doit pas être confondue avec eux – pourrait proposer des issues à toute difficulté. Souvenons-nous néanmoins, à titre d’exemple, que malgré une efficacité énergétique* améliorée de 30 % par point de PIB, les gaz à effet de serre* mondiaux ont crû de 80 % dans le même temps : la technologie peut beaucoup donner, mais elle ne suffit pas.
Une nécessaire mutation culturelle
4La recherche nous montre aussi, à des degrés de complexité de plus en plus subtils, jusqu’où nos actes portent à conséquence, et quelles sont la nature de leurs impacts, ainsi que leur distribution et leur ampleur. Ce faisant, elle étend d’autant le champ explicite de notre responsabilité et confirme qu’il n’est pas possible de diffuser des milliers de composants nouveaux dans la biosphère sans en subir les conséquences biologiques, sanitaires et environnementales ; ni d’émettre indéfiniment des gaz à effet de serre sans réchauffer l’atmosphère ; ni encore de fragiliser à grande échelle le système de sécurité naturel, d’adaptation et de régulation que constitue la diversité biologique, sans s’exposer à de graves retours environnementaux, économiques et sociétaux.
5Une approche transversale est nécessaire pour identifier et déjouer les obstacles antagoniques du développement durable. Le biomimétisme, alliant physique, chimie, biologie, écologie et éthologie, en fournit un exemple encore trop peu exploré en France. La maîtrise du changement climatique consiste à réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi à renforcer la résilience* des écosystèmes pour l’adaptation et la captation du carbone. C’est le sens des trames verte, bleue et bleu marine issues en France des engagements du Grenelle de l’Environnement et du Grenelle de la Mer. C’est pourquoi le croisement des modes d’investigation et des référentiels, non seulement entre les disciplines, mais aussi entre chercheurs et praticiens, paraît déterminant, comme le montre le présent ouvrage.
6Les ressources deviendront plus rares, plus épisodiques et moins accessibles, et la capacité à les épargner, à les recycler, à les renouveler ou à s’en passer sera nécessaire aux économies de nos bientôt 9 milliards de contemporains. Les espaces naturels terrestres ou marins en bon état s’amenuisant, le maintien des services écosystémiques* deviendra sans doute une catégorie d’activités humaines. Les représentations des rapports humanité-nature et économie-culture, en seront probablement transformées…
7Le développement durable est une école de réalisme : il nous convie à distinguer ce sur quoi nous pouvons agir de ce que nous devons admettre comme donné. Aussi difficile que cela puisse d’abord paraître, nous serons amenés à modifier nos organisations, nos comportements, nos conventions, nos institutions, nos repères économiques, nos systèmes financiers et même les conditions de gouvernance mondiale. Nous ne pouvons pas changer les fondements de la physique, de la chimie ni de la biologie, mais nous pouvons construire les réseaux d’acteurs, les organisations économiques et territoriales, les objets et les régulations, qui pourront freiner les dégâts et réinventer des modes de vie moins périlleux pour les fonctionnements planétaires biologiques, physiques, économiques…, donc pour nous.
8Nous n’avons pas coutume de nous considérer comme l’équipe de maintenance des fonctionnements de notre planète, c’est pourtant là que nous conduisent, par leur ampleur, notre puissance technologique, notre expansion démographique et nos connaissances scientifiques. De même que le développement durable s’est imposé après la chute du Mur de Berlin et la fin de la perspective de l’hiver nucléaire, il n’est pas insignifiant qu’aujourd’hui, partout, les enjeux de robustesse et de résilience gagnent du terrain sur les objectifs de performance. Nous participons à une évolution culturelle de dimension anthropologique, qui parle d’environnement, de métiers, de techniques, d’économie et de société, mais aussi de sens de l’action humaine. Le choix du terme de « transition », peut-être plus distancié que celui, parfois utilisé, de « mutation », exprime cette conscience de nous trouver devant une bifurcation.
9Du fait de l’inertie des systèmes naturels, les dix ans qui viennent pourraient engager sur des siècles, toutes choses égales par ailleurs, les conditions de la vie sur Terre. Puissent nos connaissances se côtoyer toutes avec suffisamment d’obstination, d’écoute et d’humilité pour contribuer à un chemin durable.
Bibliographie
Références bibliographiques
• M. BOITEUX (coll.) – L’homme et sa planète, Académie des sciences morales et politiques, intervention de C. GARNIER, chapitre II, 2003.
• ANNALES DES MINES – La bio-économie, élément-clé des transitions énergétique et écologique, Réalités Industrielles, 2013.
• N. AMZALLAG – La réforme du vrai, Charles Leopold Mayer, 2010.
• J. -M. VALANTIN – Guerre et Nature, Prisma, 2012.
Auteur
Biologiste, Ingénieur des Mines, Conseil général de l’Économie, de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies, Paris.
dominiquedron@orange.fr
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2012