7. L’eau, un objet d’enseignement des sciences à la physique singulière
p. 310-311
Texte intégral
1L’eau est certainement l’objet le plus transversal de l’enseignement. Abordée dans la plupart des disciplines scolaires, elle est présente à chaque étape de la scolarité, depuis les classes de maternelle, jusqu’à celles du lycée, et au-delà, dans les cycles de l’enseignement supérieur. Il serait vain et certainement fastidieux pour le lecteur de trouver ici exposé l’ensemble des savoirs sur l’eau proposés à l'école. En tant que chercheurs en didactique de la physique, soucieux de comprendre la manière dont l’individu appréhende les concepts et les lois du monde qui l’entoure, nous avons choisi d’entrer dans les programmes scolaires par la porte des sciences physiques.
L'eau dans l'enseignement : quels enjeux ?
2L’eau, objet d’enseignement de la physique, est un exemple remarquable du projet qui anime l’École du xxie siècle : former des citoyens éclairés et responsables et permettre l’apprentissage de savoirs disciplinaires spécifiques. Tout comme l’air ou l’énergie, l’eau, avec laquelle l’élève est en contact permanent, se trouve à la croisée de préoccupations d’ordres civique et conceptuel. D’objet de la vie quotidienne hautement familier, il acquiert le statut d’objet de savoir : étudier la dissolution et les concentrations amène, par exemple, à travailler les notions de potabilité et de pollution (ou peut-être est-ce le contraire…). À ces enjeux citoyens et disciplinaires s'ajoute une qualité à ne pas négliger : utiliser de l’eau en classe de sciences permet de réaliser des expériences à bas coût et sans danger.
3L’eau dans les programmes de sciences physiques n’est que peu étudiée pour elle-même. En réalité, elle sert plus souvent de support à la construction de concepts physiques connexes, comme celui de « corps pur », dont l’eau devient, au fil de la scolarité pré-universitaire, l’exemple emblématique. C’est par l’étude des changements d’états de l’eau (aux échelles macro et microscopiques), que l’élève approche certains aspects thermodynamiques, mais c’est aussi par la mesure de l’indice de réfraction de l’eau que sont posées les premières bases de l’optique géométrique, et enfin, c’est par l’étude du mouvement de l’eau dans les canalisations que sont posées les premières lois de l’hydrodynamique. L’eau illustre également les concepts de « solvant* » et de « dissolution » (cf. II.8). Mélangée à des substances solides, liquides ou sous forme de gaz, elle permet d’ouvrir la voie à l’idée de conservation de la masse*. Par ailleurs, l’eau est également approchée comme un objet technique permettant de mesurer des volumes de solide, de recueillir un volume donné de gaz, de comparer la densité de différents objets, de montrer la matérialité de l’air…
4Le problème avec l'eau, objet d’apprentissages citoyens et scientifiques, c’est que beaucoup des lois qui soutiennent son comportement ne sont pas généralisables. Par exemple, contrairement à la plupart des substances, dont la densité à l’état solide est supérieure à celle de l’état liquide, la densité de l’eau solide est plus faible que celle de l’eau liquide (cf. II.5). C’est pourtant la différence entre la densité de l’eau liquide et celle de l’eau solide qui figure dans les programmes scolaires, différence qui pourrait aisément se retrouver appliquée à d’autres substances de manière inappropriée si l’enseignant n’y prend pas garde. Enseigner l’eau et enseigner avec de l’eau impliquent donc une certaine prudence, non seulement parce que la physique de l’eau est singulière par bien des aspects (cf. II.2), mais aussi parce que comme de nombreux objets de savoir en physique, elle est le siège de nombreuses idées construites sur les bases de la rationalité du sens commun, pas toujours conforme à celle de la physique.
Enseigner l'eau : faire face aux idées reçues
5Les premières difficultés auxquelles les professeurs de sciences physiques se heurtent lorsqu’ils enseignent des savoirs sur l’eau sont d’ordre langagier. Avant l’enseignement, un élève risque de considérer que la vapeur d’eau (eau à l’état gazeux) est visible, que la vaporisation (changement d’état liquide à gaz) consiste à expulser de petites gouttelettes d’eau liquide, à l’image de ce que fait un vaporisateur de parfum, et que le sel fond dans l’eau liquide. Or, le sel fond à 800°C ; le terme « fond » est donc confondu ici avec « dissout ». Il s’agit là de difficultés bien connues : les mots de la physique sont souvent ceux du langage courant, mais leurs significations sont parfois très éloignées les unes des autres.
6À ces difficultés viennent s’en ajouter d’autres, non essentiellement langagières et plus cognitives : les jeunes élèves pensent que tous les liquides contiennent de l’eau, que les bulles de l’ébullition sont des bulles d’air, que la surface libre de l'eau* est perpendiculaire aux parois du récipient qui la contient, quelle que soit son orientation, que les molécules d’eau baignent dans l’eau, et que la glace et l’eau liquide sont des substances de nature différente. À ce propos, l’expérience consistant à placer de l’eau liquide au congélateur n’a, pour les petits, pas valeur de preuve : une fois la porte du congélateur fermée, personne ne sait ce qu’il s’y passe. Une jolie manière de « donner à voir » le changement d’état liquide-solide aux jeunes élèves est de leur raconter expérimentalement l’histoire d’Isengrin, le loup trompé par Renart (figure).
7Cette expérience, plutôt ludique, révèle une autre difficulté de taille, qui concerne le palier de température au moment des changements d’état de l’eau pure. Comment se fait-il que la valeur du thermomètre n’évolue plus alors même que l’eau bout dans la casserole et que celle-ci reste au contact de la flamme vive ? Comment se fait-il que la cause et l’effet ne varient plus dans le même sens ? Mais c’est un livre sur l’énergie qu’il faudrait pour répondre à ces questions.
Bibliographie
Référence bibliographique
• Synthèse produite par l’Académie de Montpellier – http://grainelr.org/sites/default/files/docprogrammeeau.pdf.
Auteurs
Didacticien, Maître de Conférences à l’Université Paris Diderot, LDAR, Paris, p. 310.
nicolas.decamp@univ-paris-diderot.fr
Didacticienne, professeure à l’Université Paris Diderot, LDAR, Paris, p. 310.
cecile.dehosson@univ-paris-diderot.fr
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2012