6. Représentations visuelles de l'eau en synthèse d'image
p. 308-309
Texte intégral
1La quête infinie du réalisme des représentations, pour les rendre plus convaincantes, s'appuie sur une certaine idée consensuelle de conformité des apparences. Ainsi, pour représenter l'eau dans l'état liquide, il sera fait appel à des simplifications dont le but est de restituer rapidement, voire en « temps réel » la sensation de présence de l'eau dans l'image calculée.
Introduction de la physique dans les modèles
2L’illustration et la simulation poursuivent des buts apparemment distincts. Évoquer l'eau par un artifice contextualisé peut suffire ; d’ailleurs, aux premiers temps de la synthèse d'image, dans les années 1980, cet élément liquide était représenté par l'usage d'une transparence sans réfraction. L’utilisateur voyait au travers d'un jet d'eau comme il voit à travers un voilage devant une fenêtre ou la blancheur d’un papier-calque. La lumière, traversant ce « milieu » simplifié, n'est pas réfractée et la lumière réfléchie est diffuse. Ces représentations étaient limitées par les algorithmes mis en œuvre pour calculer les images (algorithme du « Z-buffer »). La volonté d'augmenter le niveau de réalisme a conduit les chercheurs à introduire de plus en plus de physique dans les modèles. Cela s'est effectué progressivement et a nécessité chaque fois plus de puissance de calcul. L'arrivée des « Personal Computers » (PC) et leur mise en réseau (grilles de calcul et/ou clusters) ont été des éléments déterminant pour populariser l'imagerie de synthèse physiquement réaliste. Cela a ouvert de nouvelles perspectives : comment l'eau réfléchit-elle, réfracte-t-elle, diffuse-t-elle la lumière en fonction de la taille des gouttelettes, par exemple ?
3Produire des images de synthèse convaincantes devait impérativement s'appuyer sur des connaissances scientifiques décrivant les propriétés visuelles des matériaux. L'eau peut être colorée, pour cela il faut tenir compte de l'absorption sélective de la lumière. L'eau peut être sale et trouble, il faut alors inclure sa turbidité*. L'eau peut apparaître sous forme de glace ou de neige et là interviennent des questions de réfraction, de diffusion de surface ou de volume. L'eau peut aussi être sous la forme de brouillard, milieu diffusant, couramment appelé « milieu participatif » en synthèse d'image. Pour représenter cette diffusion de la lumière par ce système de particules que sont les gouttelettes, il faut développer toute une algorithmique qui vise, au fond, à résoudre l'équation du transfert radiatif. Pour cela, plusieurs méthodes sont mises en œuvre : elles font toutes intervenir des « fonctions de phase » allant de celle de la diffusion Rayleigh*, pour les milieux définis par des particules très petites (échelle moléculaire), ou celle de la diffusion de Mie*, pour des particules sphériques plus grandes que la longueur d'onde de la lumière visible*. La représentation de milieux optiquement complexes, contenant de l'eau (la peau humaine, par exemple), fait appel à des modèles s'appuyant sur ces fonctions de diffusion, de réflexion, de transmission, de turbidité, de libre parcours moyen de la lumière dans les milieux stratifiés diffusants (épiderme, derme…).
Les avancées récentes
4Une grande avancée dans la visualisation réaliste fut l'introduction du calcul des caustiques* par transmission (figure 1) : « l’effet piscine ». Imaginez un bassin de piscine revêtu de carrelage et éclairé par la lumière du soleil. Vous distinguez parfaitement ce carrelage lorsque l'eau est immobile et tous les détails du fond vous apparaissent. Mais dès qu'un nageur se lance dans l'eau, la surface plane s'agite créant de nombreuses ondulations à l’origine de ces caustiques, par transmission de la lumière dans l'eau, mais aussi par sa réflexion sur l'environnement au-dessus de la surface d'eau du bassin. Un effet de loupe qui concentre la lumière en certaines zones mouvantes, comme les ondes de surface, saute aux yeux. En fait, vous percevez comment un front d'onde de la lumière incidente est modifié par l'état de surface de l'eau recevant la même quantité de lumière qu'auparavant. Cette agitation de la surface modifie la répartition spatiale de la lumière réfléchie par le liquide. Avec un peu d'attention, vous pouvez également observer comment la lumière est « dispersée » par ces caustiques. Le mouvement brouille l'image, mais l'effet est présent et si vous vous serviez d’une loupe, vous verriez des images lumineuses chromatiquement distinctes (les foyers « rouge » et « bleu », soit de grande et courte longueur d'onde, sont nettement espacés). Cette propriété du verre est aussi celle de tous les milieux transparents, car la variation de leur indice de réfraction est une fonction monotone décroissante de la longueur d'onde. La déviation des rayons colorie donc différemment l'image projetée suivant la longueur d'onde de la lumière incidente. Une amélioration du calcul de simulation, pour l'eau, mais aussi pour tous les milieux transparents, a consisté ces dernières années à inclure la notion de polarisation de la lumière* dans les calculs, pour la réflexion et la transmission en fonction de l'angle d'incidence sur les surfaces transparentes. Ces raffinements peuvent paraître excessifs, mais ils sont de plus en plus importants pour déterminer les quantités d'énergie effectivement transportées par la lumière après des réflexions multiples.
5Les lois de diffusion de la lumière par des particules en grand nombre, non individuellement discernables, comme dans les vapeurs, les fumées, les nuages… formant des milieux variablement concentrés, s'appuient sur les algorithmes de rendu des milieux participatifs décrits par des « systèmes de particules ». Pour l'écoulement des liquides, il faut utiliser les équations de Navier-Stokes (cf. II.10) qui sont résolues par application de méthodes eulériennes ou lagrangiennes découpant l'espace en grilles ou en « voxels* ».
Bibliographie
Références bibliographiques
• L. ZUPPIROLI et M.-N. BUSSAC – Traité des couleurs, Presse Polytechniques et Universitaires Romandes, 2011.
• L. ZUPPIROLI et M. -N. BUSSAC – Traité de la lumière, Presse Polytechniques et Universitaires Romandes, 2009.
• M. ELIAS et J. LAFAIT (dir.) – La couleur. Lumière, vision et matériaux, Belin, 2006.
Auteur
Mathématiques appliquées aux systèmes, Enseignant-chercheur à Central Supélec, CAOR, Mines-ParisTech, Vice-président du Centre Français de la Couleur, Paris, p. 308.
patrick.callet@centralesupelec.fr
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