3. Eau, symboles et rites sacrés
p. 302-303
Texte intégral
1Qu’elle vienne des profondeurs de la terre ou descende du ciel, l’eau est empreinte d’un caractère sacré véhiculé par les populations qui vouent des cultes spécifiques aux eaux et répètent des gestes cultuels d’une civilisation à l’autre, ancré ou non dans des rituels religieux.
Eau divine
2Incarnée par des divinités comme Tlaloc, dieu de la pluie et de la végétation chez les Azteques (figure 1), Chac chez les Mayas, Anzar chez les Berbères ou encore Zeus, Seigneur du Ciel, dans la mythologie grecque, l’eau qui tombe du ciel, la pluie, symbolise les influences célestes. Ainsi, les divinités sont invoquées pour venir féconder le sol et rendre la terre fertile. Danses rituelles, prières et cérémonies lui sont spécialement dédiées depuis les temps préhistoriques jusqu’à aujourd’hui par les Indiens, comme les Hopi ou les Tohono par exemple, vivant dans le sud-ouest des États-Unis. Ailleurs, en Kabylie, au nord de l’Algérie, lorsque la pluie tarde à arriver, des rites sont organisés pour la faire venir. Lors de la cérémonie tislit buwanzar, (la fiancée de la pluie), les hommes font des sacrifices, alors que femmes et enfants se rendent à tala, la fontaine. Le culte des fontaines était très populaire et universel, en témoigne la grande diversité des croyances qui y sont associées concernant le pouvoir des eaux sur les éléments, la destinée, la santé (figure 2)… En Gaule, l’Église a progressivement intégré ces rites païens en donnant un caractère religieux à ces fontaines, explique Paul Sébillot.
3Ainsi, par son absence, l’eau vitale devient mortifère, tout comme par son abondance soudaine, lorsqu’elle devient destructrice et source de déluges ravageurs, ou de recommencement. L’humanité disparaît périodiquement dans le déluge ou l’inondation à cause de ses « péchés » (…) Jamais elle ne périt définitivement, mais elle reparaît sous une nouvelle forme, selon Mircéa Eliade, historien des religions.
Régénérescence
4Ainsi, l’eau matrice éternelle est à la fois source de mort et de régénérescence, ce qui se traduit à travers différents rites tout au long de la vie. Par exemple, sans être si violent, l’usage de l’eau dans différents rites de passage permet de quitter le monde de l’enfance et d’entrer dans la communauté des adultes. Chez les Soninkés, peuple sahélien, l’eau est utilisée pour passer de l’état de jeune fille à celui d’épouse : au cours de la cérémonie du mariage, un bain rituel est donné à la future mariée, avant de rejoindre sa belle-famille et de revêtir un nouveau rôle social.
5L’élément eau symbolise aussi la régénérescence et accompagne le passage d’un état à un autre, de la vie à la mort, pour une nouvelle renaissance. Certains voient aussi en l’eau, symbole cosmogonique, un moyen de lutter contre leur condition humaine et recherchent une forme d’éternité qui, si elle n’est pas physique, sera symbolique. Ainsi, dans l’Évangile selon Saint Jean (parabole de la Samaritaine), Jésus dit : L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle. Or, de nombreuses sources et fontaines sacrées font l’objet de cultes et de rituels particuliers ancrés dans les croyances individuelles et collectives : les eaux sont guérisseuses, sources de jouvence, de régénérescence ou de pouvoir.
Purification
6Le besoin de purification est encore très vivace et s’intègre à la vie quotidienne de chacun, qu’il ait ou non un caractère religieux. Il s’exprime par divers rites qui préparent l’être humain à son insertion dans l’économie du sacré, selon chacune des trois religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam, à travers les pratiques d’immersion, d’ablution et d’aspersion.
7Pour Mircéa Eliade, dans l’eau, tout se « dissout », (…) rien de ce qui a existé auparavant ne subsiste après une immersion dans l’eau, aucun profil, aucun « signe », aucun « événement ». Ainsi, l’immersion conduit à une purification symbolique du corps et de l’esprit et à une régénérescence permettant de renaître dans un monde nouveau. L’immersion dans l’eau baptismale chez les chrétiens symbolise alors une mort initiatique. Dans la cérémonie orthodoxe, comme dans les communautés baptistes, le baptisé est plongé entièrement dans l'eau ; alors que chez les catholiques, lors du sacrement du baptême, verser un peu d’eau bénite sur le front suffit pour laver des péchés. L’eau sacrée purifie et régénère chaque être par une nouvelle naissance. De même, cette catharsis, au centre de la pratique religieuse juive, se pratique par un bain rituel, ou Mikvé : l’eau vive assure la purification des femmes et des hommes tout au long de la vie, elle rend casher la vaisselle qui y est plongée, ou encore purifie celui qui a touché un mort ou un objet impur.
8Les ablutions permettent aux croyants musulmans de quitter l’univers profane pour entrer dans celui du sacré. Leur prière rituelle, par exemple, qui se répète cinq fois dans la journée, ne peut être réellement accomplie que lorsque l’orant s’est rituellement purifié par ablutions, en suivant avec minutie les règles dont elles font l’objet. Ainsi, selon la sounnah Abou Daoud, quand le croyant fait ses ablutions et se lave le visage, tous les péchés qu'il a commis avec ses yeux partent avec l'eau, et quand il se lave les mains, tous les péchés qu'il a commis avec ses mains partent avec l'eau. Et quand il lave ses pieds, tous les péchés vers lesquels il s'est dirigé partent avec l'eau. En l’absence d’eau, les rituels de purification se font avec du sable ou une pierre arrondie ; le rituel de purification confirme ainsi son indépendance du fait de se laver.
9Dans l’aspersion, seules quelques gouttes d’eau suffisent pour qu’un homme ou une femme soit purifié, symboliquement et moralement lavé de toute impureté. Une goutte d’eau pure suffit à purifier un océan ; une goutte d’eau impure suffit à souiller un univers, écrit le philosophe Gaston Bachelard. Ainsi, l’eau, pensée comme une substance, est aussi émettrice de force et de puissance. Chez les chrétiens, l’eau bénite, grâce à une simple aspersion des fidèles, permet d’éloigner le mal et d’invoquer le Saint-Esprit ; elle symbolise aussi la régénérescence semblable à celle obtenue par immersion dans le baptême. Chez les musulmans, l’aspersion est un symbole de fertilisation que l’on retrouve au moment d’une noce lors du rituel d’aspersion des convives féminines avec de l’eau parfumée.
10Ainsi, le symbolisme universel de l’élément eau revêt des formes variées selon les sociétés et leurs propres configurations culturelles et religieuses, que le philosophe Gilbert Durand développe à partir de quatre directions essentielles du symbolisme aquatique : celle de l’eau germinale et fécondante, celle de l’eau médicale, source miraculeuse ou boisson d’éternité, celle de l’eau lustrale et baptismale, celle enfin de l’eau diluviale permettant la purification et la régénération du genre humain. Ce symbolisme originel de l’eau est hors-temps, mais son caractère multiforme lui permet aussi de s’inscrire dans une dimension temporelle.
Bibliographie
Références bibliographiques
• G. BACHELARD – L’eau et les rêves, Corti, 1997.
• M. ELIADE – Traité d’histoire des religions, Payot, 1996.
• P. HIDIROGLOU – L’eau divine et sa symbolique, Albin Michel, 1994.
• P. SÉBILLOT – Le Folklore de France. Les eaux douces, Imago, 1983.
Auteur
Anthropologue, Chargée de recherche au CNRS, LATTS, Déléguée scientifique à l’INEE, Paris, p. 16, p. 21, p. 244, p. 268, p. 299, p. 302.
agathe.euzen@cnrs-dir.fr
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012