8.12. Développer une agriculture écologique et intensive
p. 295-296
Texte intégral
1Nourrir plus de 9 milliards d’individus à l’horizon 2050 requiert, entre autres conditions, une agriculture intensive, ce qualificatif renvoyant à une productivité unitaire élevée des surfaces et des animaux. Maintenir la dynamique de croissance de la productivité ne peut néanmoins plus se concevoir indépendamment d’une économie des ressources naturelles et d’une maîtrise des impacts environnementaux négatifs. On parle parfois de révolution agricole « doublement verte » pour désigner cette double ambition.
L’ambition agro-écologique
2Le concept d’agriculture agro-écologique ou, de façon quasiment équivalente, d’agriculture écologiquement intensive est plus ambitieux au sens où il s’agit de mobiliser les processus biologiques et écologiques à l’œuvre dans les écosystèmes agricoles. L’agro-écologie est néanmoins une notion polysémique dans la mesure où elle peut être vue simultanément comme une discipline scientifique, un ensemble de pratiques agricoles ou un mouvement social.
3En tant que discipline et en se limitant aux aspects biotechniques, l’agro-écologie vise à mobiliser conjointement les sciences écologiques et agronomiques pour mieux comprendre et gérer le fonctionnement des agroécosystèmes. Il s’agit, par exemple, de tirer profit de la biodiversité présente dans les exploitations et les territoires agricoles pour définir des systèmes de production plus durables, flexibles et résilients qui exploitent au mieux les interactions biologiques et écologiques, ceci aux trois niveaux d’organisation de la biodiversité (diversité génétique, spécifique et associée via la mobilisation de la faune et de la flore auxiliaire ou le développement d’infrastructures agro-écologiques telles que des haies, des bandes enherbées ou des zones humides). La résilience fait référence à la capacité des systèmes à résister aux chocs via notamment leur aptitude à s’adapter aux changements de contexte et aux aléas, autrement dit leur flexibilité. L’échelle d’intervention ne se limite pas à la parcelle ou à l’animal, au champ ou au troupeau. Il s’agit aussi de penser l’organisation spatiale des productions végétales et animales, des infrastructures agro-écologiques et des espaces non cultivés à l’échelle des territoires de façon à optimiser les régulations écologiques (préservation des habitats, des pollinisateurs, des auxiliaires de culture) et biogéochimiques (par la protection des sols, en maîtrisant les flux d’eau et de matières).
Une grande diversité
4Si l’ambition agro-écologique s’applique à toutes les agricultures, elle se décline différemment selon les régions du monde en fonction des niveaux de performances productives déjà atteintes, des conditions des milieux (sol, eau, climat) et des utilisations des différents facteurs de production : les rendements moyens du blé tendre varient ainsi dans une fourchette allant de 1 à 4 selon les zones du monde, l’écart entre les deux bornes étant pour une large part le reflet d’une pluviométrie limitante (Australie) versus suffisante (France) ; les rendements des agricultures ouest-européennes et asiatiques exprimés en kilocalories/hectare/jour sont voisins, mais alors que les premières sont très économes en travail et atteignent des niveaux de productivité partielle du travail supérieure à 400 000 kilocalories/actif/jour, les secondes restent fortement utilisatrices de travail avec une productivité de ce facteur de production 40 fois moindre.
Fig. 1 – Paysage de bocage. Photo Anderw Bossi
5Développer une agriculture écologique et intensive requiert d’investir dans la recherche générique et systémique, dans les infrastructures en amont des exploitations agricoles (dans l’objectif notamment d’assurer aux agriculteurs des pays du Sud un accès accru à la mécanisation, à l’eau, aux engrais et aux produits de protection des cultures) comme dans celles situées à leur aval (dans les pays du Sud, infrastructures de stockage et de transport de façon à réduire les pertes post récolte et permettre un accès augmenté et prolongé aux marchés ; dans les pays du Nord, principalement des infrastructures écologiques aux échelles des exploitations et des territoires). Dans cette perspective, les pratiques et systèmes de demain seront diversifiés, adaptés aux spécificités des différents milieux, et valorisant au mieux les savoirs et savoir-faire des acteurs locaux.
6Ce développement nécessite aussi des politiques publiques fortes ciblées sur trois objectifs principaux : 1° l’économie de ressources naturelles et la protection de l’environnement, biens publics pas ou peu valorisés sur les marchés des biens privés ; 2° la réduction des fluctuations excessives des cours des matières premières agricoles dans le double souci de garantir l’accès à l’alimentation et de ne pas décourager les investissements dans l’agriculture ; et 3° la sécurisation des échanges mondiaux de produits agricoles bruts et transformés. Enfin, dans la mesure où les solutions seront adaptées aux spécificités locales, il conviendra aussi de mieux y associer les acteurs dans le cadre de démarches de co-construction.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Conway G., The Doubly Green Revolution : Food for All in the twenty-first century, Cornell University Press, Ithaca, 1998.
• Guillou M., Matheron G., 9 milliards d’hommes à nourrir : un défi pour demain, François Bourin, Paris, 2011.
• Rifkin J., La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Les liens qui libèrent, Paris, 2012.
• Wezel A. et al., Agroecology as a Science, a movement and a practice : A review. Agronomy for sustainable development 2009 ; 29 : 5-515.
Auteurs
Économiste
Directeur Scientifique Agriculture
INRA
Paris
herve.guyomard@paris.inra.fr
Généticien végétal
Directeur Scientifique Adjoint Agriculture
INRA
Paris
christian.huyghe@lusignan.inra.fr
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012