8.10. La demande en énergies, matériaux et molécules à partir de biomasse
p. 292-293
Texte intégral
1Dans les politiques de développement durable, la bio-économie promue par l’OCDE (2009) est devenue une clé des perspectives à long terme de la croissance économique. Elle se définit comme la production durable de la biomasse et sa transformation durable en une gamme de produits pour l’alimentation humaine et animale, et aussi pour des usages industriels et pour la production d’énergie.
Fonctionnement de la bio-économie
2La biomasse est l’ensemble des matières organiques produites par des organismes vivants ou par leur décomposition : les produits d’origines agricole, forestière et aquatique ; les coproduits et effluents des industries de transformation des matières biologiques ; les autres déchets organiques (déchets urbains, boues de station d’épuration, ordures ménagères, déchets verts de parcs et jardins). Même si la biomasse disponible sur terre est limitée à chaque instant, la photosynthèse génère naturellement son renouvellement, induisant ainsi une circularité des flux biogéochimiques* du carbone. C’est le premier élément de différenciation de la bio-économie par rapport à l’usage du carbone fossile (Fig. 1).
Fig. 1 – Stock et flux de carbone en GtC/an (GtC = Giga tonne de Carbone) (Sources : Friedlenstein et al. 2010, Pan et al. 2010, OMM 2013, GIEC 2014)
3Le second élément est le remplacement de l’approche économique par filière linéaire par une approche systémique. En effet la bioraffinerie est définie comme une succession d’opérations physiques, chimiques et/ou biotechnologiques de déconstruction, séparation et fonctionnalisation visant à produire des produits commerciaux finis ou intermédiaires présentant des propriétés d’usage ou de réactivité (molécules plateformes). Elle remet en cause les relations bijectives* entre les différents stades d’un processus de transformation (ou « chaîne de production ») pour plusieurs raisons. La plupart des biomasses sont interconvertibles, via la bioraffinerie, pour répondre aux besoins en produits finaux : par exemple, pratiquement toutes peuvent être utilisées pour produire de l’énergie. De plus, les co-produits et les produits de sortie (déchets) sont à considérer dans une logique de cascade dont les devenirs ultimes sont le CO2 et le retour des éléments carbone, azote, phosphore et potassium dans les systèmes de culture ou dans les sols. Parfois dénommée par simplification « économie circulaire », cette triple logique de fractionnement, d’interconversion et de cascade doit être étudiée comme un système global (« analyse systémique »). Enfin, les relations entre les acteurs sont souvent déstabilisées car les options technologiques, du fait de l’innovation, conduisent à des réorganisations permanentes de l’arborescence des « filières ». L’approche systémique (interactions entre systèmes alimentaires, chimiques, énergétiques) permet d’envisager d’optimiser les croisements de flux de matière, d’énergie et d’informations entre les mondes agro-industriels ou forestiers et celui de la chimie classique. Elle renouvelle l’éco-conception*, dont l’approche classique par produit entraîne une incapacité à considérer l’ensemble des besoins de la société.
Les enjeux de la bio-économie
4En alternative à l’économie pétro-sourcée, la bio-économie se propose d’améliorer l’efficacité de l’usage des ressources naturelles par « injection » intensive de progrès technologiques (les biotechnologies vertes* et blanches*) et d’un capital de connaissances scientifiques (la biologie moderne). Elle permet de satisfaire au mieux nos besoins grâce à une utilisation durable des ressources biologiques par la maîtrise des agroécosystèmes aux différentes échelles spatiales.
5Reste une question majeure pour l’alimentation. Sachant que la quantité de biomasse disponible actuellement ne permet pas un remplacement intégral du carbone fossile, la priorisation des usages de la biomasse se fera-t-elle sur des hiérarchies d’usage, avec l’alimentaire en priorité, ou de maximisation de la valeur ajoutée, ou encore de durabilité, ou enfin de sécurité des approvisionnements ?
Fig. 2 – Bioraffinerie européenne de Pomacle-Bazancourt (Marne)
6Les réponses sont multiples. Les complémentarités et les concurrences entre les usages des sols contribueront à déterminer la place quantitative de la bio-économie, ce qui implique l ‘ élargissement de la réflexion aux terres marginales (« brown lands ») au-delà des seules surfaces agricoles et forestières. Le choix des espèces végétales à implanter, des plantes pérennes aux micro-algues, sera une variable majeure affectant la durabilité et les paysages. À la différence du carbone fossile dont l’exploitation est localisée, la biomasse est uniformément répandue à la surface du globe, ce qui modifie les enjeux géopolitiques de souveraineté régionale ou nationale. Il en découle des visions contrastées entre les bioraffineries territoriales dans des bassins de production (grandes cultures et forêts : Fig. 2) et les bioraffineries portuaires (Rotterdam), ou, à plus petite échelle, d’éventuelles bioraffineries environnementales (traitement des déchets ou sous-produits) en périphérie des mégapoles ou des écosystèmes industriels.
7Réfléchir en terme de bio-économie nécessite de choisir judicieusement les échelles pertinentes pour développer des approches holistiques (c’est-à-dire en système complexe) dans les territoires, en lien avec les écosystèmes, selon les trois volets : variabilité territoriale des écosystèmes ; trajectoire technologique pour les transitions alimentaires, énergétiques, chimiques ; résilience et robustesse des systèmes alimentaires, énergétiques et chimiques. La proposition française dans le cadre de la « smart specialization* » européenne repose sur des scénarios qui conduisent à co-localiser les activités de production de biomasse et de sa transformation dans un objectif de durabilité.
Bibliographie
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Référence bibliographique
10.4000/books.cdf.541 :• Colonna P., Le Carbone renouvelable dans les systèmes alimentaires, énergétiques et chimiques : Leçons inaugurales du Collège de France, Collège de France-Fayard, Paris, 2012, N° 223.
Auteurs
Sciences des Biopolymères
Directeur Scientifique Adjoint
Bioéconomie
INRA
Paris
paul.colonna@paris.inra.fr
Physico-chimiste
UMR « Fractionnement des Agro-Ressources et Environnement »
INRA
Reims
jean.tayeb@reims.inra.fr
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2012