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8.9. Les systèmes alternatifs : marginaux ou porteurs d’évolutions ?

p. 290-291


Texte intégral

1Face à la montée en puissance du modèle agro-industriel et à la mise en évidence de sa « non-durabilité », on assiste actuellement à l’émergence ou au (re)développement de systèmes de production et d’échange susceptibles de représenter une alternative au modèle dominant. Ces systèmes sont divers : circuits courts, agriculture biologique, commerce équitable, productions « de terroir » (éventuellement protégées par des indications géographiques). Ils trouvent cependant leur homogénéité dans la reconnexion qu’ils permettent entre producteurs et consommateurs.

Une reconnexion entre producteurs et consommateurs

2Le développement du modèle agro-industriel s’est accompagné d’une mise à distance économique (du fait de l’intermédiation des filières), physique (liée à l’urbanisation) et cognitive (suite à la technicisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire) des producteurs par rapport aux consommateurs. Cette déconnexion a poussé ces derniers, moins informés et sensibilisés sur les évolutions du monde agricole, à rechercher un approvisionnement alimentaire au moindre coût possible. Cela a de fait incité les acteurs des filières à développer une logique d’économie d’échelle et d’innovation technologique afin de réduire les coûts de production, au détriment de l’impact environnemental et social et de la qualité des produits.

3Les systèmes alternatifs fournissent à des consommateurs plus concernés par la durabilité de l’agriculture des informations sur les modes de production et d’échange. Cela augmente ainsi le consentement à payer* de ces consommateurs, et rend viables des filières basées sur des pratiques plus respectueuses de l’environnement et de la biodiversité, et/ou une meilleure rémunération des producteurs.

4En dépit d’une forte croissance, ces filières alternatives restent marginales si l’on considère les parts de marché des produits qui en sont issus dans la consommation alimentaire globale. Elles ne se développent pas indépendamment des filières agro-industrielles, mais sont bien souvent plutôt en compétition avec ces dernières, que ce soit au niveau des exploitations agricoles ou des transformateurs agroalimentaires, des acteurs de la distribution ou encore des pratiques d’approvisionnement des consommateurs.

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Fig. 1 – Circuit court de distribution aux Matelles (Hérault). (© Patricia Fournier)

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Fig. 2 – Vente d’échalotes du plateau dogon sur un marché malien. (© Patricia Fournier)

Des systèmes en co-évolution

5Le maintien sur la longue durée de certaines formes de systèmes alternatifs (circuits courts ou produits de terroir par exemple), malgré cette concurrence forte avec le système agro-industriel, montre leur utilité. Le système agro-industriel s’avère incapable d’instaurer une sécurité alimentaire globale et durable, en ne fournissant pas de solutions pour la valorisation des productions agricoles de petits exploitants, ou issues de zones où l’agriculture intensive ne peut être développée (régions isolées, montagneuses), ou encore en surexploitant les ressources naturelles. Les systèmes alternatifs qui gravitent à ses côtés permettent d’améliorer ces impacts sociaux et environnementaux.

6Apparaît ainsi une certaine complémentarité des systèmes agro-industriels et alternatifs. Aucun de ces systèmes pris isolément n’a démontré sa capacité à (durablement) « nourrir la planète », mais leur combinaison au sein des systèmes alimentaires serait en mesure de le faire. Cette confrontation entre différents modèles au sein de systèmes alimentaires que l’on doit considérer comme composites renforce les dynamiques d’innovation ; elle induit une co-évolution des systèmes alternatifs et conventionnels.

7Sur la base d’une critique du modèle dominant, les systèmes alternatifs expérimentent des innovations techniques et organisationnelles. Une fois leur viabilité démontrée, certaines de ces innovations pourront être « incorporées » dans le modèle dominant ; c’est le cas des produits bio ou du commerce équitable, maintenant largement présents dans la grande distribution. De la même façon, la concurrence avec le modèle agro-industriel influence les systèmes alternatifs, en les poussant vers une rationalisation économique (dénoncée par certains comme une forme de « conventionalisation »).

Des systèmes à protéger et à promouvoir

8La diversité des modèles, l’existence d’une pluralité de solutions techniques et organisationnelles apparaît ainsi nécessaire pour construire une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable. Les rapports de force sont cependant très inégaux, et la progression au niveau mondial du modèle agro-industriel semble de nature à faire disparaître certaines alternatives.

9Il importe donc d’aller au-delà de la simple reconnaissance de l’intérêt de cette co-existence ; les pouvoirs politiques ont un rôle à jouer pour protéger et promouvoir les systèmes alternatifs. Le maintien des systèmes alternatifs demande cependant probablement un changement plus profond des règles du jeu.

Bibliographie

Références bibliographiques

• Bricas N., Vagneron I., « Le commerce équitable en question », Cahiers Agricultures 2010 ; 19 : 1-88.

• Maréchal G., Les Circuits courts alimentaires : bien manger dans les territoires, Educagri, Dijon, 2008.

• Esnouf C. et al., Pour une alimentation durable : réflexion stratégique duALIne, Quae, Paris, 2011.

• Fournier S., Champredonde M., « L’innovation durable dans l’agro-alimentaire », in Regards sur la Terre 2014 : Les promesses de l’innovation durable, Grosclaude J.Y. et al. éd.. Armand Colin, Paris, 2014.

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