8.6. Emissions de gaz à effet de serre et changement climatique : conséquences pour l’agriculture
p. 283-285
Texte intégral
1L’effet de serre résulte de la présence dans l’atmosphère de gaz absorbant le rayonnement infrarouge thermique émis par les surfaces terrestres. Sans effet de serre la température moyenne du globe s’établirait aux alentours de -18 °C au lieu de +15 °C. Les principaux gaz à effet de serre (GES) sont le dioxyde de carbone (CO2), le CH4 (méthane), le N2O (oxyde nitreux) et les halocarbones. À l’échelle mondiale, le secteur agriculture, forêt et « usage des sols » contribue à 24 % des émissions de GES. L’« usage d’un sol », et les conversions d’un usage à l’autre (culture, prairie, forêt), affectent les stocks de carbone dans la matière organique du sol et dans le bois (forêt) : Fig. 1.
2Le cinquième rapport d’évaluation du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en septembre 2013, conclue qu’il est extrêmement probable (p>0,95) que l’influence humaine sur le climat ait été la cause dominante du réchauffement observé depuis le milieu du vingtième siècle. Celui-ci devrait s’accélérer au cours des prochaines décennies pour atteindre dans les années 2030 entre 1 et 2,5 °C par rapport aux années 1900. D’ici à 2030, ce réchauffement est pratiquement inévitable en raison de l’inertie du système climatique.
Réduire les émissions de gaz à effet de serre
3À partir de 2050, s’ouvre la période des options climatiques au cours de laquelle la température mondiale dépendra d’émissions de gaz à effet de serre qui n’ont pas encore eu lieu. S’il est encore temps de limiter à 2 °C le réchauffement moyen à cette période, seule une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre mondiales permettra d’y parvenir : -2 % par an en 2020 et jusqu’à -8 % par an en 2040. Le secteur de l’agriculture peut contribuer à cet effort. En adoptant dans chaque région les meilleures pratiques disponibles, une baisse de l’ordre de 20 % des émissions de méthane et de protoxyde d’azote serait possible sans réduction de la production agricole.
4Le stockage de carbone dans la matière organique des sols cultivés et des prairies, ainsi que la restauration des sols dégradés présentent probablement le potentiel le plus important pour la lutte contre l’effet de serre en agriculture. Viennent ensuite la réduction des émissions de méthane de l’élevage (grâce à une meilleure productivité animale et à des modifications des rations) et des rizières (grâce à une inondation temporaire des cultures).
5En outre, les émissions de gaz à effet de serre peuvent être réduites en remplaçant les combustibles fossiles par des sous-produits agricoles (par exemple, du biogaz issu de la fermentation anaérobie de résidus de récolte et d’effluents d’élevage) et par des cultures énergétiques dédiées, comme des graminées pérennes ou des taillis à courte rotation*.
6Cependant, la production de biocarburants à partir de cultures alimentaires contribue indirectement à accroître la demande en terres cultivées, ce qui peut entraîner des changements d’usage des sols comme la déforestation. En limitant sous les tropiques l’extension des cultures et des prairies semées, il serait possible de ralentir fortement les émissions de CO2 causées par la déforestation tropicale, et la mise en culture des savanes et des prairies natives. Les activités de boisement permettent de piéger le carbone et ont des co-bénéfices importants : réduction de l’érosion des sols et création d’habitats favorables à la biodiversité.
S’adapter à la variabilité climatique d’ici à 2030
7D’ici à 2030, la concentration atmosphérique élevée du dioxyde de carbone et le réchauffement pourraient avoir des conséquences positives sur la croissance de la végétation (forêts, cultures) aux latitudes élevées notamment. Dans l’hypothèse d’un réchauffement progressif, sans augmentation de la variabilité du climat, ces effets positifs seraient probablement dominants pour la production agricole mondiale.
Fig. 2 – Événements climatiques extrêmes en Europe à la fin du siècle (années 2071-2100 comparées aux années 1971-2000) pour un scénario de fortes émissions de gaz à effet de serre (les zones de forte augmentation sont en rouge pour les canicules et les sécheresses, en bleu pour les pluies). (d’après Jacob D et al. Reg Environ Change 2013 ; 14 : 563-78.)
8Toutefois, la variabilité du climat devrait se renforcer, avec selon les régions et les saisons une augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules et des sécheresses ou, au contraire, des précipitations intenses et des inondations (Fig. 2). L’amplification de ces extrêmes réduira la viabilité des systèmes (écologiques et humains) les plus exposés et les plus sensibles : populations animales et végétales en limite de leur niche climatique, agriculture de subsistance en zone sèche ou inondable, peuplements forestiers fragilisés, petits cours d’eau et zones humides.
9Face à ces risques climatiques, les systèmes de production doivent devenir plus résilients, c’est-à-dire capables de bonnes performances en dépit des perturbations. Les agriculteurs s’adaptent déjà au réchauffement climatique en faisant évoluer leurs pratiques agricoles (dates de semis, de récolte). Ils ont également recours à des adaptations tactiques en cours de saison tels que l’irrigation de cultures pluviales, la création de stocks fourragers pour l’été. Améliorer la gestion du risque climatique en agriculture nécessite aussi la diversification des cultures et des systèmes d’élevage, ce qui permet de répartir les risques entre productions et de les réduire à l’échelle de l’exploitation agricole. Enfin, il sera nécessaire de concevoir des systèmes d’irrigation moins gourmands en eau, de passer dans certains cas du maïs irrigué au sorgho (plus économe en eau) et de développer dans certains cas de petits aménagements hydrauliques (retenues collinaires*) tout en minimisant leur impact sur les milieux aquatiques. L’adoption de techniques de non-labour pourrait aussi faciliter une meilleure économie d’eau en apportant une couverture continue du sol, limitant ainsi l’évaporation et l’érosion.
10Une autre piste concerne la génétique végétale et animale. S’il est possible d’améliorer la tolérance à des températures élevées des variétés végétales et des races animales, il sera beaucoup plus difficile de le faire sans réduire le potentiel de production durant les années favorables. Plusieurs cycles de sélection seront nécessaires, chacun se déployant sur une dizaine d’années environ, ce qui souligne l’urgence des efforts à entreprendre.
11La question de la santé végétale, animale et humaine se posera également puisque les risques liés à des maladies vectorielles tendront à augmenter : pour les plantes, infections fongiques hivernales des végétaux, maladies vectorisées par des arthropodes* ; pour les animaux domestiques, maladies propagées par des insectes ou tiques et dont certaines sont transmissibles à l’homme. Comme l’usage des pesticides et des antibiotiques en agriculture doit être réduit, la maîtrise de la santé animale et végétale deviendra plus exigeante.
12Certains territoires seront particulièrement affectés : en zone littorale, du fait de la salinisation et de l’inondation d’une partie des sols et de l’érosion accélérée des côtes ; en zone de montagne, du fait d’un dépérissement accru des forêts ; dans les plaines inondables, où les dommages aux parcelles, aux bâtiments et aux infrastructures se multiplieront ; enfin, en région méditerranéenne où les risques d’aridification deviendront particulièrement importants.
13En revanche, des opportunités pourraient se développer pour l’agriculture aux latitudes élevées. Ainsi, les pays nordiques pourraient cultiver du maïs, même si les rendements demeureront vraisemblablement irréguliers du fait des risques de gelées. La vigne devrait pouvoir s’étendre au Royaume-Uni, au Danemark et remonter en Europe centrale. Toutefois, le potentiel des sols et la disponibilité en eau limiteront dans certains cas la remontée en latitude des zones de culture, par exemple en Russie et au Canada.
14À moyen terme (2030) les adaptations viseront surtout à favoriser la résilience des systèmes agricoles par rapport aux fluctuations interannuelles du climat. Cependant, l’augmentation des événements extrêmes pourrait dès cette échéance provoquer des irrégularités de production agricole avec des conséquences économiques fortes et un impact certain sur l’alimentation humaine.
Bibliographie
Références bibliographiques
• GIEC, Climate change 2007 : Impacts, Adaptation and Vulnerability, Cambridge University Press, 2007.
• GIEC, Climate Change 2013 : The Physical Science Basis, Cambridge University Press, 2013.
• Pellerin S. et al., Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?, INRA, 2013.
• Soussana J.-F., S’adapter au changement climatique. Agriculture, écosystèmes et territoires, Quae, Paris, 2013.
Auteur
Ecologue
Directeur Scientifique Environnement
INRA
Paris
jfsoussana@paris.inra.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012