8.4. Demandes alimentaires dans un monde aux ressources limitées : quels équilibres en 2050 ?
p. 279-280
Texte intégral
1Alors que les 50 dernières années ont vu la population mondiale plus que doubler, la disponibilité alimentaire moyenne par habitant est passée de 2 500 à plus de 3 000 kCal/jour/personne : la production alimentaire a donc crû plus vite que la démographie, suite aux transformations des systèmes agricoles liées à la révolution verte (apport d’intrants chimiques-engrais, produits phytosanitaires, semences améliorées, mécanisation, irrigation). Malgré tout, près de 850 millions de personnes étaient toujours en insécurité alimentaire en 2013 : l’accès à l’alimentation reste très inégal, en fonction du niveau de pauvreté. Plus de 4 000 kCal/jour parviennent chez le consommateur final moyen dans les pays de l’OCDE alors que les consommateurs d’Afrique au Sud du Sahara ne disposent que de 2 500 kCal/jour/habitant en moyenne. En outre, l’augmentation de la production agricole mondiale s’est faite au prix de dégradations environnementales qui mettent en danger la viabilité du système alimentaire lui-même : pollution et surexploitation des ressources en eau, dégradation des écosystèmes et des sols, dépendance aux énergies fossiles, etc. Comment la croissance de la demande alimentaire mondiale des quarante prochaines années (augmentation de la population mondiale de près de 3 milliards d’habitants, croissance de la demande alimentaire unitaire moyenne) pourra-t-elle être compatible avec les ressources limitées dont dispose la planète, les impacts du changement climatique et la dégradation de la biodiversité ?
Des scénarios globaux
2Les scénarios mondiaux produits récemment mettent en évidence que l’augmentation de la production ne constituera qu’une des facettes des stratégies nécessaires si l’on veut assurer la sécurité alimentaire en 2050. En particulier, ces études prospectives montrent que des leviers d’action du côté de la gestion de la demande alimentaire seront indispensables pour réduire les tensions sur les marchés et les pressions sur l’environnement, mais aussi pour envisager des transformations des systèmes alimentaires permettant davantage d’équité dans l’accès à une alimentation saine et équilibrée.
3Les projections tendancielles de la FAO indiquent un besoin d’augmentation de la production d’ici 2050 de 60 %, ce qui constitue un défi de moindre ampleur que celui de la révolution verte ; elles mettent surtout en évidence que c’est dans les pays du Sud qu’un doublement de la production est nécessaire, pour assurer à la fois disponibilité et accès à l’alimentation grâce à une augmentation des revenus des producteurs.
Des scénarios de rupture
4D’autres scénarios, comme celui développé dans l’exercice Agrimonde ou dans le rapport Eating the planet, font des hypothèses de rupture sur la demande alimentaire ; on peut alors identifier les marges de manœuvre qu’ouvriraient des évolutions non tendancielles des modes de consommation alimentaire, réduisant les tensions sur les équilibres mondiaux et permettant ainsi d’ouvrir la voie à d’autres trajectoires, plus écologiques, de transformation des systèmes de production.
Fig. 1 – Evolutions passées des disponibilités moyennes de calories alimentaires par personne et par jour dans les grandes régions du monde, et projections à 2050 dans les deux scénarios extrêmes de l’exercice Agrimonde (AG0 et AG1)
5Le scénario Agrimonde 1 fait l’hypothèse radicale (Figure 1) que la disponibilité alimentaire convergerait dans toutes les régions du monde vers 3 000 kCal/jour/personne, alors que le scénario tendanciel Agrimonde 0 voit certaines régions atteindre des sommets au-delà de 4000 kCal/jour/personne. De telles inflexions par rapport à la tendance reposeront nécessairement sur des politiques nutritionnelles efficaces, mais aussi sur la réduction des pertes et des gaspillages.
6L’augmentation de la part des produits animaux (viandes, produits laitiers, œufs) dans les régimes alimentaires est une autre tendance lourde que les scénarios de rupture cherchent à remettre en question, sans prôner pour autant une homogénéisation mondiale autour d’un modèle végétarien. S’il est vrai qu’il faut entre 3 et 10 calories d’origine végétale pour produire une calorie d’origine animale, les systèmes de production animale peuvent cependant jouer un rôle crucial en matière de diversité des écosystèmes agricoles, de gestion de la fertilité des sols ou de capitalisation pour les ménages ruraux les plus pauvres. Le scénario Agrimonde 1 fait l’hypothèse que la part des produits animaux dans l’apport calorique total pourrait être en moyenne de 500 kCal/jour/personne, alors que ce chiffre est actuellement supérieur à 1 200 dans l’OCDE. Une telle hypothèse, qui ramène le besoin d’augmentation de la production végétale mondiale en 2050 à moins de 30 % par rapport à 2005, remettrait en cause deux tendances de fond : l’industrialisation de l’élevage et la spécialisation de grandes régions agricoles soit dans la production animale, soit dans la production végétale pour nourrir ces animaux (près de 2/3 des céréales produites dans l’OCDE sont utilisées non pas pour l’alimentation humaine, mais comme aliment pour les animaux).
7Remettre en cause les transformations systémiques qui lient les filières agricoles et d’élevage et les modes de consommation permet d’ouvrir les marges de manœuvre indispensables pour que les systèmes de production soient plus durables, et que l’accès à une alimentation saine soit plus équitable.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• Erb K.H. et al., « Eating the planet : feeding and fuelling the world sustainably, fairly, and humanely – a scoping study », Social ecology Working paper n° 116, Vienna, 2009.
10.1007/978-94-017-8745-1 :• Paillard S. et al., Agrimonde. Scenarios and challenges for feeding the world in 2050, Quae, Paris, 2011.
• Paillard S. et al., Agrimonde. Scénarios et défis pour nourrir le monde en 2050, Quae, Paris, 2011.
Auteur
Chercheur en Prospectives pour l’Environnement
Institut du Développement Durable et des Relations Internationales
Paris
sebastien.treyer@iddri.org
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