7.11. Une alimentation bonne pour la santé est-elle compatible avec une alimentation bonne pour l’environnement ?
p. 264-266
Texte intégral
Un enjeu majeur
1Chacun d’entre nous possède des besoins nutritionnels spécifiques en énergie et en nutriments essentiels, tels que les vitamines, les minéraux et les acides gras essentiels. D’une façon générale, les aliments naturellement riches en nutriments essentiels comparativement à leur apport calorique, c’est-à-dire les aliments de forte densité nutritionnelle (taux de couverture des besoins en nutriments essentiels pour 100 kcal d’aliment) et contenant des quantités modérées de graisses, de sel et de sucres ajoutés, favorisent un bon état de santé. Les fruits et légumes en sont l’exemple emblématique, mais c’est également le cas des viandes maigres, des céréales complètes, des légumes secs, des produits laitiers peu gras et des produits de la mer.
2En revanche, les aliments de forte densité énergétique (teneur en kcal/100 g) favorisent la surconsommation de calories par rapport aux besoins, et donc le risque de prendre du poids. De plus, ils ont la plupart du temps une faible densité nutritionnelle. C’est le cas des produits riches en sucres et/ou en graisses (desserts sucrés, biscuits sucrés et salés, pâtisseries, viennoiseries, charcuteries et viandes grasses, fromages gras et salés, beurre, sauces), dans une moindre mesure, des céréales raffinées (pain blanc, semoule, pâtes et riz blanc) et, à l’extrême, des aliments « source de calories vides » (sucre, boissons sucrées, confiseries). Leur consommation en excès est impliquée dans la genèse de nombreuses pathologies chroniques.
3Dans un contexte de progression de l’obésité et du diabète, d’évolution rapide de l’offre alimentaire, de modifications des habitudes alimentaires et d’augmentation des inégalités sociales de santé, la plupart des pays ont développé des recommandations alimentaires pour la population générale. C’est le cas du « Guide Alimentaire pour Tous » du PNNS* qui vise à aider les individus à faire les « bons » choix alimentaires, c’est-à-dire ceux qui permettent de couvrir sans excès l’ensemble des besoins nutritionnels. La France est également un des rares pays dans le monde à avoir adopté une réglementation concernant l’équilibre nutritionnel des repas servis dans les écoles. Ces règles de fréquences, tout comme celles du PNNS, recommandent la consommation de produits végétaux en abondance, ainsi que la consommation régulière de produits animaux diversifiés et en quantité modérée.
4La question se pose aujourd’hui de savoir si les règles diététiques développées dans le but de préserver la santé des populations sont compatibles avec la nécessaire réduction de l’impact de l’alimentation sur l’environnement. Le secteur alimentaire (incluant l’agriculture) est l’un des plus gros émetteur de gaz à effet de serre (GES), représentant environ 1/3 des émissions totales en France et au sein de l’Union Européenne, et son impact environnemental s’étend au-delà des seules émissions de GES. La réalisation des objectifs à long terme de réduction de l’empreinte environnementale de nos sociétés ne pourra donc pas se faire sans le concours du secteur agro-alimentaire. Des améliorations technologiques aux différentes étapes de ce secteur pourraient contribuer à réduire les émissions de GES et la pression sur les écosystèmes, mais plusieurs études suggèrent qu’un changement dans les consommations sera également nécessaire.
Des impacts différenciés sur l’environnement
5Plusieurs points doivent être pris en considération pour que la réduction des émissions de GES de nos assiettes à travers la modification de nos choix alimentaires devienne une réalité. Premièrement, il existe une corrélation positive forte entre nos consommations alimentaires et les émissions de GES associées à ces consommations (Figure 1). En d’autres termes, quels que soient nos choix alimentaires, l’impact sur l’environnement sera d’autant plus faible qu’on mange moins et qu’on gaspille moins.
6Deuxièmement, tous les groupes d’aliments n’ont pas le même impact environnemental (Figure 2). Celui des produits carnés (viande, poisson, œufs et volaille) est associé au plus fort niveau d’émission de GES (appelé aussi « impact carbone »), et celui des féculents au plus faible niveau d’impact carbone, et ceci reste vrai quelle que soit la base de calcul : pour 100 g ou 100 kcal d’aliments consommés. Mais, pour les autres groupes d’aliments, leurs positionnements respectifs en matière d’impact carbone dépendent de l’unité utilisée pour exprimer les résultats. Ainsi, le groupe qui a le plus faible impact carbone après les féculents est celui des fruits et légumes lorsque cet impact est exprimé pour 100 g, mais c’est celui des produits sucrés et snacks salés lorsque l’impact est exprimé pour 100 kcal. On peut aussi remarquer que, pour 100 kcal, l’impact carbone moyen des produits laitiers est similaire à celui des fruits et légumes.
Fig. 1 – Corrélation entre les consommations alimentaires journalières, exprimées en g/j (A) ou en kcal/j (B) et l’impact carbone de l’alimentation des adultes (n = 1918) participant à l’enquête INCA2 (enquête nationale sur les consommations alimentaires individuelles), (Vieux F. et al. 2012)
7Troisièmement, des disparités existent au sein des groupes d’aliments. En particulier au sein des produits carnés, la viande de ruminant a un impact carbone (pour 100 g) en moyenne 2 à 3 fois plus important que le poisson, le porc, la volaille ou les œufs, et au sein des produits laitiers, le fromage est généralement 2 à 3 fois plus impactant (pour 100 g) que le yaourt ou le lait.
Fig. 2 – Impact carbone moyen de chaque groupe d’aliments, exprimé par 100 g, et par 100 kcal et pondéré par les consommations de 1918 adultes participant à l’enquête INCA2 (enquête nationale sur les consommations alimentaires individuelles). (Vieux F. et al. 2012)
8Quatrièmement, les ingrédients et les aliments qui posent le plus de problème pour la santé, comme le sucre, la farine blanche, le sel, les céréales raffinées et les produits gras et sucrés, sont parmi les moins impactants pour l’environnement, suggérant qu’une alimentation bonne pour l’environnement n’est pas nécessairement bonne pour la santé, et vice-versa.
La possibilité d’une discordance
9Ainsi, une étude réalisée à partir de l’alimentation des adultes français a montré qu’une alimentation de bonne qualité nutritionnelle ne génère pas moins d’impacts, en termes d’émissions de GES, qu’une alimentation déséquilibrée, pauvre en fruits et légumes et riche en graisses et en sucres. Ceci est dû au fait que 1° les différences d’impact environnemental entre produits animaux et produits végétaux sont nettement atténuées lorsque cet impact est exprimé pour 100 kcal au lieu de 100 g ; et 2° qu’une alimentation de bonne qualité nutritionnelle a une plus faible densité énergétique (kcal pour 100 g) qu’une alimentation déséquilibrée.
10Il faut donc ingérer des quantités plus importantes d’aliments pour couvrir ses besoins énergétiques avec une alimentation de bonne qualité nutritionnelle qu’avec une alimentation de mauvaise qualité nutritionnelle. Comme l’impact carbone est positivement corrélé aux quantités consommées (Figure 1), une alimentation bonne sur le plan nutritionnel n’aura pas nécessairement un faible impact carbone, même si elle comprend beaucoup d’aliments qui, comme les fruits et légumes, ont un faible impact carbone pour 100 g. Il a d’ailleurs été estimé que respecter les recommandations de l’USDA (US Department of Agriculture) en matière de consommations alimentaires induirait une augmentation de 12 % des émissions de GES.
Des choix nécessaires
11Pour répondre aux exigences environnementales, l’évolution des normes diététiques semble donc nécessaire, au même titre que celles des modes de production agricole. Mais comment favoriser une alimentation plus durable, c’est-à-dire qui soit, selon la définition de la FAO à la fois respectueuse de l’environnement, culturellement acceptable, financièrement abordable et nutritionnellement adéquate ? Comment concilier toutes ces exigences ? À travers quels choix alimentaires ?
12Le principal apport des rares études publiées sur ce sujet a été de montrer qu’un régime végétarien a un impact carbone plus faible qu’un régime de type occidental, riche en produits animaux. De ce fait, la réduction de la consommation de viande dans les pays à fort niveau de revenu (associée à une augmentation raisonnable de celle-ci dans les pays à faible revenu) est proposée comme un bon moyen de réduire les émissions de GES, tout en améliorant simultanément la santé des populations concernées. En effet, la consommation de viandes rouges et de charcuteries en trop grande quantité est associée à un risque plus élevé de maladies chroniques, alors que l’alimentation végétarienne est associée à des risques moindres de maladies cardiovasculaires, de surpoids et de diabète. Une limitation de la consommation de viande rouge à 50 g maximum par jour et par personne et une suppression totale de la consommation de charcuteries sont recommandées. Ce scénario permettrait de réduire de 12 % l’impact carbone de l’alimentation des Français. Mais, lorsque la perte calorique induite par la baisse de la consommation de viande et de charcuterie est compensée par une augmentation des calories provenant d’autres aliments, l’ampleur de la réduction de l’impact carbone est moindre, et une augmentation a même été notée en cas de substitution par des calories venant des fruits et légumes. De plus, les viandes, les poissons et les produits laitiers sont des sources de nutriments spécifiques et essentiels, et la réduction de leur consommation soulève un certain nombre de défis nutritionnels. En particulier, la biodisponibilité (la fraction ingérée assimilable par l’organisme) de certains nutriments clés comme les protéines, le fer, le calcium, le zinc ou la vitamine A est souvent meilleure quand ils sont issus de produits animaux. D’autres nutriments, comme la vitamine D, les acides gras oméga 3 à longue chaîne, ou la vitamine B12 sont exclusivement présents dans les produits animaux.
13L’extrême diversité des aliments et des habitudes alimentaires, ainsi que la distribution des nutriments dans les aliments rend la définition de l’équilibre alimentaire très complexe. Il faudra s’appuyer sur la richesse engendrée par cette complexité pour concevoir l’alimentation durable de demain.
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Références bibliographiques
• Garnett T. Three perspectives on sustainable food security : efficiency, demand restraint, food system transformation. J Clean Prod 2014 ; in press.
• Heller M.C., Keloeian G.A. Greenhouse gas emission estimates of U.S. dietary choices and food loss. J Indus Ecol 2014 ; doi : 10.111/jiec. 12174.
• FAO. Definition of sustainable diets. International scientific symposium « Biodiversity and sustainable diets United againts hunger », FAO, Rome, 2010.
10.1016/j.ecolecon.2012.01.003 :• Vieux F. et al., « Greenhouse gas emissions of self-selected individual diets in France : Changing the diet structure or consuming less ? », Ecol Econ 2012 ; 75 : 91-101.
Auteur
Nutritionniste en Santé Publique
UMR « Nutrition, Obésité et Risque Thrombotique »
INRA
Marseille
nicole.darmon@univ-amu.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012