7.1. Localisation de la production alimentaire
p. 243-244
Texte intégral
1La localisation de la production alimentaire n’est pas le fruit du hasard. Elle est dictée par de nombreux paramètres relevant de la nature (qualité des sols, climat), de la technologie (mécanisation, chimie), de l’économie (prix, demande) et des régulations publiques (subventions/taxes, réglementation). Le poids respectif de ces facteurs a évolué dans le temps, à des rythmes différents selon les régions du monde.
Les grandes étapes
2Il y a plus de 10 000 ans, la période néolithique est un point de départ important dans la mesure où l’offre alimentaire se fixe dans le sol et où l’homme commence à se sédentariser et à former des villes. L’agriculture et l’élevage se substituent progressivement à la cueillette et à la chasse et se développent principalement là où émergent les villes. Pour nourrir les premiers citadins, un surplus alimentaire stockable est requis. Agriculture et ville se développent dans les territoires avec des terres fertiles près de bassins fluviaux, comme en témoigne la localisation de l’agriculture autour des premières villes du croissant fertile au Proche-Orient. Les coûts de transport étant prohibitifs, la localisation de la production agricole est principalement dictée par la présence simultanée de terres fertiles et d’une demande alimentaire citadine.
3Il faut attendre la révolution industrielle pour observer un bouleversement majeur dans la géographie de l’offre alimentaire. L’influence des facteurs physiques (climat, fertilité des terres) et de la proximité de la demande urbaine sur la localisation des productions agricoles se réduit fortement en raison des changements technologiques intervenus dans la production et le transport des produits alimentaires. Depuis le XVIIIe siècle, les denrées agricoles voyagent de plus en plus vite, à moindre frais, dans des chargements de plus en plus volumineux. Bref, les bassins de consommation peuvent s’approvisionner de plus en plus loin, mettant en concurrence les différents bassins de production agricole.
La dissociation géographique des productions végétales et animales
4Depuis plus de deux siècles, la spécialisation des territoires dans les productions végétales ou animales s’accroît. Les changements technologiques ont induit un usage croissant de fertilisants chimiques, de pesticides et d’antibiotiques, favorisant la spécialisation des exploitations en permettant la simplification des assolements* et la concentration des élevages. En parallèle, la baisse des coûts du transport et l’efficacité grandissante de celui-ci ont largement favorisé le déplacement des marchandises agricoles à longue distance. Les protéines nécessaires à l’alimentation animale en Europe proviennent, par exemple, essentiellement d’importations de soja d’Amérique.
5Ainsi, les productions de grandes cultures se sont fortement développées, souvent au détriment des systèmes de polyculture-élevage, dans les zones géographiques qui cumulaient à la fois un bon potentiel agronomique et une faible densité de population. De même, l’augmentation importante du prix des céréales tend aujourd’hui à accélérer le processus d’abandon de l’activité laitière dans les zones de polyculture-élevage, comme en Poitou-Charentes.
La forte concentration des productions animales
6Les produits issus de l’élevage sont des produits pondéreux et à relative faible valeur ajoutée si bien que leurs flux sur longue distance sont plus modestes et que la production se concentre davantage autour des industries d’amont et d’aval. Par exemple, l’offre de lait se situe à proximité des industries de transformation. De plus, le développement des technologies dans l’élevage et la transformation, favorisant les économies d’échelle*, a encouragé la spécialisation et l’accroissement de la taille des élevages. Ce phénomène a été également encouragé par la croissance plus rapide du prix du travail par rapport à ceux des autres facteurs de production, incitant à développer des modes de production qui économisent du temps de travail.
7En dépit des importantes nuisances environnementales qu’elle génère, cette forte concentration spatiale des productions animales se maintient, et ce en raison d’économies d’agglomération*. Les interactions entre les producteurs d’un même territoire permettent d’accroître leur compétitivité. La proximité géographique entre producteurs favorise la circulation d’informations relatives aux évolutions des marchés, mais aussi au développement d’innovations technologiques ou de produits. La proximité permet également aux producteurs de partager des équipements ou une main-d’œuvre formée à des tâches spécialisées de cette production. Ces mécanismes expliquent, par exemple, assez bien le développement des productions animales en Bretagne.
Le rôle de l’action publique
8Les modalités d’intervention de la Politique Agricole Commune en Europe à partir des années 1980 ont arrêté le processus de concentration spatiale des secteurs directement soutenus. La gestion des quotas laitiers a figé par exemple régionalement l’offre de lait. En revanche, les politiques environnementales peinent en Europe à réduire les pollutions des eaux dans les territoires de forte densité animale.
9En s’affranchissant des « contraintes » naturelles, l’affectation spatiale des productions agricoles a donc été fortement influencée par les mécanismes de marché, les changements technologiques et l’action publique. La manière dont est répartie la production agricole est porteuse de nombreux enjeux, économiques, sociaux et environnementaux. L’origine géographique de nos aliments soulève des débats passionnés, suscite inquiétudes et peurs, et réinterroge la sécurité alimentaire des pays, voire des grandes métropoles.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Bairoch P., De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l’histoire, Gallimard, Paris, 1985.
• Chatellier V., Gaigné C., « Les logiques économiques de la spécialisation productive du territoire agricole français », Innovations Agronomiques 2012 ; 22 : 185-203.
Auteur
Économiste
UMR « Structures et Marchés Agricoles, Ressources et Territoires »
INRA
Rennes
gaigne@rennes.inra.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012